“Je comprends pas pourquoi, Val !” Elle hurle, l'actrice. Ça fait trop longtemps qu’elle est au téléphone, à essayer de débattre. Elle veut ce foutu rôle. Jouer les gosses de riche insupportables à l’écran, elle connait trop bien, Eve. Elle est une gosse de riche insupportable. Eve, elle n’a pas besoin qu’on lui apprenne ce rôle-là, c'est le rôle de sa vie. Elle le connait par coeur. Et oui, c’est bien marrant de jouer les pestes, les vilaines, les sorcières pendant un temps mais ça fait bientôt trois ans qu’elle est à la V ent. et elle pense mériter mieux que ces rôles répétitifs. On lui a vendu des étoiles et a promis qu’elle les atteindrait mais ne veut pas, Eve, pas comme ça. Pas coincée dans les mêmes stéréotypes. Le public sait déjà qu’Eve est une diva, une princesse qui ne demande qu’à être le centre de l’attention constamment. Elle veut se renouveler, encore et toujours. Elle veut de nouveaux fans qui l’aimeront pour cette nouvelle facette. Ne mérite-t-elle donc pas tout l’amour du monde, Eve ?

“Tu sais quoi ? Va te faire foutre, okay ? J’vais en parler avec Vox.” Et avant même qu’il n’ait pu dire quoi que ça soit, Eve a raccroché et a balancé son téléphone à l’autre coin de son salon. Son troisième déjà, cette année. “Fais chier …” qu’elle souffle, la mâchoire serrée. Elle ne comprend comment un homme qui a promis de la traiter comme une princesse peut la garder en captivité de la sorte. Mais au fond, ça fait sens. C’est digne des plus grands contes de fées, ce genre de storyline pourrie. Elle soupire, tente de se calmer. Elle a envie de tout casser. Elle prend la première chose qui lui tombe sous la main pour le lancer. Malheureusement son dévolu tombe sur un petit coussin, trop mou, trop inoffensif pour la soulager. Elle hurle, fort. Si Val ne l’aiderait pas, elle prendrait son destin entre ses main.

Carte de crédit quasiment balancée au visage du conducteur de taxi, elle quitte la voiture en claquant la porte derrière elle. Elle passe les portiques du bâtiment. Elle marche d’un pas sûr, déterminée. Peut-être qu’elle fait un peu peur, Eve. Elle remarque que certaines personnes évitent son chemin. Très bien, tant mieux. Le bouton de l’ascenseur abusé d’une force qui est loin d’être nécessaire juste pour l’appeler mais elle souffle encore, l’héritière, agacée que tout soit si lent. Elle avait besoin d’être à l’affiche d’un nouveau k-drama hier.

L’ascenseur annonce son étage et la princesse continue vers sa destination. Elle pousse les portes sans frapper. Vox est-il en réunion ? Peut-être, et alors ? Elle se dirige droit vers son bureau sans attendre une seconde de plus, d’un geste fluide, elle relève ses lunettes de soleil sur le haut de sa tête. “On a un problème” qu’elle dit fermement en s’appuyant de ses deux mains sur le bureau de Vox. Pas question qu’elle patiente encore, Eve. C’est maintenant et c’est tout de suite qu’on va régler ce problème.

Le corps pivote et les lunettes descendent légèrement de son nez. Vu l’expression de la jeune femme, il semblerait qu’une dispute a encore éclaté avec Val. Pour ne pas changer. Les manches remontées, il dépose son verre, grand dieu qu’il en aura besoin, et retire ses verres. Ses pas s’avancent lentement, les bras ouverts afin d’accueillir la starlette. « Somin ! Ma diva. Que se passe-t-il donc ? Viens là, tu mérites mieux que de rester ainsi. ». La laissant passer devant lui, il roule des yeux dans son dos, connaissant déjà la raison, et la suit pour lui indiquer l’un des canapés luxueux de la pièce. Les poissons s’agitent dans l’aquarium géant, désertant leurs places pour se cacher. Vox lui sert un nouveau verre, lui déposant dans les paumes. Les princesses ne font rien par elles-mêmes, c’est évident. Il vient se placer de l’autre côté, les jambes croisés et l’air faussement intéresser.

