Le froid hivernal de Seoul, Tao Fen ne s’y ferait peut-être jamais. Lui qui venait d’une région plus clémente envers l’humanité. Pourtant, il n’avait aucune bonne raison de rester chez lui aujourd’hui ; paré de tous ce qu’il avait de rouge, écharpe et caches oreilles, pour lui apporter la bonne fortune en ce premier jour de la nouvelle année lunaire, Tao Fen s’apprêtait à profiter d’un instant suspendu entouré de ceux qui comme lui étaient si loin de leurs patries.
Les coréens avaient leurs manières à eux de fêter le passage à la nouvelle année. Ils aiment particulièrement illuminés leurs ponts et utiliser des drones dans le ciel pour y écrire et dessiner les messages salutaires. Si tout cela était charmant, Tao Fen ne pouvait s’imaginer passer la journée la tête dans les nuages à regarder la bonne fortune s’y inscrire. Il avait besoin de frapper dans ses mains au passage du tigre de papier, d’allumer une lanterne pour y inscrire des pensées à sa famille, d’odeur d’oignons grillés et de pain de riz cuit… la Chine ne lui manquait jamais autant qu’à la nouvelle année.
Trois ruelles aux écriteaux rougis de signes en mandarins débouchaient sur un petit carrefour bondé de personnes aux vêtements si colorés que l’hiver sembla soudainement un peu moins gris. Partout avait été attaché des lampions jaunes et rouges et aux fenêtres étaient suspendu toute sorte de cerfs-volants en forme de poissons, de dragons ou encore de chats.
Tao Fen observait ce lieu, son visage s’illuminant de malice comme rarement cela lui arrivait alors qu’il se penchait en signe de respect auprès d’une vieille femme qui vendait des brioches fourrées au porc et des amulettes en jade. Il acheta une brioche et elle lui apporta un mot de bénédiction avant qu’il en continue son chemin dans la ruelle.
Dans une petite heure, le défilé allait certainement commencer car il pouvait voir les danseurs tigres et porteurs de dragons se préparer dans certaines boutiques qui avaient disposés leurs étales en extérieur exceptionnellement.
Le quartier était animé et des personnes de tous les âges s’y trouvait. La langue dominante était le mandarin, mais Tao Fen pouvait percevoir quelques mots en coréen ou en vietnamien qui sortaient de discours décousus.
Avançant sans se rendre compte d’où il allait exactement, ne prêtant pas attention à autre chose qu’aux décoration, le violoniste se retrouva bousculé. Un jeune homme, plus grand que lui, et visiblement quelque peu perdu au vu de sa réaction lui demanda si on pouvait boire ici et Tao Fen resta un instant circonspect devant cette question étrange. Sa brioche non entamée dans la main.
« C’est le nouvel an, bien sur qu’il y a à boire… » le ton était à la fois critique mais aussi étonné. Pinçant les lèvres doucement, plissant les yeux avec suspicion, le Lin réalisa alors quelque chose.
« Première fois dans le quartier hein ? » demandât-il avec une pointe d’ironie qui transparaissait derrière le ton froid qu’il avait naturellement.

Tao Fen observait perplexe la balance des émotions se faire au travers des réactions étranges du jeune homme qui venait de s’imposer dans sa vie. Sans prendre le temps de considérer qu’en parlant une langue qui leur était commune, le garçon n’était peut-être pas chinois. Pourtant dans sa prononciation comme sur son visage, on pouvait lire les traits de la patrie d’où venait les deux jeunes hommes, du moins c’était à première vue ce que se disait le violoniste.
Ce dernier n’eut pas de mouvement de recul lorsque le visage du plus jeune se rapprocha de sa friandise. Visiblement intrigué par ce qu’il avait dans la main. Le Lin fit une moue qui aurait pu passer pour une forme de dégout, mais il ne fallait pas s’y fier il s’agissait bien de sa réaction par défaut, son nez se retroussant sous ses deux yeux en amande.
Avec un soupire il brisa la brioche faite en farine de riz et en tendit un morceau au garçon qui venait de lui poser une question qui avait brisé quelque peu son cœur. Comment pouvait-on ne pas connaître cette merveille…
« Chashao bao. » dit le jeune homme en tendant le morceau dont le cœur dévoilait une boulette de porc laqué.
