Arrêter de penser. Arrêter ce flot incessant de pensées envahissantes qui étouffent, essayer d'ignorer cet appel soudain aux actes qu'il ne faut pas commettre. L'envie de hurler, donner des coups sur quelque chose, sur elle-même, serrer ses mains contre sa gorge pour suffoquer la manifestation physique du trop plein. Et l'inverse, les appels à l'aide qui tentent de s'échapper tant bien que mal, le besoin viscéral d'agripper le tissu des vêtements de l'homme à mes côtés, s'accrocher à cet inconnu comme s'il était la seule source d'espoir, la seule lueur au bout de cet interminable tunnel.

Le corps figé, les émotions trop robustes, l'âme foudroyée par cette abondance interne, cet ouragan émotionnel constant; je me contente d'écouter ce qu'il dit. Garder le focus sur ses paroles, l'unique contact avec la réalité qu'il me reste. Les yeux se ferment, les images défilent; des jours meilleurs où les rires sont nombreux à chaque endroit qu'il mentionne. Des souvenirs partagés avec ceux qui me sont chers, l'imaginaire qui invente des scénarios où ces moments sont avec lui, tentant de déterminer si l'un d'entre eux vaut la peine, s'il y a un endrot où je veux aller plus qu'un autre.

Rien ne vient. Il pose la question mais la réponse n'y est pas. Seules les impulsions, des envies soudaines de cesser d"exister. Les mots ne sortent pas, mais le nouveau flot de larme trahit mes pensées, mes frissons offrent une porte de sortie rapide. Moins avoir froid. De peine et de misère, mes muscles sortent de leur torpeur et ma tête se déplace de haut en bas, timidement. Partir d'ici, rechercher la chaleur, une idée comme une autre. Un échappatoire.

Mes jambes font brusquement mal, mes muscles hurlent leur souhait d'être bougés, de me lever. C'est ce que j'essaie donc, une misérable tentative. Je m'affaisse finalement contre lui, mes membres inférieurs m'ayant échoué. Une plainte s'échappe de ma gorge, mes bras se cramponnent contre ses épaules comme si ma vie en dépendait. Et j'ai mal à l'âme, mal au corps, la misère ne s'arrête plus, et je ne sais plus comment demander de l'aide.

Et les bras rattrapent la silhouette épuisée, sous la déchéance d’un myocarde qui hurle ses peines et s’enlisent dans ces propres torpeurs. Comment en vouloir à quelqu’un qui essaie avec tant de courage ? Comment ne pas pouvoir aider qui se relève sous les tremblements ? Comment délaisser une âme qui quémande un peu d’aide, une main tendue, rien qu’un sourire ou une présence ? Il la serre un peu plus dans ses bras, murmurant des « ça va » et d’autres « tout va bien » au creux de l’oreille de la brunette éreintée. Cela n’est sûrement pas suffisant, loin d’être apaisant, encore moins compréhensible. Il ne peut pas se mettre à sa place, de ce qu’elle a vécu, de ce qu’elle combat encore aujourd’hui. L’illustrateur n’offre qu’un espace éphémère pour qu’elle évacue le chagrin qui l’accable sans rien demander en retour. Il n’en a pas besoin, tant qu’elle se relèvera les jours d’après. Tant qu’elle finira par sourire à la vie, l’oublier et vivre ce qu’elle est censée être. S’épanouir, tout simplement.

La tenant fermement, il se relève en la gardant dans ses bras, ayant attrapé la couverture pour l’entourer autour de cette fragilité qui a tant besoin de réconfort. La berçant doucereusement en se déplaçant vers les affaires délaissées. Il la rassure par des sourires, malgré le laborieux exercice à tout attraper, remerciant intérieurement ses soirées à la caserne et les taquineries de ses collègues pour le rendre si polyvalent. « Tout va bien, Yujin. ». Il rassure, entrant dans le bâtiment et se coupant ainsi de la fraicheur hivernale. Ses muscles le remercient gracieusement, sous sa respiration contrôlée, les rétines dérivant entre celle qu’il tient vigoureusement et le chemin à suivre. Le bras autour des épaules et l’autre sous les genoux, si légère sous ses bras, la paume caressant le dos pour mieux apaiser la souffrance. Même si cela ne sert à rien, la nervosité de vouloir faire mieux. Toujours plus.

