Une histoire de post-it.

Il semble que répondre par cette voie divertit sensiblement le policier qui, presque chaque matin, vient chercher son café. Parti d’un simple post-it pour signaler un désagrément, grognon pour si peu de choses. Néanmoins, il finit toujours par conserver ces bouts de papiers, levant le regard en cherchant à qui cela peut appartenir. Sans résultat. Il ne désespère pas, il recherche sous le vent pluvieux, sous le soleil qui se lève ou même au calme chatoyant. Et pourtant, il n’a jamais été aussi surpris de ne trouver aucune piste.

Pour des post-it.

Il a demandé au serveur de laisser son mot à l’endroit habituel et cette fois, le policier décide de rester plus longuement, avec une question sans logique « Plutôt chien ou chat ? ». Il s’installe à une table différente, le café dans la paume et les jambes croisées. Le téléphone vibrant sous les demandes, la curiosité de ne pas le trouver si tôt au commissariat et de leur laisser un « vu » sans honte, ni regret. Peu importe si les minutes passent. Les rétines détaillent discrètement chaque visage qui s’arrête et qui ne répondent pas. Jusqu’à apercevoir une jeune femme. La tête se penche légèrement et les pupilles scintillent : elle s’y arrête un peu plus longtemps que les autres. Va-t-elle y répondre ?

Bingo.

Il finit sa tasse avec sérénité, se relevant lentement et acheminant vers la demoiselle qui écrit la réponse. Son ombre surplombe l’espace et il laisse une distance entre les deux, pour qu’elle ne soit pas si surprise. « Pardon. Je suis simplement curieux de savoir Si vous êtes également chat. ». Il tend la main, voulant lire la réponse et ainsi récupérer ce petit jeu qui dure depuis un moment. Il lève le regard vers la silhouette féminine, détaillant chaque trait. « Je suis l’auteur du post-it. ». Rouge. Bleu. Jaune. Peu importe la couleur.

Des post-its de différentes couleurs, écrits par un inconnu, répondus de ma plume. D'autres post-its toujours aussi variés à la coloration, mais cette fois-ci les auteurs inversés. Une conversation sans visage qui dure depuis des jours, des semaines mêmes; une charade qui amusait les employés du café, qui éveillait ma curiosité. Si bien que ce café-ci faisait désormais partie de ma routine matinale, cherchant désespérément ce bout de papier qui m'amenait un drôle de sentiment de réconfort, sans trop comprendre pourquoi.

Et le voilà, l'élusif post-it, à son endroit habituel. Une simple question, un choix entre un animal de compagnie ou l'autre, le chien ou le chat. Le crayon entre les doigts, les iris qui fixent le petit bout de papier pendant de longues secondes, incertaine de la réponse, incertaine s'il y a vraiment une préférence. Puis la pensée se remémore les souvenirs, les moments passés au cat café, les heures écoulées à tricoter des jouets pour ces petites boules de poil. Des moments un peu plus fréquents que ceux passés au refuge, bien que ces grands animaux débordant d'énergie étaient on ne peut plus affectueux.

Alors, la réponse s'écrit d'elle-même. Les deux, mais les chats ont un petit avantage; accompagné d'un petit dessin, un rapide gribouilli d'une tête de chat, quelque chose d'un peu enfantin mais qui fait naitre un peu de joie dans mon coeur.

Malgré la distance entre nous, l'arrivée d'un inconnu interlocuteur me fait sursauter légèrement, moi qui était un peu trop plongée dans mon art de dernière minute. Un homme qui veut de nature curieuse, l'auteur probable du post-it; un homme qui tend la main, cherchant à lire les mots écrits. Sourire aux lèvres, je m'exécute. « C'était un choix difficile, ce matin, j'avoue. J'imagine que j'ai la bonne réponse? » Réellement, catégoriser les préférences d'autruis comme bonnes ou mauvaises est, selon moi, une opération ridicule. Toutefois, les préférences similaires peuvent ouvrir la porte à de joyeuses rencontres et d'agréables conversations. Alors, peut-être que la mention unique de chats venant de l'homme était un bon signe?

Je tends finalement la main, quelques instants plus tard, espérant qu'il aille eu suffisament de temps pour lire cette pourtant courte réponse. « Peut-être est-il temps de finalement mettre des noms sur nos visages maintenant dévoilés. Haruhi, pour ma part. Mais tout le monde m'appelle Haru. » Haruhi, éclat du soleil de printemps; Haru, simple mot coréen qui signifie « jour ». Deux mondes complètement différents, mais de significations toutes aussi puissantes.

