« J’ai fait assez simple pour ce soir. », dit-il en levant la main, les doigts écartés, dans une menace évidente envers une boule de poil rouquine. Le chat porte les oreilles en arrières, la queue bougeant et reste la patte levée, prêt à charger. Un jeu quotidien entre les deux, toujours aux côtés du policier, peu importe où il peut se trouver. Il ne s’attendait pas à avoir un vrai pot de colle. « Tu as fait quoi comme gâteau ? ». Il n’a pu jeter qu’un coup d’œil, étant en cuisine à ce moment-là afin de terminer les plats pour eux ce soir. Il ne déroge jamais à cela et a pris ses dispositions pour profiter d’une soirée avec sa jeune sœur.

Il est exact qu’avec leurs emplois du temps, cela n’est plus aussi simple qu’auparavant, toutefois, pas impossible. Il profite de ces moments pour exiger de la revoir après cette relation catastrophique – avec un ex dont elle tait le nom à juste titre. Le flic l’aurait arrêté sur le champ en trouvant des excuses ainsi qu’un coup de poing bienfaiteur. Leon n’est pas violent, cependant, on ne touche pas à sa petite sœur. Le rouquin poilu décide enfin de passer à l’action et de l’attaquer, la tête dans la large main du plus âgé. Défaite cuisante de la part de l’animal qui n’arrive pas à s’en défaire et qui laisse un sourire en coin au vainqueur.

« Comment vont les parents ? », s’enquit-il avec une politesse exagérée. Les deux savent que le lien s’est tellement fracturé que les appels sont inexistants, les messages indiquant seulement les repas familiaux souhaitables. Le reste du temps, le vide est aussi large que la Voie lactée. Croisant le regard de l’avocate, il roule des yeux en comprenant cette demande silencieuse. « Et les petits, est-ce qu’ils vont bien ? ». Leurs demi-frères et sœurs, ces derniers qui n’ont rien demandé et qui souffrent de cette torpeur familiale.

La petite boîte déposée sur la table à manger, sa veste délicatement déposée sur une des chaises, elle fait son chemin jusqu’à la cuisine, une bonne odeur se dégageant des fourneaux. « Ce sera très bien. Qu’est-ce que tu as préparé? » Une petite caresse à l’intention de la petite créature rouquine qui cohabite avec son frère avant qu’elle ne retourne dans les pattes de son maître. Un sourire attendrit orne ses lèvres finement maquillées en voyant la scène, son grand frère pourtant si stoïque jouant avec ce petit chat. « J’ai fait des choux à la crème. J’ai trouvé une recette sur Internet, j’espère qu’ils ne sont pas trop ratés. » Le souci du détail, l’envie de plaire jamais très loin, être parfaite en tout point. Elle n’a pourtant pas besoin de l’être en sa présence, mais les influences extérieures qui ont tissé des toiles dans son cerveau l’empêchent d’être elle-même.

Elle en a conscience pourtant, enfermée par ce qu’on attend d’elle, par ce que d’autres voudraient qu’elle soit. Des attentes impossibles à atteindre, mais qu’elle s’efforce pourtant de satisfaire. Et pourtant, elle essaye de s’en défaire. Elle a fait une croix sur l’homme que son cœur désire, optant pour la solitude plutôt que le confort du quotidien. Elle sait qu’il est mauvais pour elle, et pourtant, elle ne peut pas s’empêcher de le protéger. Elle ne peut pas s’empêcher de voir le bon, en lui, en sa mère et son père, en tout le monde. Mais ici, entre ces murs, toutes ces personnes n’avaient pas d’influence, et elle sait que ce n’est qu’une question de temps avant que son cerveau ne reconnaisse cet endroit familier, cette présence rassurante qui fût, depuis toujours, son phare dans les nuits les plus sombres.

