La corde racle sur le sol à chacun de ses sauts. Un son répétitif, toujours sur la même séquence. Tac, tac, tac. Ça résonne dans l'air, autour de lui. Des écouteurs sans fil dans les oreilles, le blondinet s'échauffe sur un air de playlist dynamique. Si ça ne tenait qu'à lui, il aurait balancé la corde à sauter pour se mettre à exécuter la chorégraphie d'un groupe pop de sa génération, mais Loukas reste focus. Il fait abstraction des paroles, du rythme, des flashs dans sa tête rappelant un clip vidéo visionné sur l'écran de son ordinateur portable. Dix minutes, quinze, vingt, trente. Il s'arrête quand il estime que c'est suffisant, la sueur perlant sur son front et dans son cou. Son haut lui colle au corps, il a la sensation d'avoir plongé dans une piscine tout habillé. Un serre-tête maintient sa chevelure blonde en arrière, empêchant ainsi les mèches rebelles de n'en faire qu'à leur tête.

Le souffle court, le sportif s'approche d'un banc où il a laissé ses affaires. Récupérant une serviette propre dans son sac de sport, il s'éponge le visage et le cou en soupirant. La corde à sauter jetée négligemment dans son sac, il attrape aussitôt sa gourde d'eau et se l'enfile à moitié. Les jambes sont en feu, les bras prêts à tomber. Et ce n'était qu'un échauffement, histoire de se plonger dans le bain. Ye Jun n'est même pas là pour qu'il puisse le charrier. Le propriétaire doit avoir une vie en dehors de sa salle, l'étudiant tente souvent de se l'imaginer. Avec qui il peut traîner, ce qu'il peut faire, s'il est vraiment heureux ou s'il se cherche une victime à martyriser. Cette dernière pensée le fait sourire et il se détache de ses songes pour rapporter ses pupilles dans la salle.

C'est là qu'il la voit. Ce n'est pas la première qu'elle apparaît dans sa vision, ni qu'il s'approche d'elle. Loukas dépose sa serviette et sa bouteille dans son sac, réduisant la distance entre lui et la jeune fille dans son coin. ‟ Tu vas te faire mal si tu frappes comme ça. „ Les pas s'arrêtent à quelques mètres de la silhouette, ne voulant pas franchir la limite de sa zone de confort, de son cercle privé. ‟ Mets plutôt tes poings comme ça. „ Tout en lui disant ça, le boxeur corrige sa posture avec ses propres poings. La différence est minimum, pourtant elle est importante.

‟ Tu veux que je te montre ? „ D'un mouvement du menton, il désigne le sac de frappe sur lequel elle s'acharne depuis qu'il l'observe de loin. Comparé au patron des lieux, Loukas se comporte avec plus d'aménité. Là où l'un ferait des admonestations, l'autre préfère user de compassion. ‟ Tu t'entraînes toujours seule ? Ça pourrait t'aider à t'améliorer si tu le faisais avec quelqu'un. „ Ce n'est pas pour juger, ni pour l'inciter à se trouver une paire. Lou soulève les épaules avec un sourire compatissant, comme pour dire à Yujin qu'elle a le choix, que c'est elle qui décide.

Pour une rare fois, ma présence au club de boxe n'avait pas de motivations ultérieures ou de raisons précises. Seulement un peu de maintenance, une manière d'évacuer le trop plein d'énergie et de se garder en forme; un sport parmis tant d'autre. Il est facile pour moi de plonger un peu trop loin dans mes pensées même si la journée s'était bien passé, même s'il n'y avait rien à quoi penser. Alors pour éviter le tout, c'est à un volume plus ou moins saint pour la santé de mes tympans que ma musique de choix grondait dans mes oreilles; du rock, du metal, tant que le son est fort et lourd.

Gauche, droite, gauche droite. Cette fois-ci, sans voix interne pour m'insulter, me rabaisser, je me concentre sur ma technique. Le positionnement de mes pieds, la hauteur de mes bras, la manière de frapper dans le sac. Tout semble être bon, mais en même temps je n'étais pas complètement convaincue. Non, il y a quelque chose qui cloche. Je fais quelques mouvements dans le vide, avant de les répéter contre le sac, tentant de comprendre pourquoi le doute s'était placé dans mon esprit. Est-ce que j'avais, en fait, la bonne technique, mais j'étais si habituée à la mauvaise que la bonne me semble bizarre? Incapable de trouver faute dans mes mouvements, je reprends mon entraînement de plus belle, frappant au rythme des batteries des différentes chansons.

