Dans son palais, Dok Ja est le roi. Au sommet de sa gloire, il se pavane dans ses tenues de marque. Montre rolex au poignet, bague en argent décorant ses phalanges, jusqu'à la ceinture valant son pesant d'or. Chaque parcelle de son être transpire la richesse et l'opulence, l'outrance de dépenser autant d'argent. Les jaloux et les chiens galeux, il les évente d'un revers de la main. Personne ne peut l'atteindre en haut de son podium, presque personne. Sauf peut-être une tête rousse, sourire mesquin sur les babines et une lueur de luxure dans la rétine. Ce même clébard qui occupe ses songes quand rien d'autre ne les préoccupe. Et il s'enfonce, dans la noirceur de ses réminiscences agaçantes. Il a besoin de boire, d'oublier l'affront fait. Un verre à la main, entouré de tous ces gens, le temps est à la fête et aux négociations. C'est le moment de la soirée, où les groupes se forment, entre telle et telle famille qui complote. Dok Ja, il devrait se prêter à cela, s'immiscer au sein d'un groupe composé de ses parents et des frères, mais l'enfant des Han n'a pas le coeur à entendre parler de contrats et d'idées innovantes.

Il abandonne, lâche prise quand son père et sa mère trouvent des charrettes. Il a perdu ses aînés des yeux, se disant qu'ils font comme lui en fuyant la masse. La plupart des personnes dans ce genre de gala sont vieux ou ingrats. Cette catégorie-là parle de part, d'argent et de signature. Quant à ceux comme Dok Ja, les gosses qui suivent les adultes, ils se retrouvent à discuter entre eux de la fortune de leurs parents. Ils sont nés pour se pavaner, pour faire valoir leurs qualités et leurs capacités. Dommage, la première fortune n'est pas présente, ni son proche ami. Le blond se contente des âmes errantes de ce petit monde sans saveur, à échanger une parole amicale avec l'un ou à prendre des nouvelles avec l'autre. Poli, respectueux, bien sur soi. Où qu'il se range dans la salle, Dok Ja donne toujours cette impression d'être le digne fils de sa famille.

Un masque qui s'effrite légèrement quand son corps se rapproche de celui d'un autre garçon. Personne ne fait attention à eux, ni même au pilote qui se place épaule contre épaule. ‟ Comment on se retrouve, Han Ja. „ Une voix doucereuse, un brin sarcastique. Et il sourit, gardant son expression parfaite pour donner l'illusion aux curieux qui s'intéressent parfois à eux. ‟  Tu es venu avec papa et maman? Où sont-ils? Je pourrais leur dire bonsoir. „ Tout pour plaire, même si ce n'est pas toujours sincère.

Ton insouciance, c’était ce qui te procurait une telle puissance. Une confiance en toi hors norme qu’on t’avait inculqué depuis ton plus jeune âge. Chez les Lee, on ne doutait jamais et on mettait le reste de la plèbe à ses pieds. C’était avec cette idée de grandeur et de supériorité, que t’avais grandi. Imperméable aux remarques et aux insultes, tu t’en amusais. Empereur de ton univers, tu t’accaparais le reste du monde comme Alexandre Le Grand s’était emparé de Babylone. Avec ferveur et conviction. T’étais dans ton élément, au milieu de ces grandes richesses. Tu voguais avec légèreté entre les familles, sourire factice accroché aux lèvres. Trainer dans des galas, jouer les bons garçons, ça faisait partie de tes obligations et tu t’y pliais volontiers pour garder ta place dans ta tour d’ivoire.

Un verre de champagne à la main, tu mourais intérieurement d’ennui. C’était ça le problème, quand on avait tout. Plus rien ne te faisait vibrer. Rien ne te donnait envie. Ton corps se tendait légèrement quand un parfum que tu connaissais un peu trop bien titillait tes narines. T’avais pas besoin de te retourner pour le reconnaître. Ton meilleur ennemi. La seule chose qui avait un peu d’intérêt dans cet énorme cirque. Tu laissais ton épaule contre la sienne alors que tu poussais un peu plus fort. Discrètement. Cet air courtois totalement factice. « Dok Ja. Je me doutais que je te manquais. » Tu lui rendais son sourire alors qu’un éclat de malice faisait briller tes pupilles.

« Tu sais bien que mes parents sont très occupés. » L’un au Brésil. L’autre au Canada. Ou peut-être qu’ils n’y étaient plus ? La vérité c’était que t’avais jamais eu de famille. Juste des géniteurs qui avaient fait de toi une parfaite petite marionnette. « Pourquoi ? Je te comble plus assez ? Je suis déçu… » T’affichais une moue boudeuse en pressant un peu plus ton épaule sur la sienne. C’était courant, ce genre d’échange. De quoi te changer les idées. T’avais aucune passion, sauf celle de l’emmerder.

Si l'encéphale n'est pas occupé par les dialogues pompants des vieux conquérants, tout devient rapidement lassant. Ce genre de soirée profite à ces directeurs et à ces hommes d'affaires, ceux qui cherchent des contacts entre deux dialogues. Les enfants s'y intéressent par respect, pour apprendre des grands, mais il existe des cas comme Dok Ja qui n'ont rien à voir avec tout ça. Lui, il n'en a rien à faire des directives, des reprises d'entreprises ou des signatures à l'encre d'or. Son métier est différent, surtout par rapport aux membres de sa propre famille. Sa seule responsabilité dans la vie, c'est de préserver celles des autres durant les quelques heures d'un vol. Comme on peut s'y attendre dans un fils modèle comme lui, les mots des commerciaux et autres patrons l'ennuient rapidement. Hélas, il ne peut fuir ce monde à sa guise, forcé de rester là, son verre à la main et le sourire aux lèvres.

