L'envie de m'enfuir était toujours aussi présente. Les regards qui me fixent sans cesse, les murmures qui ne s'arrêtent pas, l'impression d'être ce monstre ambulant que tout le monde fixe et tout le monde évite. Ce soir comme n'importe lequel autre soir, j'ai failli prendre mon sac à dos et m'évader, trouver un autre coin où passer quelques heures avec moi-même, éviter les foules et les jugements. Mais, ce soir, la raison aura gagné la bataille contre mes émotions et mes impulsions.

J'ai envoyé un message à Heiran avec un rendez-vous. 19h, en face du escape room où Mika travaille, stat.

Elle a répondu à l'appel, sans se poser de questions, on dirait. Elle est là, à l'heure, vêtue de son énergie habituelle. J'espérais vraiment que ça soit contagieux. J'en avais besoin, après tout. « Devine qui nous a trouvé des rabais d'amis » Je lance ça, sourire un peu forcé aux lèvres, brandissant des coupons que Mika avait sans doute sorti des boules à mites. Notre jour de chance à toutes les deux, non? « En plus, apparemment qu'il y a une nouvelle room qu'on peut faire à deux! »

En vrai, je ne lui avais jamais demandé si elle avait envie d'être ici, bien que sa présence sur les lieux était probablement signe implicite que oui. Et puis, d'habitude, Heiran est toujours partante pour tout. D'habitude j'aurais demandé avant de m'embarquer, mais aujourd'hui j'avais besoin d'une distraction, quelque chose à faire pour ne pas que ma soirée tourne à la catastrophe comme les autres. Alors nous sommes entrées. Étais-je un peu déçue que ce ne soit pas Mika, à l'entrée, pour nous accueillir? Un peu. Mais en même temps, voir l'expression dans le visage de l'employé quand il a vu nos rares coupons valait la peine.

Tu disais jamais non à une sortie. Encore moins quand ton amie pouvait avoir des réductions. T’étais pauvre, tu l’avais jamais caché et t’en avais pas honte. Tu puisais parfois dans tes petites économies pour t’offrir de petites aventures, mais tu restais concentrée sur ton rêve même s’il semblait encore très lointain. Il en fallait beaucoup, de l’argent, pour ouvrir son entreprise. T’y pensais pas quand tu trottinais jusqu’à Yujin avec toute ta bonne humeur. Tu laissais jamais rien briser cet optimisme auquel tu te raccrochais. Parce que tu savais que si tu t’effondrais, tu pourrais jamais te relever. « On peut compter sur toi pour les bons plans ! » T’aimais ce genre de jeu. T’aimais surtout passer du temps avec elle.

Tu passais ton bras autour de ses épaules pour l’entrainer jusqu’à l’accueil et tu bombais la poitrine avec fierté devant le regard de l’employé. C’était grâce à Mika tout ça. Tu penserais à lui ramener des gaufres la prochaine fois. « C’est quoi le thème de la salle ? J’espère que c’est pas un truc d’horreur. » Tu frissonnais rien que d’y penser. Tu savais faire plein de choses, mais certainement pas gérer tes angoisses. « T’as une petite mine, t’es sûr que ça va ? » que tu demandais en avançant vers votre terrain de jeu pour la prochaine heure. Tu ressentais les choses, t’avais beaucoup d’empathie. Le problème c’était que t’étais pas la plus douée pour réconforter ou donner de bons conseils. La vie t’avait pas épargné mais niveau expérience, tu restais au ras des pâquerettes.

On entre dans le commerce, son bras autour de mes épaules, et un sourire sincère sur mon visage. Une rare vision, ces derniers temps; mais aidée par l'honnêteté de Heiran dans ses propos, sa bonne humeur, sa visible envie d'être ici avec moi qui dissipe mes doutes. Nos coupons se retrouvent sur le comptoir, et l'employé nous regarde comme si nous avions imprimé nos propres rabais. Si bien qu'il du vérifier l'espace d'un moment la véracité des coupons, si bien qu'il laisse échapper quelques « wow » choqués quand il se rend compte qu'ils sont vrais. Mais c'était pas gratuit, tout ça, même si les coupons coupaient le prix de presque son entièreté. Ainsi je me défais de l'emprise de mon amie, le temps de payer nos deux places. « C'est moi qui paye! », lançai-je en déchirant la facture et cachant les morceaux dans la poche de mon jeans. Ma façon à moi de la remercier de toujours être là malgré tout.

« On connait Mika, t'inquiète on a pas besoin d'instructions on connait le principe. » Je réponds à la question de l'employé poliment, qui lui, hausse les épaules en guise d'acquiesement avant de nous donner une petite feuille qui ne fait qu'expliquer le contexte. Je la range dans ma poche, ne voulant lire qu'à notre arrivée. Et puis, en même temps, ça permettait de garder un peu le suspense sur le contexte de l'aventure d'une heure que nous nous sommes offerte. En route vers la salle, elle pose justement cette question; et je la regarde, amusée. « Dunno. T'as peur? » J'ai le ton léger, blagueur. J'ose espérer que la salle en duo n'a pas un thème trop effrayant, quelque chose de peut-être plus apte à de plus gros groupes. Mais it is what it is. Moi non plus, je n'aime pas trop l'horreur, mais si je devais être celle qui a le courage, aujourd'hui, je le serai.

