mika
would you still love me if i was a worm

C'était un stupide meme sur internet qui était apparu sur l'écran de mon téléphone, qui m'a fait rigoler comme une idiote. L'envie de poser la question à la première personne que mes yeux verraient dans ma liste de contacts s'était emparrée de moi; la pauvre Mika était l'heureuse (ou non) élue de mes conneries de personne pas tout à fait sobre. Bouteille de soju déjà entâmée sur ma table de chevet, le rire ne s'arrêtait déjà que difficilement mais, au moins, les doigts étaient capable d'écrire correctement, sans trop de fautes. Et, sitôt message envoyé, sitôt ma partie de Mario Kart reprise.

L'ordinateur des coupes à 150cc était toujours un peu plus difficile, mais habituellement ils ne sont pas de taille pour mon talent, mes techniques avancées et mes connaissances des différentes pistes. Mais déjà la soirée à peine commencée que mon positionnement au palmarès chutait. Deuxième, quatrième, troisième au départ; sixième, huitième, neuvième par la suite. La frustration qui serait habituellement montée à vitesse grand V avait laissé place à un peu d'amusement, quelques rires stupides à chaque fois que je conduisais mon personnage dans le vide, ou que je me trompais de chemin.

L'alcool ne fait pas souvent partie de ma vie. Mais Maude n'était pas là, ce soir, et la tristesse s'était emparée de moi un peu trop facilement, comme elle le fait souvent dernièrement. Et, sans trop savoir quoi faire, sans examen à étudier, sans quart de travail pour me distraire, c'est vers ma Nintendo Switch que je me suis tournée, elle et une bouteille de soju au raisin pour m'accompagner. Et, bien évidemment, ma tolérance n'était pas à son meilleur; elle n'a jamais pu se développer, pas comme si c'était important.

Le traditionnel son qu'on entend dans Zelda lorsqu'on obtient un item m'arrache hors de mon jeu, que j'oublie de mettre sur pause. Mika a répondu, et mon sourire reprend de plus belle alors que mes doigts tentent tant bien que mal de répondre. Les fautes s'enchaînent au fur et à mesure des réponses, les absurdités font entrée de jeu, accompagnées d'un selfie loufoque à thème Mario (parce que, pourquoi pas). Et, finalement, alors que l'écran de ma console affiche que la course est terminée (j'étais dernière), Mika répond qu'elle s'en vient.

J'ouvre la porte dès qu'elle y est, l'attirant vers moi à l'aide d'une solide étreinte qui trahit mon état, si mes messages ne l'avaient pas déjà fait. « Aaaah Mika babyyyyy » Sans la lâcher, mon front se dépose dans le creux de son cou, et un énième rire s'emparre de moi. « I love you t'es la meilleure did you know??? »

Pauvre Mika.

« Mi bebé, tú también ». Elle secoue la tête. Il serait temps d’arrêter les confusions et elle vient lui tapoter la tête. « Parle pour moi, qu’est-ce que je ferais sans toi, hein ? Viens là, tu me dois un gros gros bisou. ». Elle tend la joue, la franco-espagnole et laisse un sourire ravie une fois celui-ci réalisé. Un peu collant, mais pas gênant. Elle se déchausse et entre dans l’entre de la bête alcoolisée, la tenant par la taille et le bras levé, comme si elles partaient en boite de nuit. Qui s’appelle la chambre, actuellement. Elle l’emmène, ou la traine, elle ne sait pas, jusqu’au lit pour s’y jeter à ses côtés. Elle prend la tête de sa choupette et la dépose sur ses genoux, posant son index sur son nez. « Alors, mi bebé, vient tout dire à tata Mika. ». Elle sent avoir raté beaucoup trop d’épisodes.

Peut-être. Sûrement. Très probablement. « Est-ce en rapport avec, nous savons qui ? ». Ce crush où seule l’intéressée ne semble pas le comprendre. Ou probablement est-ce quelqu’un d’autre ? Elle se sentirait offusquée durant quelques secondes, avant de vouloir tout savoir. Prenant le téléphone, elle en profite pour réaliser quelques selfies et autres photos en compagnie de sa meilleure acolyte. Elle a bien vu la bouteille de soju, mais fera paraissant que cela est de l’eau. De toute façon, cela le devient, non ? Il ne faut pas penser comme ça ? Oups. Pas grave. « Qu’est-ce qui t’a rendu dans cet état, ma doudouce ? Je suis toute à toi, je t’écoute, je te garde. Dis-moi tout. ». L’impatience commençant à s’infiltrer dans ses veines, qu’elle réprime en offrant un bisou sur le nez pour faire rire. Elle préfère nettement voir ses amis être heureux autant qu’elle ne l’est. Pas de place à de la tristesse !

