Lassement assise sur une chaise peu comfortable dans la salle des employés, je passe le temps sur mon téléphone, regardant divers vidéos passer sur TikTok. Des chats qui font des bêtises, une membre des TiGirls qui fait un challenge avec un des gars de Clover, d'autres chats, un américain qui joue au nouveau jeu qui fait fureur sur Twitch... entre deux vidéos de gameplay Minecraft avec une voix robotisée qui raconte une histoire volée de Reddit, je jète un regard vers l'horloge. Seize heures. « Bon, quand faut y aller... », soufflais-je à moi-même en enfonçant mon téléphone dans la poche de mon pantalon.

J'étais un peu plus nerveuse qu'à l'habitude aujourd'hui, j'avoue. Par je ne sais trop quel miracle, j'ai réussi à convaincre mon patron d'engager Ma Eum. On manquait d'employés, il avait pas de boulot, la recette parfaite non? Le cv de mon ami n'était pas nécessairement très bien rempli, alors mon patron avait ses inquiétudes. Mais il a dit, et je cite; Okay mais c'est toi qui le forme. C'est ta responsabilité.

En sortant de la salle des employés, je croise mon patron qui cherche à entrer, visiblement débordé. Il s'exclame en me voyant et se met à dégueuler beaucoup trop de mots par secondes: tous les autres sont malades sauf Roberto (notre immigrant mexicain national, probablement le meilleur employé ici), toute seule, t'es ma meilleure de toutes (non, deuxième derrière Roberto), forme bien ton ami, ça devrait être tranquille, blablabla.

Abasourdie par son débit vocal, je réussi finalement à l'arrêter dans son élan. « Calmos boss, respire un peu » Par temps normal on ne devrait pas parler de manière aussi informelle à son patron. Mais on s'entend bien, il me fait confiance et il a l'âge de mon plus vieux frère de toutes façons. Il soupire, puis regarde mes cheveux détachés, mon uniforme vêtu un peu loussement et l'évidente délimitation de mon téléphone au travers ma poche. Il soupire à nouveau, ayant abandonné l'idée de me faire porter l'uniforme dans les règles de l'art, et se contente de déposer sa main sur mon épaule avant de repartir en trombe, là où les patrons d'un E-Mart doivent aller.

Brûle pas le magasin, lance-t-il, déjà loin. « Sir yes sir! », tentais-je de répondre pour détendre l'atmosphère. D'un pas assuré, je marche vers les caisses où Roberto essaie de garder le fort, espérant très fort qu'il aille à servir personne. « Thank you Rob, I'll take it from here », lui dis-je, tout sourire, en l'invitant à retourner à l'arrière là où il est plus à l'aise. Le pauvre ne parle pas encore très bien coréen, et s'empresse en s'inclinant maladroitement de retourner à son poste habituel. Reste plus qu'à attendre Ma Eum, lui qu'on a demandé d'arriver un peu plus tard pour me laisser me préparer.

Il avait trouvé un nouveau boulot. Ce n'est pas vraiment lui, mais plutôt une amie à lui. Ma Eum évoque souvent le fait qu'il est toujours au chômage et qu'il aurait besoin de travailler rapidement. Ce n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd avec Yujin. Les heures suivant les lamentations, la jeune fille lui a proposé un travail à l'endroit où elle-même bosse. Une supérette, genre moyenne surface, avec des rayons à ranger, des caisses à tenir et un sol à entretenir. Le brun s'en moque des tâches à réaliser, il n'est pas compliqué ou difficile, du moment qu'il trouve une place et décroche un salaire.

Car, avouons-le, il en a un peu marre de se justifier auprès de ses parents qui se demandent si leur fils a réellement un avenir. C'est là le problème avec un garçon comme Ma Eum, l'avenir n'a pas de sens pour lui. Il vit sa journée, l'instant présent. Demain ? Il ne prévoit rien. La semaine prochaine ? Il pourrait ne même plus être là. À quoi bon s'embêter avec les aiguilles d'une horloge, quand les siennes pourraient dérailler à tout instant. Et le moment présent est si beau, parfois doux, parfois amer, parfois piquant. C'est la vie, elle est ainsi et il ne voudrait pas qu'elle soit autrement.