De venir contre un mur le temps d’un instant, fixant les escaliers qu’il n’est pas encore prêt à dévaler. Tant qu’elle n’en a pas encore envie. Peut-être le temps de tarir les perles salées et de reprendre contenance. Il peut la cacher du monde, l’extraire des regards, mais ne pourra rien contre ces démons rampants dans les terminaisons nerveuses et qui dévorent tout. Les sacs aux sols pour mieux encercler ce corps léger. Eros, il est dépassé par ce qu’il a à réaliser, il craint que tout soit mauvais, de faire de travers, de persister vers quelque chose de tragique. Mais il essaie. « Je vote pour des chocolats chauds, sous la couette et avec un film. Tu aimes ça, ce genre de plan ? À regarder quoi ? Harry Potter ? ». Vers les plus belles des poésies, si loin de cette réalité dérangeante.

Mon corps se trahit, il s'échoue contre cet homme qui le rattrape immédiatement comme par réflexe, comme s'il devait le faire à tous les jours, comme si sa vie en dépendait. Les doigts fermement refermés contre le tissu malgré la douleur, les phalanges meurtries qui ne sont pas prêtes à être utilisées; la tête gît contre son épaule, incapable de se tenir d'elle-même. Mes yeux se referment, mon âme profite de ces bras qui se resserrent et de cette douce voix qui fait renaître un semblant d'espoir. Tout va bien, des mots auxquels on tente tant de croire, qu'on sait souvent être faux, mais qui donnent envie.

Surpris, mes yeux se rouvrent alors que mon corps quitte le sol glacial, alors qu'il retrouve un peu de chaleur auprès de cette couverture et des murs qui bloquent la brise hivernale. Mes mains ignorent cet appel à l'aide des jointures qui n'en peuvent plus et se resserrent davantage de peur de tomber, mes muscles ne savent pas s'ils doivent se crisper sous le choc ou se relaxer grâce à ses promesses, à sa main qui caresse tendrement mon dos sous mes frissons qui s'estompent lentement. L'envie de retourner au sol se présente, le refus de passer pour quelqu'un d'incapable de marcher d'elle-même, le désir viscéral de prouver à tous que Yujin est capable de tout faire, qu'elle est forte, imbattable, inébranlable. Des mensonges que, fut un jour, je croyais moi-même. Mais plus maintenant.

Il s'arrête près du mur et des escaliers, et mon souffle se met peu à peu à revenir à la normale, les sanglots se calment au même rythme que les frissons. Mais mon coeur n'est pas prêt à lâcher prise, il est si confortable dans ses bras, là où tout semble sécuritaire, dépourvu de danger ou de tracas. Et ma tête hoche de haut en bas frénétiquement, sans trop savoir si mes cordes vocales sont capable de répondre à sa question. Mais elles essaient, elles trouvent la force. « M... Mario? » Un pathétique petit rire s'échappe, comme si la mention d'un film pour enfant méritait une risée. Et sachant que la parole est revenue, j'ose un peu plus. « Je peux marcher, t'inquiètes pas pour moi... » Sans trop savoir si les jambes seront d'accord avec la déclaration, sans trop vouloir redescendre au sol par moi-même.

Un léger rire s’essouffle en tenant la jeune femme dans ses bras. « Va pour Mario. C’est un bon choix. ». Il se le rappelle vaguement, prêt à le visionner une nouvelle fois si besoin. Une promesse qu’il ne tient pas à n’être qu’une vague à l’âme pour celle qui mérite d’être embaumé de réconfort et de joyeuseté. L’illustrateur peut lui offrir la première, néanmoins, la deuxième lui parait quelque peu périlleuse, n’étant pas à même d’être amusant ou le plus bavard, malheureusement. Il offre ce qu’il peut, sans pour autant pouvoir à la hauteur des espérances, un échec parmi tant d’autres qu’il essaie de palier sans succès. « Est-ce que je peux te garder encore un petit peu dans mes bras ? S’il te plait. », quémande-t-il doucereusement. Pour lui ou pour elle, toutefois peu encore prêt à céder à ce bouclier qu’il donne depuis le début.

Sans nul doute par crainte qu’elle ne se dérobe s’il finit par la lâcher. Qu’elle s’en aille et l’abandonne à cette cage d’escalier. Et si l’éventualité de tomber se fait, il sera le premier pour la rattraper et la relever dans le cocon qui lui offre gentiment. Avec tout ce qu’il ne possède pas envers sa propre personne. Les minutes s’allongent, se perdant dans cette forme qu’il n’a pas si souvent, qu’il aimerait recevoir bien plus qu’inespéré. Qu’il puisse servir à quelqu’un, qu’il peut être utile et bien. Avant de partir définitivement pour le bien commun de tous. L’ombre sur les tableaux, la crasse dont on arrive à se débarrasser, l’embarras de l’avoir à ses côtés. Sous les bras qui dérivent de leurs chemins, s’ouvrant avec une lenteur désespérée pour faire tenir la petite sur ses pieds. Les doigts tenant sa main pour qu’elle puisse se repérer dans l’espace, ne pas trébucher sur ses semelles et moins tremblantes.