« Il n’y a aucune bonne ou mauvaise réponse. Je préfère les chats, mais vous pouvez préférer l’autre. Bien qu’au vu du dessin, je dirai que vous avez fait votre choix. », dit-il en découvrant le gribouillis mignon de cette boule de poil. Mémoire vivace de son propre chenapan, ce court sur patte détruisant ses plantes, se faufilant dans ses vêtements et le suivant partout afin de s’amuser à mordre et à griffer sans faire mal. Beaucoup trop câlin à son goût, se réveillant avec ce rouquin sur son visage et la lassitude de ne plus le jeter en dehors et pouvoir dormir paisiblement. Il déclare systématiquement que son humeur est mauvaise à cause de lui, toutefois, il ne prend aucune décision à son sujet et ne change qu’à peine ses habitudes. Il relève les pupilles sombres vers son interlocutrice, hochant silencieusement la tignasse au prénom.

Haruhi. « Eh bien, enchanté. Je m’appelle Leon. ». Simplicité du prénom, détonnant parmi la population et la sonorité singulière à l’oreille. Dérivant ses rétines, il revient prestement sur la jeune femme en face de lui. « Je peux m’installer ? », la question à peine posée que l’ombre du policier prend place sur le siège avant, croisant les jambes en déposant ses larges paumes avec délicatesse. Son téléphone vibre dans sa poche, notifications de messages envoyés à juste titrent. Cependant, il ne compte pas se dérober lorsqu’il vient enfin de trouver l’autrice de ses interrogations épistolaires – si l’on peut le définir ainsi. « Honnêtement, je ne pensais pas recevoir de réponse, mais je dois avouer avoir conservé chaque post-it. Je me demandais combien de temps cela allait durer. ». Un fin sourire soulève ses lèvres, assez discret.

Acariâtre dans l’âme, le brun avait laissé un constat digne d’une réprimande sensiblement enfantine, toutefois sans regret. « J’en suis même venu chaque matin, lorsque ma profession me le permet, pour savoir quel genre de réponse j’allais recevoir. Heureusement, vous ne me paraissez pas cinglante ou sarcastique. ». Quoiqu’une candeur édulcorée, suffisante à laisser un soufflement nasal ou bien le bourgeon d’un besoin d’y répondre, ensoleillant la journée et entrepose au sein du myocarde, le désir de mettre un visage aux mots. Le souhait est exaucé. Quant à lui, les siennes étaient parfois un peu grincheuses ou curieuses. Il ne fait jamais dans la demi-mesure.

« Il est mignon, n'est-ce pas? » Un simple petit dessin, rapide, gribouillé sur un post-it; mais c'est tout de même un peu de fierté qui radie de ma personne. C'est sans trop réfléchir que les traits se sont dessinés tout seul, la représentation d'un des chats du cat café de Hyun Su, celui qui fait habituellement son chemin sur mes cuisses à chaque fois que j'y mets les pieds. « Je n'ai pas d'animal de compagnie moi-même, mais je visite souvent un café et j'avoue que j'ai peut-être une petite faiblesse pour eux. » Ces adorables petites boules de poil qui ne veulent qu'un peu de compagnie, un endroit où dormir paisiblement, quelqu'un avec qui jouer à l'occasion. Même chose pour les chiens du refuge, bien entendu; mais mon affinité avec ceux-ci n'est pas aussi prononcée qu'avec les félins du café.

Les présentations sont faites, mes lèvres tentent de bien répéter le prénom, pour bien l'assimiler. « Le... Leo? Leo. Ah... » Leon, un prénom pourtant si simple bien qu'unique, un prénom qui aura malheureusement eu raison de mon accent, lui qui trahit déjà mes racines étrangères, lui qui est incapable de bien prononcer quoi que ce soit qui sonne le moindrement anglophone. C'est un mélange d'embarras et de désolement qui prend possession de mon visage, moi qui veut tant faire les choses correctement, moi qui veut tant être capable de prénommer les autres de la bonne façon. « Je suis désolée, cette dernière syllabe est un peu difficile pour moi. Mais je vous promets qu'à notre prochaine rencontre ce sera chose du passé. »

Je l'invite à s'installer à mes côtés d'un signe de la main suite à sa question, même si sa décision semblait être déjà claire dans sa tête. Sitôt assis, sitôt les mots coulent à flots; une petit récit, le tout mélangé à un aveu. Mon menton se dépose doucement dans ma main, un léger sourire se dessine malgré moi sur mes lèvres alors que je m'abreuve de ses paroles, la curiosité prenant le dessus. Finalement rencontrer l'auteur des post-its, celui qui questionne à presque tous les jours et qui attend une réponse. Comme l'heureux dénouement d'un conte pour enfant que nuls d'entre nous n'aurait cru être le protagoniste un jour.