« I love you ♥ » Comme demandé, Mika reçoit un gros bisou, peut-être un peu trop collant, sur sa douce joue. En fait, est-ce que sa peau était toujours aussi douce? C'est quoi son skincare routine? Est-ce que je devrais lui demander? Mais à peine les pensées ayant finalement décidé d'essayer de former une phrase pour lui poser cette fatidique (ou pas) question que Mika entre dans la chambre, me traîne vers mon lit; lit où j'échoue comme une baleine.

Parce que, pourquoi pas?

Les cuisses de Mika font un oreiller bien confortable pour ma lourde tête, et le contact de son index sur mon nez n'a pour effet que de me faire rire, peut-être un peu trop fort, peut-être un peu trop longtemps. Tant pis. On est bien, avec Mika. Mes rires s'arrêtent, en même temps que mes sourcils se froncent et mes yeux fixent tant bien que mal le visage de mon amie qui mentionne quelque chose. Mon cerveau réfléchit, les pensées chargent, pourcent par pourcent.

« Whoooo? » Et, quelques secondes plus tard, le téléchargement des informations a réussi à se faire dans l'ordinateur un peu paumé qu'est ma tête. Ma main droite tente de donner un coup amical à Mika, l'autre joue avec cette bague procurée au stand de Jaehee lors du Love Fest; bague qui est la douce moitié de celle que j'ai moi-même offerte à la propriétaire de la boutique, comme une stupide idée, un élan de courage envers quelqu'un qui ne ressentira jamais les mêmes sentiments que moi. « Yaaah Mika! » Pas plus d'information n'est fournie à ce niveau-là. De quoi probablement rendre impatiente la chère Mika, mais, franchement, je n'en avais pas plus moi-même.

La vérité, c'est qu'il est difficile de vraiment dire exactement ce qui se passe. Pourquoi avoir bu, aujourd'hui, si soudainement? Pourquoi ne pas être allé à la boxe, même si ma main droite n'est pas tout à fait guérie? J'aurais été avec d'autres gens, j'aurais pu observer, pratiquer mes mouvements. Ou pourquoi ne pas être allé à la salle de sport, pour au moins faire un peu de vélo ou de la course? Je ne sais pas, je ne sais plus, et je n'y pense pas trop. Je tire la langue et fait quelques peace sign, ayant remarqué le téléphone tenu par mon amie.

Voilà que Mika veut en savoir plus, évidemment, c'est dans sa nature, la curiosité, les rumeurs, le drama. On l'aime comme ça, Mika. Je laisse finalement échapper un nouveau rire suite à ce petit bisou sur le nez, qui se transforme finalement en moue, alors que je réfléchis à sa question. « Wesh... la prochaine fois que je la vois... » Je donne quelques coups de poings, mollement, dans le vide; mes bras se laissent finalement tomber sur le côté, la force de les tenir vers le haut me manquait. « P'quoi c'est toujours les meufs les plus chiantes qui sont les plus jolies? J'comprends pas. »

D'autres mini coups de poing dans le vide, d'une seule main. « Wesh... » Et, finalement, mes poings se transforment en mouvements de doigts à l'unisson avec la petite musique de fond de Mario Kart qui jouait toujours, au travers les hauts parleurs de ma Switch; et ma gorge en imite les sons, un peu enfantinement.

Un sourire se hausse curieusement devant le fameux « elle ». Enfin, il faut bien commencer quelque part après tout ! Première mission de la soirée : entrevoir les mailles épaisses entre les propos brumeux et les pensées qui ne s’élèveront jamais au-delà de ce petit crâne enseveli par un joyeux breuvage. Toutefois, rien n’est impossible pour la franco-espagnole. « Si je comprends bien, tu crush sur une meuf rencontrée après une bagarre ? », suppose-t-elle face aux poings abimés jetés en l’air, dans un mouvement révélateur. La blonde effectue une moue interrogatrice, optant pour les suppositions verbales et éhontées, dénichant la vérité de la fausseté face à ce petit ange qui a tant besoin d’amour.