Une chance pour le noble, il n'est pas le seul cas de cette soirée à se tourner les pouces. Dok Ja trouve sa victime, ce gamin de riche tout comme lui. Peut-être que ce ne sera pas si chiant à vivre, ce gala. De l'extérieur, on dirait deux hommes qui s'adressent simplement la parole, l'un à côté de l'autre. En se rapprochant, on devine aisément la raillerie de l'un face au sarcasme de l'autre. Le blond garde son esquisse et son équilibre, ne cherchant pas vraiment à se faire remarquer par l'assemblée. ‟ Tellement, tu ne peux même pas savoir. „ Minaude le plus jeune, l'expression inchangée sous les paroles surjouées.

‟ Pourquoi viens-tu ici dans ce cas-là ? Personne ne te demande à le faire. Sauf si c'est justement eux qui te le demandent pour combler le vide qu'ils laissent. „ Des parents absents et un fils qui rattrape ce manque. ‟ Ne sois pas si imbu de ta petite personne, Hannie. J'ai été bien éduqué, moi. „ Il pouffe légèrement, un souffle nasale qui se veut moqueur. Le pilote décide de changer sa position, se tournant un peu plus vers son aîné. ‟ Alors, qu'est-ce que tu fous-là ? „ Il veut la vraie raison, s'il est forcé ou si c'est de bonne volonté.

C’était une habitude. D’être ici. D’engager des conversations sans intérêt avec des grandes fortunes pour garder une belle image. Les gracier de quelques sourires et blagues déplacées qui faisaient toujours mouche avec ce genre de caractère. Comme une seconde nature. Tu savais te mêler à tous ces êtres que tu méprisais. Dok Ja, il savait, qui tu étais. Ce que tu cachais derrière tes airs d’innocence. Un véritable sarcasme que tu ne pouvais pas t’autoriser à laisser paraître. Il était une bouffée d’oxygène au milieu de ce troupeau de menteurs. Un instant vrai. T’aimais le taquiner, t’aimais sa répartie. Il brisait le cycle de l’ennui mortel dans lequel tu te retrouvais balloter. Tu perdais jamais la face, tu te laissais pas atteindre même pas ce sujet plus sensible que les autres. Tes parents, ils n’étaient rien de plus que des géniteurs. Aucun d’eux ne t’avait vraiment élevé. Aucun d’eux ne t’avait jamais bordé ou raconté une histoire avant de dormir. C’était comme ça.

« Je suis là parce que je veux mon compte en banque reste bien rempli. Est-ce qu’on peut dire que je me prostitue ? » Tu le disais avec un petit sourire malicieux. T’étais trop attaché à l’argent pour aller à l’encontre des règles principales. Ne jamais te comporter comme un abruti devant les personnes le plus influentes. Ne pas couvrir de honte ton nom de famille. Tes conneries, tu les faisais loin des regards. « Et toi ? Pourquoi t’es venu ? T’as pas un avion à piloter, et des jolies hôtesses de l’air à séduire ? » Tu lui donnais un petit coup d’épaule, discret, juste ce qu’il fallait pour vous donner l’air proche. T’avais pas tellement hâte, de reprendre la direction de l’entreprise. D’avoir des responsabilités. « Tu dois être vachement mignon dans ton petit uniforme ! » Tu taquinais une de tes canines du bout de ta langue, toujours ravi de vos joutes verbales et de cet instant où t’avais enfin le droit de respirer.

Les deux jeunes hommes ne sont pas bien différents sur certains points. Leur place n'est pas parmi ces gens imbus de leur richesse et de leur pouvoir, même s'ils connaissent eux-mêmes leur valeur. Certes, ils ont tout ce que possèdent les autres, sauf qu'ils troquent cette hypocrisie contre une sournoiserie imperceptible. Un sarcasme que le blond retrouve aisément chez son comparse, un sourire fier aux lèvres. Il n'y a pas de sujet sérieux, seulement de la moquerie et des attaques surprises. Hanja a les mots pour faire rire son cadet, qu'ils soient vrais ou totalement faux. ‟ Chacun sa manière d'agir pour survivre. „ Il s'en moque en réalité, que son ami joue sur ce plan là ou un autre. Ce n'est pas son genre de fouiner dans la vie des autres pour pointer du doigt et en rire à gorge déployée. Il s'informe seulement sur ses ennemis, ceux susceptibles de lui pourrir la vie et Hanja n'en fait pas parti.

‟ Pas ce soir, non. J'ai une image à tenir auprès de ma famille. Est-ce qu'on peut dire que je suis un trophée ? „ À son tour d'avoir cette esquisse narquoise. Il ne s'en offusque pas de la fierté de ses parents, aussi sévère ont-ils pu être avec ses frères aînés. Dok Ja sait qu'il a été le plus choyé et couvé, à côté de Damyan et de Naeun. ‟ Ça te tente ? „ Provoque le pilote en levant le menton. Son uniforme, c'est son trophée à lui. Ce ne sont pas ses parents qui l'ont aidé à être aux manettes de gros avions, ni de plaire aux hôtesses d'ailleurs. Il a fait son parcours seul, de ses propres mains. ‟ Tu ne trouves pas qu'on étouffe ici ? Et si on allait un peu dehors respirer le bon air de Séoul ? „ ça l'arrangerait bien à lui de se faufiler au travers de cette foule et de se libérer de cette pression sociale qu'impose la haute sphère. ‟ Sauf si tu préfères continuer à sourire bêtement à tous ces gens qui en ont rien à foutre de notre présence. „ Dit-il, avant de saluer poliment deux hommes passant trop proches d'eux, un faux sourire en guise de parade.