Il saisit mieux la colère de son interlocutrice et soupire intérieurement. Il lui décoche un faciès penaud. « Je suppose que ce rôle est souhaité et qu’il pourrait t’aller à merveille. Après tout, tu es douée en tout. ». Du moins, de ce qu’il sait et vraisemblablement, l’argent reçu, les marques et les fans le prouvent. Lui en voit les profits, les autres sont là pour cela, après tout. Il se nourrit des vidéos, des reposts et tous les commentaires qui agrandissent sa notoriété. Dans le courant contraire de l’aspect si lisse et doux. Aujourd’hui, les gens veulent la vérité, pas de faux-semblant pour s’en abreuver et en vomir une fois la déception présente. La V. ent ne promet que de l’authenticité. À quelques détails près, évidemment.

« Ma douce diva. Tu sais que tu mérites le meilleur, n’est-ce pas ? Si je suppose le choix de Val, c’est que le rôle n’allait très certainement pas te mettre en valeur. Budget limité, scènes stéréotypés, peut-être ? Tu ne préfères pas jouer un rôle dans un drama singulier, où les regards vont se tourner, même à l’international ? Il doit éplucher les meilleurs scénarios pour que tu sois au-devant des autres. N’est-ce pas là ta place ? ». Mais que peut-il dire entre les crises de nerfs de chacun, à part déambuler entre les verres cassés. Le quotidien, en somme.

Elle plisse les yeux, Somin, devant cet accueil un peu trop chaleureux. Si elle dira qu’il est trop mielleux, son ego démesuré apprécie néanmoins les tentatives flatteuses. Vox, il a ce certain charisme, celui qu’on ne peut décrire avec les mots. Il a cette aisance, cette présence qui, sans vraiment qu’elle ne puisse l’expliquer, la calme un peu. Depuis le premier jour, il a su comment lui parler, à Eve. Peut-être usait-il ses dons d’orateur pour lui vendre du rêves. Peut-être bien mais le fait est qu’ils forment une bonne team. Eve, elle fait plus de bruit en temps qu’actrice qu’elle n’en a jamais fait en étant idol — si on exclut le scandale des Goddess, évidemment. Elle s’installe, saisit le verre qu’on lui tend sans même le regarder, trahissant l’habitude qu’elle a de ce retrouver là, sur ce même canapé, à boire dans le même verre, la même boisson avec glaçons. Alors elle soupire dramatiquement et elle explique tout, en long, en large, avec les détails qui n’en valent pas la peine parce qu’elle veut qu’il comprenne, Vox, que la princesse en a assez d’être coincée dans les mêmes scènes scriptées.

Douée en tout. Elle ricane un peu. Évidemment, qu’elle est douée en tout. Elle est Kwon Somin. Elle est Eve. Elle est née pour être devant les caméras, sous le feu des projecteurs, sur le devant de la scène et c’est exactement pour ça qu’elle a besoin de plus. Elle jette ses cheveux par dessus son épaule d’un revers de la main, attendant que Vox règle tout, lui donne une solution miracle mais il ne lui sert que des questions rhétoriques. Le sourire charmant sur les lèvres, des battements de cils qui rendraient toutes les biches jalouses. « Et où sont donc ces scénarios ? » qu’elle demande d’une voix trop douce pour être sincère. « Tout ce que Val me propose, pour le moment, sont des rôles que j’ai déjà mâchés et vomis, tous dans la même envergure. Je veux quelque chose d’autre. » Le sourire a disparu. « Alors maintenant quoi ? » Le regard s’assombrit. Elle attend toujours, la princesse Eve, qu’on lui donne quelque chose sur un plateau d’argent.

L’envie de rouler des yeux est palpable, si tentant qu’il la réprime avec un sourire chaleureux, la même figée sur ses traits depuis l’arrivée de la princesse. En dehors de cette principauté exaspérante, il doit avouer qu’elle possède des caractéristiques alléchantes, content de pouvoir l’avoir dans son entreprise. Il claque des doigts, les jambes repliées et ne se retrouve aucunement découragé par le regard assombri. Rien ne pourra souffler aussi fort que sa rage et sa violence, après tout. « Alors, on attend les offres. Les œuvres cinématographiques ont besoin d’être sélectionnées avec attention. La négociation envers les rôles les plus avantageux, plutôt qu’un passe-partout ne permettant aucunement l’élévation méritée. Tu es indétrônable, Eve. Et ce n’est pas demain que tout s’écroulera. ».