« Et tu sais son nom, au moins ? Comment elle est ? Brune ? Petite ? Grande ? Mince ? À peu près comme toi ? Elle frappe aussi fort ? ». Elle essaie de dégoter le plus grand nombre d’éléments que son interlocutrice sera capable de lui fournir, jetant le téléphone sur le côté pour venir chaparder les doigts et faire mumuse avec de façon bien enfantine, les secouant de gauche à droite, la mine réfléchie. « Et chacune est repartie dans son coin ? Même pas un regard ou un truc ? Outre le fait que ça palpite dans ton petit cœur. Deux crush, c’est bien ma yuyu, ça. ». Elle se penche et revient avec un bisou magique sur le nez. « Je suis là, tu veux que je te retrouve ta princesse en détresse ? Même si, actuellement, c’est toi dans ce cas, bébou. ».

Elle fait semblant de danser sous le rythme de Mario Kart, enchevêtrant ses phalanges à l’autre. « Tu sais que rien ne me résiste en quelques clics et c’est fait. ». Elle le fera dans son coin, mais ne se permettra pas si son amie ne le désire pas.

J'arrête tout ce que je fais: les coups de poing dans le vibe, les petites danses sur la musique du jeu, les chantonnements. Elle a dit quoi? Crush?

« Crush???? » Mon petit cerveau est incapable de décider quelle expression veut-il afficher sur mon visage, ainsi mes sourcils se froncent, mes yeux se font gros, un après l'autre sans trop savoir quoi faire de cette information. Crush? Non mais... « I'll crush her ouais, wesh!! » Et je reprends les coups de plus belle, cette fois-ci un peu moins mollement, une expression d'intense focus s'étant finalement dessiné sur mes traits. « C'moi la meilleure, Ye Jun et Loukas ils m'ont tout montré t'as vu? Ptshhh ptshhhh ptshhh » Un bruit par punch, des onomatopées qui accompagnent mes délires.

Mika pose des questions en rafale, une après l'autre; mon cerveau est étourdi, ne sait pas trop où commencer, s'il doit essayer de répondre. La vérité, c'est que des détails sur elle, j'en ai un peu trop. Fox Elizabeth, étudiante en langues elle aussi, un peu plus jeune que moi, un peu plus grande que moi, mi-coréenne mi... quelque chose d'autre, je sais pas trop. Elle occupe mes pensées sans cesse, elle a gagné la bataille mentale. Parfois une volonté de vengeance m'envahit, le désir de reprendre là où nous avions du tout laisser en raison d'un employé nous ayant séparé. D'autres, j'ai simplement envie de cogner à sa porte, elle qui habite la porte d'à côté, pour m'excuser. Au final, même si elle a commencé les provocations, après tout c'est moi qui ai donné le premier coup. Et ça me déchire de l'intérieur, ça me tue, comme une impression que j'ai laissé le monstre colérique en moi gagner et prendre le dessus.

« Hmmmmmmmmm....... L.. Liz? » J'essaie de me lever, m'asseoir à côté de mon amie au lieu de rester alongée de tout mon long, ses cuisses comme oreiller. L'échec est, à vrai dire, lamantable. Libérant une de mes mains de l'emprise de Mika, j'essaie néanmoins de désigner sa grandeur de mes doigts, sans réellement avoir du succès. Les autres questions de Mika s'étaient évaporées comme de la fumée dans ce chaos interne, et une seule n'a été capable de rester saine et sauve. Frappe-t-elle aussi fort? « Nah bro! Elle triche! » Sourire niais aux lèvres, je pointe mon sourcil droit de ma main libre, là où cette récente cicatrice se trouve. C'est dangereux, des bagues.

Ma deuxième tentative est finalement réussie, comme revigorée par ce nouveau petit bisou sur le nez. « Nah... » Je pointe le mur opposé, celui qui sépare ma chambre de la sienne, sans trop savoir si mon geste était suffisament clair. Et, avant de redéposer ma main sur le lit, j'attrape la bouteille et je bois un peu plus, jusqu'à ce que j'aille besoin de respirer ou que Mika m'arrache la bouteille. On s'en fout.
« Party time Mika! WOOHOO! »