La vie a beau être comme elle est, il ne peut pas se permettre de se laisser porter par elle. Terminé les grasses matinées après des soirées sur l'ordinateur à jouer en ligne avec des potes du lycée. Fini les après-midi à flâner dans les rues de Séoul avec qui était partant de le suivre. Ce n'est pas si mal, son chômage commençait à dérégler son système, le transformant peu à peu en zombie ou en vampire. À vivre la nuit, dormir le jour et demander aux autres les dernières nouvelles qu'il ratait. Non, ce n'est pas une vie d'être au chômage.

L'heure, c'est l'heure. S'il a bien appris un truc dans la vie, c'est de ne pas être en retard, ni trop en avance. Pile à l'heure, à une minute près. Les dernières secondes qui lui suffisent pour entrer dans le commerce et se rapprocher de la caisse où se trouve le seul membre du personnel. " - Yo, Yujin ! " Il lui fait un signe de la main, un grand sourire sur le visage. " - ça va ? Tu es seule ? Je m'attendais à un comité d'accueil. " Plaisante le brun en jetant un coup d'oeil furtif autour de lui. À part elle et lui, il n'y a personne dans le coin.

Ma Eum ignore ce qu'elle a pu dire à son patron pour qu'il l'engage. Son CV n'est pas une catastrophe, il a beaucoup d'expérience dans divers domaines, mais le problème avec lui, c'est qu'il ne reste jamais plus de quelques mois à un endroit. Aussi doué soit-il dans son travail, le garnement a ce besoin de bouger, d'aller voir ailleurs, de se sentir pleinement libre de ses décisions. C'est comme avec la lecture, il aime tellement de style qu'il ne saurait dire lequel il préfère, pour au final bouquiner des tonnes d'ouvrages à la fois. 

« Okayyyy let's go », lâchai-je en imitant le célèbre meme sur Tiktok.

J'attrape le premier stylo et carnet de note que je trouve et rapidement, je fais une checklist. Caisses, backstore, service à la clientèle, salles de bain, les différentes allées, les règlements en général, l'uniforme... L'uniforme. Je m'asseois sur la chaise derrière fois, déjà découragée. Le patron ne m'avait pas refilé d'uniforme pour Ma Eum. Tant pis, je me dis. Dans le pire des cas, je lui donne un badge, ou n'importe lequel autre truc qui peut s'attacher au cou avec l'enseigne du magasin et son nom et/ou la mention "En formation". Partie à l'aventure pour trouver ledit badge, j'atteris au service à la clientèle, là où les éléments qu'on ne gère pas à la caisse sont gérés. Les retours, les remboursements, les mises de côté, les problèmes en tout genre... je sors un badge, et d'autres feuilles de papier. L'étincelle aux yeux, je cours en direction des caisses, mettant la phase un de mon plan en marche, le plan qui venait de se déguiser dans mon esprit une seconde auparavant.

« En... raison... d'un manque de personnel... veuillez s'il vous plait... vous diriger vers le... service... à la clientèle... pour effectuer vos achats... » dis-je à voix haute en écrivant les mêmes mots sur plusieurs feuilles de papier à afficher aux différentes caisses. Sans oublier la traduction en anglais, pour les étrangers, touristes ou immigrants, qui pourraient vouloir s'acheter quelque chose en soirée. Aussitôt la dernière feuille terminée que 16h30 sonne et Ma Eum, ponctuel, fait son entrée.

Sa remarque me force à rire doucement, malgré le léger sentiment d'angoisse qui m'habite. Oui, aujourd'hui devrait être une soirée très tranquille si on se fit aux habitudes de nos clients. Mais gérer le magasin au complet à elle seule, aidée du fiable Roberto à l'arrière et du débutant mais enthousiaste Ma Eum? « Ouais, ils ont tous décidé d'être malade aujourd'hui, sauf Roberto. » Une à une, j'affiche mes enseignes maison aux caisses pour éviter des problèmes, et je retourne aux côtés de mon ami. « Tiens, ça c'est pour toi », lançai-je en lui tendant le soi-disant badge. « C'est un peu la cata — juste un peu t'inquiète — donc j'avoue j'ai pas d'uniforme mais c'est peut-être mieux comme ça, t'as vu de quoi j'ai l'air? » Je ris à nouveau. En vrai, l'uniforme en lui-même n'était pas si affreux. Le jaune me va bien en général, et le gris utilisé est agréable sur les yeux. Mais rien ne bats le confort d'un hoodie, right?

