« Pardonnez-moi... »

Elle tente d'attirer l'attention de la jeune femme devant elle, au dos tourné. Après plusieurs mois de délibération et quelques obstacles qui ont rendu la décision parfois un peu difficile, elle a finalement fait le plongeon vers le refuge; un premier pas vers une possible adoption. Elle aimerait tant qu'un animal partage sa vie, Haruhi; mais elle a tant peur de ne pas être à la hauteur, que l'animal ne soit pas heureux, ou qu'il ne l'aime pas. Et tous ces animaux au refuge qui ne cherchent qu'à avoir une famille pour toujours, ça l'attriste. Elle veut faire une différence, mais les doutes s'emparrent d'elle, jeune femme pourtant habituellement si certaine d'elle, mais qui a peur de tout gâcher, secrètement.

Ainsi, elle s'est dirigée vers le refuge, espérant peut-être faire un peu de bénévolat en guise de premier pas. Si elle arrive à bien faire ce travail, peut-être réussira-t-elle à se considérer prête à accueillir une des bêtes dans sa vie. Mais à chaque jour, chaque semaine, chaque mois elle avait une excuse. Et l'année dernière, et l'autre d'avant, l'excuse facile était la pandémie. Trop dangereuse, trop risquée, trop imprévisible. Mais avec les vaccins, les précautions et les réouvertures, l'excuse facile n'est presque plus valide. Et Himeno l'a finalement poussé à y aller, même si Haruhi aurait préféré faire l'activité avec sa soeur, qui a refusé l'invitation pour des raisons qui lui sont propres. Et elle ne la forcera pas à venir, Haruhi; elle sait que ses jambes font mal, elle sait que le moral n'y est pas non plus.

Le propriétaire du refuge avait redirigé la jeune femme vers une autre, lui qui était un peu trop occupé avec de soudaines responsabilités pour lui montrer les rudiments du boulot. Alors elle tente de l'interpeller, un peu nerveuse, mais le coeur qui s'exalte, ravie d'avoir finalement fait le bon. « Monsieur Kang m'a redirigé vers vous. Je viens pour un peu de bénévolat. » Promener les chiens, s'occuper des enclos, simplement jouer avec eux; peu importe la tâche, elle était fin prête. Du moins, elle l'espère.

Un énorme sac de croquette posé devant elle, une pelle doseuse en main et une bonne dizaine de gamelle disposée devant elle, sans oublier les quelques autres sachets pour ceux qui ont un régime différent, c’était l'heure du repas pour les chiens du refuge. Accroupie en squat devant tout ça, Ada s’affaire à remplir chaque gamelle consciencieusement, prononçant le nom de chaque animal à mesure que les gamelles se remplissent, se souvenant de chaque particularité pour chaque protégé. Cela fait maintenant un moment qu’elle vient ici presque tous les jours, maintenant qu’elle a son propre appartement, un travail stable et surtout, qu’elle n’a plus à passer son temps à étudier d’arrache-pied.

C’est devenu son petit coin de paradis, le seul endroit où elle pouvait souffler, loin du jugement des êtres humains. Les animaux ne désirent que donner de l’amour et être aimé en retour, pas de critique, pas de mind game, juste de l’amour et de l’honnêteté. Plongée dans ses pensées, chantonnant les noms de ses amis à quatre pattes, c’est dans un sursaut qu’elle se retourne vers la voix qui l’a interpellée. Une jolie jeune femme se tenait derrière elle, la regardant l’air nerveuse. Un instant d’hésitation, le regard qui cherche derrière elle pour s’assurer que la nouvelle venue s’adresse bien à elle, puis ses jambes se déplient rapidement pour lui faire face à la mention du propriétaire des lieux. Les joues légèrement rosées à l’idée qu’elle ait pu l’entendre chantonner un instant plus tôt, elle sourit et tend la main pour se présenter. « Je m’appelle Ada, Sarang Ada, enchantée ! Je… » Elle regarde à gauche puis à droite, hésitant un instant sur quoi faire en premier. « Je peux vous faire visiter si vous voulez, mais… hum… Je dois d’abord nourrir les chiens. » Une autre pause où elle relève le regard vers la demoiselle et un sourire revient se figer sur son visage, révélant de petites fossettes sur ses joues.  « Est-ce que vous voulez m’aider ? J’ai presque fini, il n’y aura qu’à déposer les gamelles dans les box. » Elle désigne l’alignement de gamelle derrière elle.