« On y va ? ». C’est elle qui prend les rênes de cette aventure, le chevalier blanc qui pourra détruire tout sur le passage et s’épuiser pour que tout soit sain et sauf. Si elle décide de rebrousser chemin, il sera là. Si elle souhaite dévaler les escaliers et courir dans les ruelles, il le fera avec elle. Si elle s’écroule en réclamant un cocon, il ouvrira de nouveau ses bras pour l’accueillir et l’aider. Qu’elle ne pleure plus, qu’elle puisse se réjouir de tout. Il récupère les affaires, lentement et garde la main dans la sienne. « Prête ? ». Ils ne le seront jamais vraiment.

L'entendre rire à l'unisson du mien réchauffe un peu mon coeur, aide ma tête à chasser peu à peu cette tempête, la brume émotionnelle qui carbure les sanglots venant un peu trop facilement. Le courage revient au galop, l'envie d'être indépendante et de ne pas le forcer à tout faire s'emparre de moi. Peut-être un peu trop; il souhaite que je reste dans ses bras, dans ce cocon protectif si confortable. Comme s'il savait que, réellement, je n'étais pas prête à poser le pied au sol. Et comme s'il n'était pas prêt à lâcher prise, lui non plus. Un malheureux mélange, le protecteur qui n'ose pas lâcher prise, et la protégée, effrayée de voler de ses propres ailes.

Respecter son souhait n'est peut-être pas si mal, au final. Ma tête se dépose contre son torse, mes yeux se ferment. Je m'enveloppe de ce rare confort, cette chaleur que ses bras apportent qui m'est souvent étrangère, impossible à attraper. Les minutes passent et nos souffles se synchronisent au rythme des battements de nos coeurs, la tranquilité dans l'esprit. Pendant un instant je sens mon âme s'envoler vers le pays du sommeil, les rêves qui essaient de se joindre de la partie même si l'endroit n'est pas propice, même si on sait bien que ce ne sont que des cauchemars bien déguisés, prêts à faire souffrir lorsqu'on s'y attend le moins.

Mais tout est si confortable.

Le retour à la réalité frappe un peu fort; mes pieds touchent le sol sans que ma conscience ne sache trop ce qui se passe, les pensées toujours embrûmées par ce moment passé où les inquiétudes n'étaient que lointaines. Ma main serre la sienne un peu trop fort, mon visage se crispe à nouveau sous la douleur provoquées par les jointures toujours brisées, la blessure trop récente. Et, malheureusement, mes jambes semblent vouloir lâcher; mais heureusement, lui, il est là. Ma main libre agrippe son bras comme point d'appui, ma tête se fond à nouveau dans son torse mais cette fois-ci par accident, le corps fait ce qu'il veut. Lentement mais sûrement, les muscles veulent travailler, faire leur part; et je me relève, je teste mon équilibre.

« Ouais, je crois. » Prête physiquement, et c'est tout. Mais la vue des escaliers me donne le vertige; et soudainement, je doute de ma réponse. « Est-ce que tu peux y aller en premier? » Pour éviter de tomber à la renverse dans le vide, pour éviter une catastrophe que je mérite peut-être, mais qu'il ne mérite pas d'observer.

Les yeux de l’illustrateur s’adoucissent lorsqu’il coule un regard sur la petite au courage immense, sans que sa paume quitte l’autre de son socle. Un sourire délicat et légèrement inquiet jouant sur ses lèvres. « Oui, pas de souci. », fit-il avec le même timbre, ramassant les sacs pour mieux les porter à son dos. L’assurance lorsqu’ils se déplacent vers la cage d’escalier. Tombant d’un pas, se tournant de côté pour la garder dans son champ de vision. « Allons-y ? », fut prompte à dire Eros avec affabilité, plus adroit encore à garder la main enchevêtrer et incliner celle-ci lors de la descente fragile de sa comparse, sans chercher à la bousculer.  