Il bravade, tissant une toile entre véracité et propos brumeux. Cela n’étant pas spécialité, il ne peut tout de même pas atténuer sa fonction première : enjôler même les battants les plus acides et saupoudrer les regards d’espérances qui se réaliseront. « Les périodes sont à étudier. Connaissant Val, il doit très certainement posséder plusieurs scénarios correspondant à ta demande et démantèle les têtes d’affiches pour donner raison à ta mise en valeur. Néanmoins, j’aimerais te demander. ». Il avance quelque peu le buste, comme s’il allait confier un secret sous ses lunettes baissées.

« Jouer le rôle désiré ? Cela est nettement dans tes cordes, on ne nous apprend rien. Entrevoir un personnage plus singulier, ne sachant où se placer ? D’un démarrage innocent vers la décadence sous les influences et les médias ? Une histoire de vengeance si bien ficelée qu’on ne verrait que toi, dans l’avancée, la réussite ? Et si Val cherche plusieurs pistes à ta pluridisciplinarité ? Qu’il ne souhaite pas cantonner au rôle souhaité, mais un éventail de tous les talents que tu nous caches ? ». Il ne brasse pas de l’air. Ou du moins, cela devient une réalité lorsqu’on maintient cette conviction. « Je ne veux pas m’avancer dans ses surprises, sinon, cela n’en sera plus. ». Il soulève les épaules, un peu exagérément, mais lui-même ne connait pas les réactions de Val.

Il n’écoute pas réellement, Vox. Eve, c’est la poupée parfaite. Des éclats de rire, des sourires et elle se pavane comme si le monde lui appartenait. Eve, on dirait le pantin dont tout le monde peut se servir. Elle semble idiote. Elle semble suivre les jolis mots et c’est vrai que souvent, elle le fait parce que c’est plus facile, parce que c’est plus rassurant qu’on s’occupe d’elle pendant qu’elle se prélasse. Elle a envie de croire les beaux mots de son boss. Elle a envie de croire à toutes ces jolies promesses mais elle en a assez, Eve, d’attendre. Toujours attendre la meilleure occasion, toujours attendre qu’on la remarque, qu’on lui donne sa chance de briller. Elle soupire la princesse, fatiguée qu’on lui demande plus de patience qu’elle n’en possède réellement.

Elle balaie ses cheveux par dessus son épaule d’un revers de la main, lasse de cette conversation. « Si tel est le plan de Val, il pourrait m’en faire part, en utilisant une aussi belle prose » qu’elle propose, la brune. « Il n’a peut-être pas tes mots mais il ne me semble pourtant pas compliqué de m’en parler. Suis-je donc vue comme une bête indomptable, Vox ? » Val et Eve, un duo chaos, un duo ravage, duo carnage. Elle l’aime sans doute tout autant qu’elle le déteste. Ça dépend des jours, des heures et parfois même de la minute. « Suis-je une telle diva qu’il est impossible de communiquer avec moi ? » Elle hoche légèrement la tête sur le côté, battement des cils, les yeux crient l’innocence.
Elle joue, encore, la gamine.

« Je pense pourtant que le scénario que je convoitais m’ouvrirait de nouvelles portes. » Prisonnière de sa réputation et ce, depuis son apparition sous le feu des projecteurs. On s’attend à ce qu’elle soit une enfant terrible et c’est bien ce qu’elle montre parce qu’ils aiment ça. Le public adore un bon vilain à détester. Alors elle est là, Somin. Elle est là, Eve pour remplir le vide creusé par toutes ces idoles trop lisses. Pourtant, elle aimerait montrer à ce fameux public qui ne se gêne jamais pour juger, qu’elle, aussi, peut être lisse. Elle peut être à la hauteur de ces idoles qui prétendent la pureté comme si elles n’avaient jamais été touchées par autrui. Bien que le monde entier sait qu’elle est déchue, Eve sait qu’elle peut remonter dans les bonnes grâces de tous. Atteindre d’autres cieux, tel est le but. « N’en a-t-on pas marre d’Eve dans des rôles de pimbêches ? » demande-t-elle, la moue boudeuse. « On n’est pas une agence ennuyeuse qui produit encore et encore les mêmes concepts, n’est-ce pas ? »