« What the... » Je retire un écouteur vivement, avant de faire pause, baissant mes yeux en direction de mon téléphone. Barbie Girl? Pourquoi ça s'était inséré dans la playlist? À peine la chanson retirée qu'une voix attire mon attention, celle d'un autre sportif, voulant bien faire. Contrairement à mes autres présences au club, habituellement encouragées par mes émotions, ma tête était reposée, mon écoute réceptive. Je le regarde me montrer comment bien tenir mes poings, les sourcils froncés. N'était-ce pas déjà ce que je faisais? Je reprends posture, comme je la connais, pouvant difficilement noter la différence entre nos deux positions. « Comme ça? », demandai-je, confuse. J'hoche la tête lorsqu'il propose de me montrer, sans bouger le reste de mon corps, cherchant désespérément à comprendre mon erreur.

Sa deuxième question touche une petite corde sensible, mais je laisse simplement échapper un soupir. C'est un peu le même reproche que Ye Jun, le propriétaire, m'avait fait quelques temps auparavant. Mais le ton de cette personne-ci se voulait un peu plus rassurant, moins jugeur. Ou peut-être était-ce seulement du à cette différence d'état émotionnel entre les deux événements. « J'avoue qu'en général je viens surtout pour avoir quelque chose dans lequel frapper. Aujourd'hui c'est un peu de mise en forme, c'est tout. » J'hausse les épaules, sans vraiment savoir quoi dire de plus. « Si t'as envie de me montrer des trucs, je suis pas contre. » Je tends ma main vers lui, pour me présenter. « Moi c'est Yujin, au fait. »

Ce n'est pas rare que Loukas aille vers les autres. Il possède ce tempérament sociable l'aidant à sympathiser avec son prochain, tout comme il peut en agacer quelques-uns et lui octroyer une petite poignée d'ennemis. Le blond s'en moque qu'on l'apprécie ou non, les haineux ne changeront pas sa vie. En temps normal, Ye Jun est dans les parages pour qu'il puisse le taquiner, mais pas cette fois-ci. Tant pis, il sait déjà comment faire pour s'entraîner, étant inscrit dans ce club depuis son ouverture. Auparavant, il se rendait dans un autre club qu'il a abandonné pour suivre le propriétaire des lieux. Celui-ci est autant un bon ami qu'un excellent boxeur, capable de la meilleure répartie comme des plus beaux coups. Loukas a beaucoup appris de lui, autant qu'il en apprend des autres. Et s'il peut aider, il le fera à son tour.

Tout comme avec cette personne qu'il capte de loin, dans son coin. Ce n'est pas la première fois qu'il la remarque, mais jusque-là, le blond n'a pas franchi la distance qui les sépare pour l'aborder. Aujourd'hui, il change la donne et vient près d'elle. Sa position n'est pas mauvaise en soi, mais elle risque de se faire mal à force de taper comme ça. La jeune femme l'écoute, tentant de changer sa position, certainement confuse. Un sourire apparaît sur son visage, tandis qu'il demande la permission de lui montrer. Au départ, il voulait juste faire une démonstration avec ses propres poings, mais finalement, il prend ceux de la brune pour corriger le léger écart imperceptible. ‟ Plutôt comme ça. „ Ye Jun serait sûrement mieux placé pour lui expliquer, lui, il ne sait que remettre les poings dans la bonne trajectoire.

La question suivante peut ne pas plaire, il en a conscience, mais ça l'intrigue. Plus qu'un jugement sur sa raison d'être à l'écart, Loukas s'interroge sur ce besoin de ne pas se mêler à d'autres. ‟ Tu n'es certainement pas la seule dans ce cas. Ils ne sont pas si nombreux à viser les championnats. „ Il plaisante, se doutant que la plupart viennent ici pour frapper dans un sac, pour avoir une activité ou pour apprendre à se battre. Loukas regroupe un peu des trois, car c'est efficace sur tous ces plans de faire de la boxe. ‟ Ouais, je suis carrément partant. Qu'est-ce que tu sais déjà faire ? „ Autant savoir ce qu'elle a déjà appris en étant ici et ce qu'il pourrait lui montrer de plus pour l'aider à s'améliorer.