J'ignore volontairement sa deuxième question, celle sur mon état; faisant mine de ne pas avoir entendu. C'est que je sais que j'aurais répondu la même chose qu'à l'habitude, que oui, tout va bien, je suis juste fatiguée, de ne pas s'inquiéter. Même si tout ça est un mensonge, réellement. Mais aux côtés de Heiran, je n'étais pas certaine si j'allais réussir à tenir bon si j'embarquais dans le sujet. Alors je préfère ignorer, et je pousse la porte de la salle moi-même, à la découverte de son contenu. « Ça m'a l'air très médiéval tout ça. » Loin de l'horreur qui nous effrayait tant toutes les deux. Je sors cette feuille de ma poche, finalement, et commence à lire la petite mise en scène. « Vous êtes deux jeunes écuyers en quête d'un trésor pour prouver au roi que vous avez l'étoffe d'un chevalier. Vos recherches vous mènent à une tour malheureusement ensorcelée, qui vous empêche de vous enfuir avec le buttin. Saurez-vous réussir à vous échapper et faire honneur au roi, ou allez-vous servir de repas au dragon qui a fait son nid au dessus de la tour? Woah c'est cool quand même. » Je tourne sur moi-même quelques fois, essayant de trouver par où commencer.

T’avais des étoiles dans les yeux, quand elle t’invitait. Une véritable preuve d’amour pour toi, si proche de ton argent. T’étais focalisée sur ton avenir, sur ce rêve que tu comptais réaliser. A force de courage et d’obstination. Tu pressais Yujin contre toi, avant de frotter ta tête contre la sienne comme le ferait un félin reconnaissant. « T’es vraiment la meilleure. » Tu gardais ton sourire en restant fière face à l’employé. T’étais pauvre, c’était la vérité. T’en avais jamais eu honte et le premier qui te regardais de travers, tu lui refaisais le portrait. « J’ai peur de rien ! » que tu répondais un peu trop rapidement. En fait si, t’avais carrément la trouille des films d’horreurs et de ce genre de jeux idiots qui consistaient à se faire peur. T’avais peur de beaucoup de choses. Tu passais la moitié de ton temps à pleurer, à évacuer toutes tes émotions à travers tes larmes. De joie, de tristesse, de colère.

T’acceptais son refus de répondre à ta question et tu te concentrais sur la salle. « Médiéval, c’est bien. » Ou pas. La peste. Les tortures. La chasse aux sorcières. Tu te penchais sur son épaule pour lire en même temps et te familiariser avec le contexte. Tu voulais gagner. Parce que t’étais une battante et que tu lâchais jamais rien. « Un trésor ?? Je repars pas sans ! Le dragon n’a qu’à bien se tenir. » Tu comptais la moindre de tes dépenses. T’avais des dizaines de carnets chez toi pour gérer tes comptes et ceux de la famille. Hors de question que ton frère manque de quoi que ce soit. Et si tu savais que tu ne sortirais sans rien réellement, ton esprit de compétition s’allumait.

« Bon. Est-ce qu’il faut trouver une clé ? Ou il faut conjurer le sort pour sortir ? » Tu faisais le tour de la salle à la recherche d’un cadenas ou d’indices pour savoir comment trouver la sortie. « Si y’a pas de cadenas, faut peut-être trouver un grimoire ? » T’en savais rien. T’étais vachement excitée. Là tout de suite, tu pensais à rien d’autre que gagner. Tu laissais le reste derrière toi.

J'ai peur de rien, qu'elle dit, alors que je sais clairement que c'est un mensonge. Elle bombe le torse, l'air d'être beaucoup plus courageuse qu'elle ne l'est vraiment; et ça a le don de m'arracher un petit rire dont j'avais tant besoin. Surtout que ce sourire m'aide d'une certaine manière à éviter cette question fatidique, celle dont j'évitais les raisons en ce même endroit avec mon amie, espérant que la tempête passe, que la foudre se calme. Je passe mon bras autour de ses épaules en marchant, la rapprochant de moi amicalement, sourire aux lèvres. « On va voir si t'as vraiment peur de rien quand ils vont nous sortir un truc genre araignées ou je sais pas! » En vrai, j'espérais que non.

Et justement, ce n'était rien d'effrayant; plutôt quelque chose de fantastique, médiéval. Mise en scène lue, je tourne sur moi-même, essayant de trouver par où commencer. Elle fait de même, à la recherche d'indices sans doute. Elle mentionne même une clé ou un... sort à conjurer? « J'ai pas pris le cours de magie à l'université, du coup si on doit conjurer un truc on est dans la merde. » Plus sérieusement, j'inspecte le tout, surtout la porte qui s'était bien refermée derrière nous et le mécanisme pour nous laisser sortir. « On dirait un mix de cadenas et de... uuuh... » Il y a des trous dans le mur, lui-même bloqué par une grille cadenassée. Les sourcils froncés, je ne termine pas ma pensée et je repars à la recherche d'indices à vitesse grand V, faisant les cents pas dans la pièce. « Des trous... ah! Peut-être qu'il y a des genres de cristaux magique à y mettre pour ouvrir la porte? Mais faut trouver les clés avant. »

Une petite section illuminée de bleu attire mon attention; et je remarque finalement la même chose pour chaque couleur des trois autres cadenas: jaune, vert et rouge. Je claque des doigts quelques fois, les yeux grands ouverts, le cerveau soudainement en marche. « Oh oh oh ok ok ok ok!! Donc y'a un truc à faire à ces quatre endroits là avec la couleur pour les quatre clés, et ensuite faudra trouver les cristaux I guess! » Au moins, on savait par où commencer, maintenant.