« Je vais dans cette direction me chercher une bière… tu peux venir avec-moi si tu veux. » la proposition semblait faite sans véritable affection, et pourtant, le musicien ne pouvait se résoudre à laisser un tel enfant seul au milieu de pareille fête. Bien qu’il ne risque certainement rien ici, sa méconnaissance du lieu, voir même de l’évènement touchait une corde sensible chez le chinois.
« Je m’appelle Lin Tao Fen, mais … ça sera plus simple si tu m'appelles dès maintenant gege. » ajoutât-il en commençant à marcher doucement à travers la foule, supposant par sa phrase que le garçon était plus jeune que lui comme le laissait présager son faciès juvénile mais aussi son comportement. En l'autorisant ainsi à l'appeler "grand-frère" Tao Fen se proposait aussi indirectement de le prendre sous son ail, au moins pour la journée, car c'était comme ça que l'on faisait au pays aussi.
En attendant de savoir le nom de son interlocuteur, Tao Fen mordit dans la douce texture de sa brioche, laissant les saveurs faire remonter en lui des souvenirs précieusement gardés au creux de sa poitrine et se reflétant sur ses joues rougissantes de plaisir.

L’air embaumé d’épice et de l’odeur de la poudre des feux d’artifices entourait les deux jeunes hommes qui avançaient doucement dans la foule vers les barnums installés les uns à côté des autres dans la rue. Des vieillards, des gens dans la fleur de l’âge, des enfants et deux âmes qui venaient de se rencontrer.
Tao Fen continua d’observer discrètement le garçon en observant ses gestes, sa manière de se comporter ou de gouter même à la brioche. Oh, il avait déjà vu ce regard, et il pourrait jurer qu’il lui arrivait certainement d’avoir le même. Son cœur se serra une fraction de seconde dans sa poitrine, et comme pour donner l’exemple, car il est bien plus courageux quand il s’agit des autres que de lui-même, le violoniste prit une pleine bouchée de son bao. Le gout sucré-salé le prit presque au cœur de son émotivité. La Chine lui manquait parfois, souvent.
Machant avec diligence, ses pommettes se colorant de son plaisir de profiter du gout de la brioche il ne put cependant d’archer un sourcils suspicieux lorsque le dit Niki lui dit son prénom après avoir demandé la signification de « gege ». Nul doute que ce gosse doit avoir une histoire toute aussi compliqué que la sienne pour cumuler autant de différence avec le reste de leur petite diaspora au cœur de Seoul.
« huum… » laisse dit-il échapper en réfléchissant à une traduction qui pourrait faire sens sans rendre le garçon complétement perdu.
« Gege c’est comme … hyung… mais en plus fort ? On est un peu tous de la même famille ici. C’est peut-être le seul endroit où on peut être vraiment nous dans tout Seoul. » ajoutât le musicien en désignant la ruelle remplit de restaurants et magasins uniquement chinois, malgré une petite supérette thaïlandaise qui s’était perdue ici.
Le sourire qui suivit les paroles du chinoise était certainement l’un de ses rares sourires, qu’il ne réservait qu’aux personnes qui avaient véritablement besoin de réconfort où qu’il connaissait très bien. Un bien précieux qu’il accorda à Niki qui réussit subtilement à voler de son affection avec ses réactions et questions étranges.
« Je suis né en Chine. » répondit-il avant de pousser un profond soupire.
« J’ai grandi à Fujian. Il y fait plus chaud en cette période de l’année. Je déteste l’hiver en Corée du Sud. » dit le jeune homme en fronçant du nez, ses lèvres formant une sorte de petite grimace entre la tristesse et le dégout. Tao Fen se demandait souvent ce que pouvait bien devenir ses amis, les personnes qu’il avait connues là-bas. Il n’était pratiquement jamais rentré chez lui depuis qu’il avait emménagé ici, car tant qu’il n’avait pas atteint ses objectifs il n’avait aucune raison de venir se présenter à nouveau à sa famille bien qu’elle lui manquait.
« Tu n’es jamais allé en Chine Niki-didi ? » une fois encore Tao Fen utilisa une formule affective, certainement car il souhaitait mettre à l’aise le plus jeune, bien qu’il ne sache pas exactement ce que cela voulait dire, peut-être comprendrait-il par le ton de sa voix devenu plus douce et nostalgique ce que cela pouvait bien signifier.