« Bon, du coup... » Je jete un oeil à ma checklist, et hoche la tête, satisfaite. » La bonne nouvelle, c'est que c'est notre journée calme. La mauvaise, c'est qu'on doit couvrir le magasin au complet, mais ça devrait pas être trop grave. Les caisses sont fermées, donc y'aura qu'au service qu'on peut payer, ça va aider à centraliser. » C'est justement en sa direction que je marche, invitant Ma Eum à me suivre. Je lui résume l'utilité de l'endroit (retours, échanges, remboursements, etc etc) et j'attrape une carte de l'endroit, la déroulant sur la table qui est à notre disposition.

« Nous on est là. Ça c'est les caisses, pas obligé de s'en soucier pour l'instant. Y'a la bouffe ici, et les autres secteurs sont séparés en catégorie, genre cuisine, salle de bain, jouets, vêtements, toussa toussa. Là y'a la porte pour l'arrière — c'est là où Roberto travaille — et là c'est la salle des employés, et finalement on a des toilettes proche des caisses. » Je reprends mon souffle avant de me retourner vers Ma Eum. « Si t'as une préférence hésite pas, on peut commencer par là. Faudra juste tenir un oeil ici.. » Et mon cerveau se met à bourdonner. Il faudrait réussir à avoir un regard sur le service à la clientèle en tout temps, mais comment?

La définition même de "jeter un pavé dans la mare", sans le côté choqué ou alarmant. Ma Eum sent les angoisses de son amie et il culpabilise un peu d'avoir agité la surface avec sa petite remarque maladroite. Faut croire que la grippe ou la gastro a frappé, mettant bien à mal le e-smart où travaille Yujin. Celle-ci lui paraît plus occupée que jamais, plus paniquée aussi. Il ne saurait dire exactement à cause de quoi, si c'est le fait d'être seule à gérer la supérette ou si c'est à cause du premier jour d'essai avec un faux débutant. Le brun réceptionne le cadeau offert, un badge fait maison par les soins de son amie. ‟ Ça pourrait être pire ? Le jaune te sied bien au teint. „ Une douce moquerie pour lui faire relâcher un peu la pression, car il craint de le voir partir en vrille à tout instant.

Ma Eum fait l'effort de bien accrocher son badge, qu'il soit visible à la moindre personne circulant entre les rayons ou proche des caisses. À la voir agir de la sorte, la jeune fille lui donne cette impression d'être un manager dépassé par les événements. Ou un dessinateur dont la deadline se rapproche à grande vitesse. Le cadet se passe d'un quelconque commentaire, ses pupilles rivées sur la détresse visible de l'employé en charge de quasiment tout. Yujin lui explique ce qu'il faut savoir, dans l'intention de le former comme nouveau personnel modèle.

‟ Yujin. Je ne veux pas gâcher ton pitch de formatrice en herbe, mais je sais comment est agencé un commerce style supérette. Et entre nous, je suis déjà venu faire mes courses ici, seul ou avec mes parents. Relaaaxe. Respire. „ C'est lui qui va finir par ventiler si la demoiselle ne se calme pas un tant soit peu. ‟ Je comprends tout, très vite. Et puis j'ai déjà tenu des tonnes de caisse, rangé tout un tas de rayon et je sais parler aux gens pour les convaincre d'acheter. Enfin, pas sûr que ce soit très utile en étant en caisse, mais si jamais tu veux du baratin. „ Il tente de la rassurer, qu'elle respire de grandes goulées d'oxygène. ‟ Je n'en suis pas à mon premier essai d'employé modèle. Ça ne rentrait pas tout dans mon CV et les expériences d'une semaine à un mois ne me semblait pas très utile à noter, mais considère moi comme un pionnier de la vente sur tout terrain. „