Le sourire qui s’étire, entre l’amusement de voir cet excès de politesse et la gaité de l’entendre prendre des nouvelles, même si elle sait au fond d’elle qu’il fait plus ça pour elle que pour prendre de réelles nouvelles. « Ils vont bien. Je n’ai pas eu de nouvelles de papa depuis un certain temps, tu sais comment il est. Mais maman est passée chez moi hier pour m’aider sur un dossier, elle est plus en forme que jamais. » Un petit rire lui échappe, trahissant une certaine fatigue. Son doux regard se pose à nouveau sur son grand frère, le silence retombe. Elle n’ose pas aborder le sujet, mais elle espère silencieusement qu’il prenne des nouvelles des plus jeunes. Elle sait qu’il ne les porte pas spécialement dans son cœur, elle aurait aimé qu’il en soit autrement. Les commissures de ses lèvres se soulèvent à nouveau lorsque la question tombe. « Ils vont très bien. Ils auraient aimé te voir au dernier repas de famille. » Loin d’elle l’envie de le faire culpabiliser, mais elle ne pouvait s’empêcher de souhaiter qu’il soit présent, de voir sa famille enfin au complet et heureuse.

Il laisse échapper un soufflement de nez significatif. Il ne peut nier que cela le désole un peu de cette situation. Ayant suivi une voie fondamentalement différente, le policier à rejeter sans autre forme de procès le besoin de ses parents de suivre les traditions familiales. Depuis la fracture, la matriarche rejette la pression professionnelle envers sa jeune sœur, à la gentillesse trop exacerbée pour refuser et soutenir le poids sur les épaules qui s’alourdissent.

Il n’est pas même certain que leurs ainés soient au courant, ne serait-ce qu’un quart de leur vie personnelle. Si lui n’est aucunement étonné et profite de cette béatitude, l’inverse est tendancieux à la suite de la dernière relation d’Ada. « Elle a toujours été un dragon sous son image parfaite. Et ne viens pas dire le contraire, sa réputation la précède. ». Femme tout à fait respectable ceci-dit, n’empêchant pas un divorce et des sauvageons mignons.

Dont il ne prend pas plus de nouvelles et garde l’intitulé des « petits » ayant déjà bien grandi pour la plupart. Il roule des yeux en prenant le chat qui se débat sur son bras, à califourchon dessus et mordant sa main sans lui faire mal. Cette boule de poil est incapable de le laisser tranquille et rester accroché comme un koala, peu importe ce qu’il peut faire. « Tu sais très bien que je n’ai pas ma place dans un repas de famille. Pas tant que maman me verra comme un criminel devant le tribunal et le beau-père avec son discours superficiel. ».

Il sait que l’homme essaie de bien faire dans ce chaos environnant, faisant ressortir les pires défauts chez le policier. Notamment son cynisme vibrant et faisant baisser les têtes des plus jeunes lorsque la marâtre lève le ton pour mieux le chasser. Enfin, comme cela s’était passé des années auparavant. Ce ne sont plus des adolescents aujourd’hui. Avec sa main libre, il déplace les choux pour le dessert et loin du rouquin qui veut renifler et mieux mettre son nez dedans. Petit salopiaud.

« Quoi que tu dises, cela n’en demeure pas plus vrai. Je veux bien concéder et voir les petits si les adultes ne sont pas là. J’en ai assez des remontrances sans valeurs et des jugements constants. Ce sont nos vies, nos choix et cela ne changera rien à la situation. ». Il reste convaincu, bien plus heureux aujourd’hui avec son travail et sa tranquillité. « Allons à table. Et ne donne rien à Bandit, il sait que tu lui files toujours quelque chose et vient dans mon assiette. », râle-t-il en sachant que cela est sans nul doute une peine perdue. Leon délaisse le poilue sur un énième arbre à chat acheter, qui revient aussitôt entre ses jambes, prenant place avec sa sœur pour dîner.

Picorant dans son assiette, il traine ses baguettes contre ses lèvres. « Ah. Aussi. Je pense prendre un deuxième chat, je n’en peux plus de ce pot de colle. ». Demi-vérité, avec ses jouets par milliers, ses gamelles de qualité et à hauteur pour qu’il ne se baisse pas au sol. Il couvre la jeune femme d’un regard désabusé en la voyant si amusée. « Arrête. Il dort sur ma tête alors qu’il a grandi ! J’ai des griffures partout parce qu’il ne se calme pas. ». Même ses collègues se moquent gentiment. « Je voudrais combler mon absence, cela le calmera peut-être ? ». Il prie de cette solution, en tout cas. « Mais un deuxième comme lui, je vais me défenestrer le cas échéant. ».