‟ Loukas, mais tu peux m'appeler Lou. „ Un disque qui se répète quand il se présente. C'est plus familier avec un surnom, comme s'il connaissait la personne depuis longtemps. ‟ Tu as commencé depuis combien de temps ? Je t'ai souvent aperçu ici, mais je n'ai jamais fait attention depuis quand tu es là exactement. „ Elle n'est pas obligée de donner une date en particulier, lui-même ne saurait dire quel jour il a débuté la boxe. ‟ J'ai rejoint le grand boss à la création de sa salle. „ Précise-t-il au cas où elle se demanderait, ou même si elle ne comptait pas demander d'ailleurs.

Cet heureux hasard, cette chanson qui s'était insérée dans ma playlist par inadvertance qui me distrait finalement de mon entraînement; il mène à une discussion inattendue, l'aide d'un jeune homme que j'accueille à bras ouvert, l'état d'esprit étant à son meilleur. Il tente de m'expliquer une erreur, mon cerveau ne suit qu'à moitié, la mémoire musculaire incapable de déceler ce qui cloche. Et sans broncher je le laisse manipuler mes poings, j'analyse les légères distinctions, et mes yeux s'illuminent. « Oh! » Un euréka presque perceptible physiquement, un déclic mental qu'il faudra essayer de se remémorer.

Même si la question heurte un peu, ma réponse est sincère, sans prise de tête. Mais l'écho des sentiments de Ye Jun reviennent à l'esprit, des reproches bien placés suivis de promesses d'être mieux, de faire des efforts; des promesses à peine tenues, la nervosité qui prend le dessus et la peur de ne pas être à la hauteur qui surplombe l'envie de rehausser d'un cran mon niveau. Ce n'est pas faute d'avoir essayer. À peine quelques pas faits en direction d'un camarade sportif que les doutes m'envahissent et me forcent à rebrousser chemin, et renouer avec mon fidèle ami le sac, celui qui pourtant me retient et m'empêche de progresser.

Toutefois, le jeune homme arrive à me faire sourire d'un peu de répartie. « Ouais, j'imagine. Mais ça serait plus facile si j'avais un pote avec qui venir, j'crois. » La seule dans mon entourage qui boxe, la seule qui a besoin d'un tel exutoire. Et l'effroi qui m'empêche de m'offrir à ceux qui fréquentent déjà l'endroit, honteuse face à mon niveau, peur qu'on juge un peu trop les manques. « Uuuh, je sais... » En voilà un, manque. L'absence de vocabulaire technique, que la connaissance visuelle de certains mouvements et positions. Alors c'est une démonstration, une petite chorégraphie de débutant effectuée avec Ye Jun quelques semaines plus tôt, quelque chose qui n'était pas parfait à ce moment et qui ne l'est toujours pas. J'hausse les épaules, moue au visage, les mots qui ne viennent pas trop.

« Loukas, c'est joli! » L'esprit part déjà à la dérive, les sourcils froncés, et mes poings frappent dans le vide pour dégager un surplus d'énergie soudain. « Quelques mois, peut-être? C'est ma première année à Séoul et j'avais de l'énergie à dépenser. » Le tout suivi d'une énième démonstration, cette fois-ci avec le sourire; expression qui se change néanmoins en mélange d'amusement et de surprise à la mention du patron. « Oooh, le big boss. Entre toi et moi, il fait peur un peu. » Une petite plaisanterie avec peut-être un petit fond de vérité. Même si notre rencontre solitaire de la dernière fois avait bien terminée, les étincelles y étaient, les coups bas, les reproches faciles. Quelqu'un dont l'opinion est importante et vaut la peine, mais qu'il ne faut pas croiser au mauvais moment. « Du coup j'imagine que tu t'y connais beaucoup plus que moi? Si t'es potos avec le big boss, toussa. » Une hypothèse comme une autre.