La soirée était bien avancée, déjà minuit passée et le balai des travailleurs groupés comme des petits tas finissaient par monter dans leurs taxis après avoir salué poliment un nombre incalculable de fois leurs patrons.
Parmi les derniers fêtards, Tao Fen se trouvait accoudée au bar, une bière à la main, un verre d’eau face à lui. Il avait toujours aimé sortir, prendre l’air, déambuler parmi les inconnus et surtout éviter le sentiment de culpabilité qui lui tordait l’estomac à chaque fois qu’il quittait son violon en laissant l’alcool prendre le dessus de ses esprits.
Ses regards se perdaient sur la salle. Parfois on lui adressait la parole, il répondait vaguement, riait à une ou deux blagues et finissait presque toujours systématiquement par éconduire toutes personne trop entreprenante. Il n’y avait guère que le barman qui avait fini par lui tenir la conversation presque toute la soirée et glisser son numéro par la même occasion sur la serviette en papier qu’il lui avait tendu avec sa boisson.
L’heure tardive donnait aux esprits les plus échauffées une place grandissante. Tao Fen tentait tant bien que mal de se tenir écarté de tous les chahuts potentiels et pourtant le musicien ne pouvait empêcher son petit air de jugement glisser sur toutes personnes exubérantes.
Parfois, dans le creux de sa poitrine, il pouvait sentir une pointe d’envie naître et ne plus le quitter, comme si tous les liens invisibles qui le tenaient à la retenu voulaient céder mais n’y arrivait pas.
Hochant la tête, le chinois termina sa bière d’une traite et la reposa sur le comptoir avant de faire de même avec le verre d’eau. Il était certainement temps de partir pour lui mais avant ça, il devrait passer aux toilettes, se laver les mains, faire en sorte de faire comprendre au serveur qu’il n’avait pas l’intention de le rappeler malgré l’insistance de ces dernières minutes.
Se retournant sur son tabouret en attrapant la serviette en papier avant de se diriger vers les petits coins, Tao Fen n’eut pas la prétention de regarder par-dessus son épaule et pourtant il aurait peut-être dû.
Ledit serveur dut prendre son geste pour une invitation, car il ne lui fallut pas plus de quelques secondes pour laisser son poste à son collègue et se glisser derrière le violoniste qui ne senti la présence du jeune homme qu’une fois dans les toilettes lorsque celui-ci posa sa main sur ses hanches.
« Mais qu’est-ce que… » laissa échapper Tao Fen d’une voix bien plus aigüe qu’elle ne l’était habituellement, pareil à un couinement.
Ses yeux s’écarquillèrent de stupeur et son visage palie instantanément lorsqu’il se retourna, se retrouvant face au barman.
« BAS LES PATTES ! » se mit-il à beugler en faisant un grand geste dramatique des bras tout en soutenant le regard de l’entreprenant.
« Vous êtes vraiment tous les mêmes les coréens ! » ajoutât-il avec un petit air de dégout en jaugeant de haut en bas l’employé du bar.
Il n’était pas du genre à se laisser faire et pourtant son cœur battait à cent à l’heure, apeuré mais ne souhaitant pas montrer la moindre faille, espérant secrètement que quelqu’un finirait par arriver et lui permettre de s’échapper de cette situation le plus vite possible.

La pièce est sordide. Certainement qu’il ne l’aurait pas remarqué s’il n’avait eu juste que le temps de faire sa commission et de sortir. Mais la décoration se voulait sombre, presque gothique pour s’accorder à l’aspect lounge-néon-chic que se donnait le bar. Autant dire que c’était si peu nécessaire pour des toilettes que Tao Fen aurait pu faire simplement un scandale à la personne qui avait eu la fâcheuse idée de mettre du carrelage noir et vert sapin aux murs. On se serait cru dans une scène ridicule d’un de ses films américains où tout le monde se drogue et finit par avoir des crises hallucinatoires. Pour sûr il ne reviendrait plus dans ce bar. Le chinois se fait aussi grand que possible, ses yeux perçants ne lâchant pas du regard son agresseur. Si son cœur bat à cent à l’heure il n’a aucunement envie de le laisser savoir à la personne qui se trouve face à lui. Prêt à se défendre.
Mais il n’en aura pas l’occasion. La porte s’ouvre, l’action est rapide et défile devant loin comme dans un brouillard. Le violoniste n’a juste que le temps de s’écarter laissant le plus d’espace possible entre les deux hommes et lui, se sentant acculer.
Le nouvel arrivant bien se positionner en sauveur entre Tao Fen et son assaillant et le musicien fronce immédiatement du nez à la réflexion qu’il ose faire devant lui. Toute cette situation lui paraissait quelque peu étrange. Comme si l’homme qui venait d’apparaître tel le Deus Machina savait pertinemment ce qui était en train de se passer dans ces toilettes.
Le rythme cardiaque du jeune homme ne se calma pas, soudainement persuadé qu’il était un personnage prit dans une sorte de pièce de théâtre bien rôdé où il devait jouer la proie. Autant dire qu’il n’appréciait pas particulièrement ça. Surtout que la remarque homophobe du nouvel arrivant grinça à ses oreilles comme une craie sur un tableau.
« Ça va. » répondit-il, sa voix acéré, vibrante entre ses dents tendis que son regard lançait à son soi-disant sauveur exactement le même regard noir qu’il avait eu pour le barman.
Se décalant d’un pas afin de tenter d’atteindre une des toilettes et de pouvoir potentiellement s’enfermer dedans avant d’appeler de l’aide, certainement Hope s’il était encore réveillé ; le jeune homme ne baissa pas un instant les yeux, sa mâchoire mince et nerveuse se serrant.
« Vous croyez que je ne vois pas clair dans votre petit jeu à tous les deux ! Je ne serais pas le petit objet de votre partouze ce soir ! » dit-il froid comme la neige Séoulite qu’il détestait tant. Ses paroles prononcées dans un coréen presque parfait ne laissaient aucun des tremblements ou des peurs que son esprit et son cœur ressentait transparaître, restant fort tant qu’il le pouvait.