Et empêcher une chute malencontreuse. Il ne sait rien sur la jeune fille qui dépasse une marche après une autre, n’ayant entendu que des bribes d’histoires qu’elle a partagées sur le toit quelques instants plus tôt. Et serait capable d’écouter ses diatribes excitées, ses plaintes en larmes et ses éloges sans nul doute attachantes envers un moment heureux. Quelque chose d’assez tangible pour l’énoncer et le connaitre, le répéter et s’en extasier. Enfin, à travers les récits de mésaventures, de conversations touchantes et des bêtises hilarantes qu’elle connaitra. Il le lui souhaite de tout son cœur.

Peu importe le temps que cela prendra, comme ses marches impressionnantes et si longues. Quels que soit les pleurs et le florilège dénigrant qui se recourbera sur soi lors des tempêtes sifflantes, il porte un espoir sain qu’elle puisse chasser ses nuages noirs et trouver le paradis du bout des doigts. L’indulgence bouillonnant sur son faciès, lorsqu’un étage est réalisé. Puis un deuxième et peut-être un troisième. « Pause ? ». Soufflant quelques secondes, réajustant les sacs sur son épaule. L’attente comme du miel dans une lumière feutrée, coulant à travers leurs silhouettes et laissant des trainées chauffantes dans son sillage. « On reprend quand tu veux, tu sais. ». Nul besoin de précipitation.

Eros cloisonne la quantité d’émotions qui le frappe à la vue de cette boule de ténacité lorsque lui-même s’échoue dans son propre océan sans fond. Il n’est pas préparé à se sentir submergé d’incapacité, de culpabilité de haine si tenace de ce qu’il ne peut accomplir en comparaison. De ce souffle qui essaie de se contrôler par un sourire délicat, de ses pas chancelants lorsqu’ils descendent des marches supplémentaires, hésitant durant une fraction de seconde à remonter pour se perdre. Toutefois, il ne peut pas l’abandonner, l’encourageant de son regard, sautant comme un enfant pour qu’elle l’accompagne. Déjouant les pensées vers des enfantillages et transformer les songes loin de l’imagination malheureuse.

Le vertige qui s'amène au galop, la soudaine assurance que mes muscles pourront prendre le dessus qui s'évapore en un claquement de doigt. Chancelante sur mes pieds, incertaine d'être capable de mettre un pied devant l'autre sans tomber à la renverse. Mes mains qui agrippent peut-être un peu trop fermement le bras d'Eros, me faisant tressaillir sous cette douleur perçante qui naît à mes jointures et qui parcourt l'ensemble de mon bras jusqu'à mon épaule. L'envie de me maudir, en cet instant précis, de m'être battue; que si rien ne s'était passé, qu'il n'y aurait pas de blessure. Qu'un inconnu ne serait pas là à s'inquiéter de quelqu'un qui n'en vaut pas la peine, que les tracas ne seraient que moindres.

Les étages défilent lentement, accompagnés du doux son de nos respirations haletantes par l'effort et l'air glacial. Et sans lâcher prise, mon corps prend pause en même temps que le sien. Ma tête hoche d'elle-même en réponse à cette demande pour une pause, le corps qui a besoin d'un moment de répit, le vertige qui s'en va tranquillement mais la nausée qui reste toujours aux aguets. Et il y a cet esprit de compétition qui renaît comme un phénix dans ses cendres. Il est toujours là, timide mais implaquable; cette pulsion qui semble être parfoit le seul carburant qui nourrit cette méprisante carcasse qui ne souhaite qu'arrêter, mais qui en est incapable. Et il dit qu'on peut reprendre quand je veux, à ma guise; mais cette faible braise interne refuse de s'éteindre. « Allons-y. » Mais malgré les ardeurs, mon corps reste collé fermement au sien, incapable de faire deux pas sans vasciller.

Mais au moins, comme ça, nous arriverons tous les deux à l'extérieur.
Sains et saufs, pour le meilleur ou pour le pire.

Il y a quelque chose d'un peu pathétique mais d'à la fois drôlement poétique, d'avoir besoin de s'agripper à cet inconnu comme s'il était la seule chose qui me retient sur cette terre, qui empêche mes démons de me noyer et ce nuage du désespoir ne faire qu'une bouchée de ma pauvre âme perdue. Incapable de lâcher prise, la panique qui prend le dessus, qui engloutit toute lueur d'espoir qui aurait pu naître lors de cette descente vers le rez-de-chaussé et lorsque la froide brise de la nuit heurte nos visages de nouveau. « Ne part pas... » Une simple demande, un peu égoïste; l'effroi que tout sera à recommencer s'il quitte, l'impression que quelque chose de grave arrivera si on me laisse seule avec mes pensées.