Finalement, un doux rire s'emparre de moi, la mention de deux traits de personnalités qui ne me représentent pas me paraissant bien amusante. « Oh, non, j'espère pas être cinglante. » Il a tout de même raison. N'importe qui aurait pu être à l'autre bout du stylo, quelqu'un de nettement incompatible avec l'autre malgré les affinités écrites, quelqu'un qui ne faut pas fréquenter, quelqu'un à éviter. La fortune semble nous sourire à tous les deux, la personne en face de l'autre se rapprochant plus du meilleur que du pire.

Néanmoins, ma curiosité fut piquée rapidement. « Puis-je me permettre de demander quel genre de profession faites-vous? » Le regard se baisse, se met à fixer le fond de ce café matinal, comme envahie par mes réflexions. « Je ne suis que photographe, rien de bien important, mais au moins cette flexibilité d'être à mon compte me permet de fréquenter l'endroit aussi souvent que je le veux. » Honnêtement, ma routine matinale me pousse souvent à alterner entre les cafés, supporter plusieurs compagnies locales. Mais cette aventure de post-its a changé un peu mes habitudes, sans doute pour le mieux.

« Et ce café laisse quelques adoptions possibles ? », demande-t-il avec curiosité. Certains sont en partenariat avec des associations, permettant ainsi aux boules de poils de trouver une famille aimante. Il croise le regard de la jeune femme, secouant la tête. « Je possède déjà un sac à puce avec moi, mais je pense qu’il doit se sentir seul. Un deuxième l’aidera sans doute à être moins collant avec moi. ». Ce rouquin stupide qui passe son temps à dormir sur sa tête et le suivre comme s’il était le seul sur cette Terre. Il se demande encore pourquoi il l’a sorti de son trou. L’éventualité d’un deuxième pourrait atténuer le pot de colle et lui apprendre le concept d’indépendance.

L’espère-t-il, du moins. Il chasse ses pensées d’un froncement de sourcil farouche, comme si on venait d’insulter son arbre généalogique. « Leon. Le-on. Japonaise, si je ne me trompe pas ? ». Et s’il comprend encore les consonances étrangères, la pluridisciplinarité des connaissances apporte toujours son lot d’opportunités. « Si cela n’est pas convenablement appris la prochaine fois, je vous donnerai des cours de langues. ». Apparemment, elle vient de commettre un affront en écorchant son prénom singulier. Il est pourtant habitué à cette égratignure verbale, semble-t-il que cela lui donne le plaisir d’être acariâtre le temps d’un instant. Un petit plaisir coupable qu’il admettra volontiers si quelqu’un ose mettre le doigt dessus. Si seulement ce jour arrive.

Ce qu’elle ne représente pas, comme le sarcasme ou le mécontentement. Loin s’en faut, elle parait être ce Zénith éclatant, là où lui n’est qu’un crépuscule hasardeux. « Je suis policier. Je travaille dans le département des crimes violents. ». Il n’a pas besoin de poser la question, la réponse tombant à point nommé et il pourrait la remercier silencieusement pour cela. La compréhension aisée et la tignasse qui se secoue lentement. « Ne minimisez pas votre métier. Cela n’est pas à la porter du premier venu, de pouvoir utiliser un appareil, gratifier d’un cliché qui vaut le détour. Beaucoup y prétendent, mais peu y arrivent véritablement. L’art est une discipline sans pitié, vous devriez être fière de ce que vous faites. ».

« Je suis au moins content. Maintenant, je sais que j’ai une partenaire de café. Ils font quelques spécialités ici, mais il est vrai que je me contente souvent de la même chose. ». Cet insipide, noir, avec cette touche de noisette d’où il ne sait la raison de ce choix. Cela n’est pas particulièrement bon, d’autant plus, mais il ne se souvient plus de cette habitude.