Cette réalisation que j'étais seule dans ce grand magasin pour l'entièreté de la soirée avec Ma Eum semble finalement me frapper de plein fouet, comme un camion qui crash dans un mur de briques. Pas que je ne faisais pas confiance à mon ami, bien au contraire; mais avec autant de superficie à surveiller, n'importe quoi pouvait arriver. Et s'il y avait un cambrioleur? Ou quelqu'un qui brise quelque chose, ou un enfant qui vomi, ou pire, une Karen?? J'avais dit à mon boss de se calmer, que tout allait bien aller; mais peut-être que c'est moi qui aurait besoin de calme. Au moins, la remarque de Ma Eum sur l'uniforme arrive à me faire rire. Tout va un peu mieux quand on est bien entourés, non?

Mais les événements se mettent à me dépasser tout aussi rapidement que j'ai pu les oublier en raison de la blague de mon ami. Il y avait tant à voir, tant à faire, et que nous deux. Et surtout, tant à montrer. Alors je me mets à parler, je laisse échapper des mots qui coulent sans arrêter, comme une inondation; jusqu'à ce que Ma Eum m'interrompt. Okay, zen, Yujin. Tout va bien aller. Ma Eum a raison, il a beaucoup plus d'expérience que son CV le laisse croire, et il vient souvent. Il connait l'endroit. Tout va bien aller.

« Okay, okay. » J'hoche la tête en inspirant, puis j'expire rapidement, avant de rouvrir mes yeux. « Okay! Donc uhm... I mean je peux te montrer les quirks de la caisse, ou je peux rester ici pendant que tu fais le tour pour voir si des gens ont besoin d'aide ou s'il y a des trucs un peu partout? » Sauf s'il y avait quelque chose d'autre à montrer. Mais normalement, ce sont les deux options les plus plausibles pour l'instant. Tant que quelqu'un reste ici.

« Sinon... AH! » Si les dessins animés étaient réels, j'aurais l'air de ceux avec une ampoule qui apparaissent au dessus de leur tête, lorsque leurs deux seules neurones réussissent à faire cuire une idée de génie. Malgré que ce n,était pas exactement une idée, mais plutôt un détail important qui allait sans doute faciliter notre vie. « On a des talkies-walkies! Voilà, ça devrait aider. » dis-je en m'étirant de tout mon long pour attraper les deux appareils (un chaque!), et lui en donner un.

Yujin est comme un volcan sur le point de rentrer en éruption. La pression monte de plus en plus dans son corps, prêt à péter tout instant. Son ami aimerait lui dire qu'il est professionnel des grandes surfaces, qu'il a trente ans d'expérience derrière lui et qu'ils vont magnifiquement bien gérer ce bordel à deux. Or, ce n'est pas le cas. Il connaît le magasin tel un client et possède sa petite expérience dans le domaine de la vente grâce à ses nombreux jobs. Ma Eum lui intime de respirer, que ça va aller, au pire, ils trouveront une solution aux possibles problèmes. Le jeune homme est ainsi, parfois trop relax et sans prise de tête, à voir le bon côté des choses. Quand l'un stresse à en crever, lui est généralement là pour détendre l'atmosphère.

‟ Place-moi où tu veux, je suis sous tes ordres, chef. „ Il lui offre ce sourire énigmatique dont il a le secret, entre l'amusement et une pointe de sérieux assez subtile. ‟ Je suis un bon élève, j'apprends vite. „ Que ce soit pour la caisse ou le reste du magasin, il n'a pas peur de faire les choses. ‟ Je peux m'occuper de faire le tour. „ D'aider les gens ou de faire marcher son côté commercial pour permettre un beau chiffre d'affaires à l'enseigne. Ma Eum, il a ce truc pour inciter gentiment les gens à consommer, à acheter, à n'avoir aucune barrière restrictive.

Encore une fois, son amie montre à quel point son esprit se disperse aussi rapidement que le sien. Le brun observe l'expression changeante de son visage, s'imaginant parfaitement une ampoule s'éclairer au-dessus de sa tête quand l'idée apparaît. Des talkies-walkies ? Grave erreur. Yujin se contorsionne limite pour attraper les deux appareils et lui en tendre un. Un sourire espiègle se place à la bordure de ses lèvres, tandis que ses pupilles examinent précautionneusement la machine entre ses doigts. ‟ Je vais aider la veuve et l'orphelin. Appelle-moi Ma Eum des bois ! „ Fit-il en se servant du talkie-walkie comme un arc.