« Ça, j'avoue que je ne le sais pas. Je demanderai au propriétaire à ma prochaine visite. » Elle prend note mentale de cette promesse, incertaine si Hyun Su cherche à ce que les bêtes poilues de son établissement trouvent leur propre famille ou s'il considère ces chats comme les siens. Les iris brillent lorsque les oreilles entendent la mention de cet animal qui partage la vie de l'homme devant elle; elle essaie de contenir l'expression sur son visage qui veut tout savoir, comme une enfant qui découvre qu'une autre personne partage la même passion. La fébrilité contenue, elle se contente d'un sourire, timide. « Je n'ai malheureusement pas d'animal de compagnie, je n'ai toujours pas osé franchir ce pas même si l'envie y est. « Finalement victime de son enthousiasme, elle se laisse le droit d'une question ou deux, estimant le tout inoffensif. « Comment s'appelle le vôtre? » Au compte goutte, pour garder un certain contrôle de soi.

Son expression se veut désolée, le regard attristé par sa soudaine incapacité à prononcer quelques syllabes, une conséquence directe de sa langue maternelle et sa longue querelle avec la langue anglaise, malgré les efforts. « Oui, Japonaise, en effet. » Le nom ne trahit pas; même si elle avait ultimement choisi de se présenter qu'avec Haru au lieu de son prénom en entier, l'accent aurait facilement défait la masquarade. « Bien entendu, j'y arriverai à notre prochaine rencontre. » Tête basse, c'est une deuxième promesse qu'elle formule en quelques minutes, celle-ci beaucoup plus importante que la première.

Policier, donc. Les pensées se remplissent des moments passés avec Eros, l'autre premier répondant qui partage sa vie; choyée par l'amitié d'une personne au si grand coeur. Croire que cet homme au bout de la table est lui aussi capable d'accomplir de telles choses ne serait pas farfelu, non? Elle ose y croire. Et la réaction de son interlocuteur attendrit son coeur, elle ne peut camoufler ce tendre sourire qui nait sur ses lèvres à l'écoute des belles paroles de l'homme. « Oui, bien sûr, vous avez raison. Sans vouloir comparer, par contre, mon emploi n'a pas le même genre d'impact sur le monde que le vôtre. C'est le genre de métier qui m'impressionne et vous avez tout mon respect, vraiment. » Elle sait très bien qu'elle en serait incapable.

« J'ai sans doute fait le tour mille et une fois des cafés de la ville, je peux facilement vous suggérer mes préférés si vous avez envie d'expérimenter. » Le palmarès est principalement en sécurité dans une liste mentale, néanmoins quelques notes ont été inscrites ici et là au début des expériences, à retrouver dans une pile de papiers à la maison. Les importants, par contre, font déjà partie de sa routine, bien enracinés dans le quotidien.

« Crainte des à-côtés ? ». Un animal demande beaucoup de concessions, de soins, d’affections et de frais. Il ne s’attendait pas à autant dépenser pour le vétérinaire, la nourriture et les mêmes les jouets quand ce sac à puce préfère les cartons, sa tête ou encore les endroits étriqués. Néanmoins, il ne se lassera jamais de cette stupidité amusante, lorsqu’il prend sa queue pour que l’autre tourne sur lui-même et joue inlassablement avec, jusqu’à s’épuiser et à coller le policier qui râle sans le faire partir. « Bandit. Il s’appelle Bandit. ». Rien de mieux pour ce petit rouquin trouvé dans le caniveau et qui partage sa vie depuis des longs mois, déjà. Rien de compliqué, ni de trop personnel pour cet ingrat qui pense être le maitre des lieux. Mais mieux que son prénom écorché.

Il secoue la tête. « Levez la tête, vous n’avez rien fait de mal. ». Un peu outré, mais cela lui passera au bout de quelques cours de diction. Il ne peut lui en vouloir, lui-même rencontrant quelques difficultés à prononcer certains mots étrangers. Même l’anglais sonne mal à travers sa voix, préférant rester à sa langue natale. Il roule légèrement des yeux. « Vous apportez un point de vue créatif et de la joie et de mon côté, j’arrête des gens pas gentils. Disons que nous apportons chacun notre lot dans ce monde ? Si vous saviez, certaines journées ne sont vraiment pas intéressantes ou des cas dignes d’histoires de bars. ». Moins dans son cas, toutefois, certains dénouements risquent de paraitre moins rocambolesques que les livres et les séries ne les décrivent.

Et très souvent, cela n’est pas glorieux, voir misérable. Les rares cas dignes d’un film sont prenants et affreusement imbibés dans l’esprit des policiers. Il hoche la tête, ravi d’entendre ces mots. « Avec plaisir. J’allais fréquemment à celui avec le vélo et l’aspect rétro, mais je crains qu’il soit définitivement fermé. Il avait au moins le bon point pour ses spécialités aux fruits. ». Très chère et pourtant plus abordable dans cet ancien endroit. « À part celui où nous nous trouvons, je ne connais pas grand-chose qui collent avec mes horaires irréguliers. ». Elle doit partager cela, sûrement un peu plus flexibles que les siens. « La photographie vient d’une passion ou de famille ? ». Souvent l’un, rarement l’autre.

Elle lève les yeux vers le plafond, songeuse, incertaine de la réelle réponse à cette question. Est-ce qu'elle n'a simplement que peur de l'engagement d'une vie que d'adopter un animal rapporte, ou est-ce que ses craintes sont plus poussées? Réellement, elle ne croit pas être à la hauteur. Un miroir à cette situation avec sa petite soeur qu'elle tente d'aider du mieux qu'elle peut, mais qui a toujours cette tristesse dans les yeux, ce coeur brisé qu'elle ne sait pas réparer. Et si elle n'est pas capable de consoler sa soeur, est-elle prête à s'occuper d'un animal de compagnie, sans défense, complètement dépendant de sa personne? « Peur de ne pas être à la hauteur, je dirais? J'aurais peur que l'animal ne soit pas suffisamment heureux à mes côtés, si cela fait du sens. » De l'empathie même pour un animal hypothétique, l'impression qu'elle ne sera jamais parfaite même si elle adorerait avoir une petite bête pour partager sa vie et, qui sait, peut-être mettre un peu d'éclat dans celle de Himeno.

Bandit, un nom qui met un sourire sur ses lèvres sans trop qu'elle sache pourquoi, comme si elle ne s'attendait pas à un tel prénom venant de cet inconnu de par sa stature et ce qu'il dégage. « C'est adorable, comme nom. » Elle le pense sincèrement, elle qui n'a jamais vraiment eu d'inspiration pour ce genre de chose. Ses peluches qui noient son lit toutes nommées d'un diminutif de leur nom en japonais, un rituel qu'elle suit depuis sa tendre enfance. Mais peut-être aurait-elle dû rompre avec cette habitude plus tôt pour être meilleure avec les prénoms, pour ne pas écorcher celui des autres et être affublée d'une vague de culpabilité, elle qui est parfois un peu trop perfectionniste, qui se promet d'être mieux la prochaine fois.

Alors elle s'exécute, lève la tête lorsque Leon lui demande, et se rassure elle-même malgré les signaux mixtes. Néanmoins, la note mentale d'étudier sa prononciation est déjà prise, et elle s'assurera que la prochaine fois, si prochaine fois il y a, aucune erreur ne soit faite. Et finalement, elle baisse les yeux, sourire gêné aux lèvres, incapable de contradir ce que le policier apporte comme argument. « Non, vous avez raison. Je suis peut-être un peu trop dure envers moi-même, parfois. » Et elle a raison, son travail et ses talents sont parfaitement adéquats; mais elle a cette fâcheuse tendance à vouloir être plus, vouloir faire plus. Elle n'a plus rien à prouver à personne, mais elle essaie toujours de tout prouver à elle-même.

« Oui, c'est dommage, l'ambiance était bien. » L'inflation, la pandémie, un mélange de circonstances qui font disparaître en fumée certains établissements qui n'arrivent plus à se soutenir. Plusieurs perles rares qui tombent au combat, maints endroits au top de son palmarès qu'elle a dû rayer. Dommage, vraiment. « Il y a un café à quelques rues d'ici, il n'a pas de thème particulier mais les pâtisseries sont excellentes. J'avoue ne pas connaître l'horaire par coeur, par contre. » Les horaires, une différence nette entre les deux âmes, elle qui n'est enchaînée qu'aux contrats qu'elle prend, qui a cette liberté facile.