‟ No stress, ok ? Je m'occupe de faire le tour des rayons et si c'est calme, je reviens vers toi pour bidouiller la caisse. „ Il vient tapoter l'épaule de la jeune femme pour la rassurer, tout va bien se passer. ‟ Ah. Si jamais je trouve un gars suspect ou si tu tombes sur une folle, trouvons un truc pour se le faire savoir. „ Un code, tels des espions. Le brun réfléchit, cherchant un truc simple et compréhensible pour faire passer un message d'urgence. ‟ Si je dis ornithorynque, c'est que je suis face à un souci de taille. „ Ce n'est certainement pas un truc qu'il dirait dans une banale conversation, donc c'est pratique comme message d'alerte.

Il a un certain talent, ce Ma Eum, pour calmer les ardeurs avec un simple sourire. Cette éruption interne, ce chamboulement au creux de mes entrailles qui va et viens à la moindre pensée envahissante; soudainement transformée en sérénité, l'absence des vagues qui font vasciller les scénarios catastrophiques. Respirer devient plus facile lorsqu'il est là, stature qui inspire la confiance, aura qui dégage l'optimisme. Comment rester anxieuse lorsqu'une telle présence est à côté de soi, une solide ancre qui nous ramène avec aisance à la réalité sans tout fracasser?

J'hoche donc la tête, les pensées un peu plus claires, l'anxiété qui s'évapore à chaque inspiration et expiration. Il faut lui faire confiance, sans quoi ni lui, ni moi, ni personne n'allaient réussir à sortir de ce bordel. Alors le cerveau se met en branle, mode solution activé. « Ouais okay, faire le tour c'est une bonne idée. Et comme t'as dit, tu connais déjà le magasin, du coup ça devrait le faire non? » Il le fallait, je l'espérais. De son côté, faire le tour lui permettait de se familiariser avec la clientèle autour de notions qui ne lui sont pas étrangères; pour moi, ça me permettait d'avoir l'esprit tranquille et de m'occuper des tâches qui nécessitent un peu plus d'apprentissage. Tant que la communication reste saine entre nous, tout ira bie,

D'où les talkies-walkies. Son sourire ne dit rien qui vaille, mais il gesticule comme cet autoproclamé Ma Eum des bois, et mon propre sourire revient. Un rire même, presque fou, que j'essaie de contenir avant de m'étouffer. « Ah mais qu'est-ce que t'es con! » Affectueusement, bien entendu. Rien de mieux qu'un peu d'humour absurde de la part d'un bon ami comme lui pour détendre l'atmosphère. « Bon vas-y, Super Ma Eum, je vais monter la garde ici! » Tout en prenant une importante note mentale concernant l'ornithorynque, sans toutefois pouvoir m'empêcher de mourir de rire, tête couchée contre le comptoir, les larmes aux yeux.

Ornithorynque, vraiment, y'a que lui pour sortir un tel safe word. Heureusement, ce n'est pas comme si on allait en avoir besoin, si la tendance se maintient. Quelques longues minutes passent, quelques clients réguliers vont et viennent, la paperasse est prise en charge. Et maintenant, on fait quoi? On panique en voyant quelqu'un de louche entrer dans le magasin, c'est ce qu'on fait.

Les yeux ronds, j'observe le drôle d'inconnu, vêtu entièrement de noir, posture maladroite, s'enfoncer dans les rayons. Et, finalement sortie de ma transe, j'attrape le talkie-walkie, et j'essaie frénétiquement d'avertir mon ami. « O-Ornith-HGUHGHUGH » Une quinte de toux dans ma panique, et un talkie-walkie qui s'échappe de mes mains, comme une barre de savon détrempée qui ne sait pas rester en place. La voix toujours rauque, j'essaie de terminer mes pensées avant que Ma Eum ne décide d'accourir vers ma position, tel un prince charmant à la rescousse de la princesse en détresse. « Y'a un drôle de mec qui est entré, il marche direct vers ton rayon. » Et je pars à la quête d'une bouteille d'eau.