Et elle repart dans ses pensées aussitôt la prochaine question posée. « C'est une passion de longue date, je dirais. Ma famille aurait préféré que je devienne business woman. Malheureusement pour eux, je prends mes propres décisions. « Elle rit doucement, la douleur du passé assez lointaine pour qu'elle ne refasse pas surface aussi facilement. Ce qui compte, c'est le présent; sa vie ici, sa petite soeur, ses choix, et son futur. « Et vous? Des convictions particulières qui vous ont poussé à devenir policier? » En espérant qu'elle ne touche pas une corde sensible, même si lui en avait presque touché une de son côté.

« Comment pouvez-vous en être aussi certaine ? Je peux vous assurer n’avoir jamais eu d’animaux, ni même l’attrait pour eux. Et pourtant, me voilà avec un sac à puce qui me colle à longueur de temps. Qui grimpe sur mes genoux pour chiper dans mon assiette et dormir sur ma tête parce qu’il estime que l’endroit est approprié. ». Râle-t-il en délivrant ses pans de sa vie avec un animal dont il n’a jamais voulu. Pas même les chiens, les rongeurs et autres bestioles exotiques. Leon est un solitaire dans l’âme et pourtant, il ne regrette pas d’avoir animé sa vie avec un rouquin intenable et qui saccage son appartement si propre en temps normal. « Vous pouvez vous surprendre. Vous avez déjà bon coeur pour y penser. » Lui est un peu plus ingrat.

De ce prénom significatif pour le chat et la contradiction de sa profession. Néanmoins, il lui semble n’avoir plus approprié pour ce chapardeur de bouffe et de vie personnelle. Et rien n’y fait, ainsi, s’est-il condamné à le laisser faire plutôt que d’essayer vainement de contraindre une bête qui n’écoute que sa propre stupidité. Ronronnant sur ses genoux et dormant la journée lorsqu’il travaille. Profession tout à fait aussi respectable que son interlocutrice qui se dénigre. L’homme a trop d’estime et les remontrances de sa famille l’ont conduit à concevoir autrement.

« Tant que vous vous en rendez compte. Il est utile d’avoir l’œil critique, mais complètement contreproductif de toujours se rabaisser pour le niveau que vous devez avoir. ». Ce domaine est sélectif et difficile et si celle-ci arrive à en vivre convenablement, cela démontre qu’elle est largement capable de faire des merveilles avec son appareil. Pragmatique à bien des égards, sauf en ce qui concerne les diversités de cafés, écoutant attentivement la réponse de son interlocutrice. « Des pâtisseries ? De quel genre ? ». Cela pourrait intéresser ses frères et sœurs ? Malgré ses horaires, il trouvera sans nul doute le moment pour y faire un tour.

Il croise le regard de la brunette. « Ma petite sœur aime pâtisser, cela peut lui donner quelques idées. ». Précise-t-il sans avoir pourtant le besoin de se justifier. Il ne sait cependant pas les goûts des petits et préfère orienter la conversation sur un autre sujet que venir s’embarrasser inutilement. Il roule des yeux. « Je compatis à votre situation. Et vous avez raison. C’est votre vie, vos choix, vos passions et vos décisions. Il vaut mieux être heureux dans ce que l’on fait. L’êtes-vous ? ». Il arrive de se tromper, de se planter. Pour mieux se relever une fois les difficultés écartées. « Vous restez tout de même en contact avec eux, malgré tout ? ».

Se demandant si sa situation est similaire à la sienne. Il secoue la main comme on chasse un encombrant de sa route, le dédain palpable sur ce sujet. « Cela me plaisait, notamment sur les enquêtes. Oui, j’ai été influencé par les séries, je l'avoue sans honte. » En vérité, si, il est un peu honteux, par ce raclement de gorge. « Enfin, mon caractère correspondait davantage à cet univers. Mes parents voulaient un autre magistrat, juge ou procureur. Il faut dire qu’ils ont reçu une plaque d’officier. Et cela ne me pose pas le moindre problème. ». Il soulève ses épaules, nonchalant quant à la situation.

« Je n’ai pas été déçu par mon choix. Ce n’est pas toujours comme dans les films policiers, mais cela a son lot de surprise, surtout mon domaine. ». Moins charmant. « Cela a fracturé ma famille, mais je possède déjà une contrariété poilue, je n’ai pas besoin de plus dans ma vie. ». Il est un peu dramatique pour un chaton. Alors qu’il pense même à un second. Le flic ne sait pas s’il est un peu inconscient ou bête.