Il ne lui fallut pas longtemps pour terminer le remplissage des écuelles. Une fois cela fait, elle tend deux gamelles à la jeune femme et s’empare de trois autres pour elle-même, elle commence à avoir le coup de main maintenant. « Suivez-moi. » Un petit mouvement de tête et un sourire poli puis elle ouvre la marche vers les box des chiens. Plus elles s’approchent et plus le raffut se fait fort, ils savent que l'heure du repas est proche et l’excitation de ces petites bêtes augmentent en les entendant arriver. Une fois devant les box, elle réajuste habilement les trois gamelles pour se libérer une main et ouvre l’un des box, prenant garde à ce que les habitant ne sautent pas trop ou ne sorte pas. Quelques mots pour apaiser l’excitation puis elle se retourne vers la jeune femme. « Voici Marco et Daisy ! Vous pouvez poser les deux gamelles ici. » Puis une fois les gamelles posées et les présentations faites, elles passent aux box suivent, et ainsi jusqu’à ce que toutes les gamelles soient distribuées.

Elle tend la main à son tour, après s'être poliment inclinée suite à l'introduction de la jeune femme. « Enchantée! Je me nomme Asano Haruhi, mais tout le monde m'appelle Haru. Beaucoup plus simple! » Beaucoup plus simple que de se remémorer un nom typiquement japonais lorsque la majorité des noms complets de Corée ne font que trois syllabes; et d'autant plus simple considérant que Haru existe comme mot dans la langue. Facile à prononcer, facile à se remémorer. Mais le sourire de Haruhi s'efface lentement, inquiète d'avoir peut-être accablée Ada de par sa demande, elle qui semble hésiter. Heureusement, le sourire revient rapidement, tant pour une que pour l'autre; et les inquiétudes s'envolent tout aussi rapidement, un souvenir lointain que nul ne se souviendra la nuit venue.

Et c'est d'un hochement de tête frénétique qu'elle répond, déjà enthousiaste à l'idée de rencontrer les habitants de ce refuge. Elle ne sait pas trop, Haruhi, si elle fera la connaissance de chiens ou de chats en premier. Elle ne connaît presque rien aux animaux, elle qui pourtant voudrait tant en accueillir un chez elle. Un petit être pour illuminer la vie des deux japonaises, la plus vieille et la plus jeune, les deux soeurs qui ont tant vécu ensemble, qui méritent chaque rayon de soleil qui peut bien réchauffer leurs âmes. Les deux gamelles tendues en main, ses yeux s'ouvrent grand lorsqu'elle remarque l'aisance d'Ada, la façon dont elle peut jongler avec autant de gamelles remplies de croquettes sans tracas. Et elle se demande, au final, pourquoi elle est surprise.

Les pas des jeunes femmes font écho dans les couloirs alors qu'elles se dirigent vers ce qui semble être l'aire où les chiens sont gardés, à en croire les aboiements qui se font de plus en plus forts. L'inquiétude qui renaît dans ses entrailles, la peur que les canins n'apprécient pas sa présence. Une absence d'aisance pourtant si anormale venant de la japonaise, qui d'habitude marche droit, la confiance dans les yeux, l'assurance dans l'âme. Mais, en ce territoire inconnu, ce sont des émotions en conflit qui se ramènent, qu'elle ose espérer s'en iront lorsqu'elle aura fait la connaissance des chiens.

Alors, elle se contente d'observer Ada calmer les deux premiers chiens, Daisy et Marco, qui semblent on ne peut plus enjoués de la présence de la jeune femme. « Bien compris! » Tranquillement, elle dépose une gamelle en face de Marco, qui s'y attaque presque immédiatement; et s'amène en direction de Daisy, qui, finalement, n'était pas totalement apaisée. Et son excitement fait sursauter Haruhi, qui réussit néanmoins à garder suffisamment de calme pour que cette gamelle ne s'envole pas. La gamelle au sol, Daisy préfère tout de fois quémander quelques caresses de la japonaise, qui rit doucement. « Elle m'a l'air bien affectueuse, en tout cas! » Mais les caresses ne durent pas longtemps, l'estomac de Daisy qui reprend le dessus et se rappelle que sa gamelle est prête. Haru, délaissée pour quelques croquettes. Elle comprend; si elle était un chien, elle aurait sans doute fait de même.

Elle se relève donc, satisfaite et remise de ses émotions, et suit Ada vers les autres animaux, l'aidant avec les gamelles au besoin. « J'avoue, j'avais un peu peur qu'ils ne m'apprécient pas. Mais ils semblent tous très heureux. » Les inquiétudes de la jeune femme qui sont dévoilées au grand jour, candidement, dès qu'elles se prouvent infondées. « Outre ça, quel genre de tâches devez-vous faire au refuge pour bien s'occuper d'eux? » Elle s'imagine, Haruhi, que la liste est longue. Ces pauvres animaux qui n'ont que les bénévoles comme famille, qui doivent être malgré eux exigeants, qui n'ont pourtant rien demandé. Elle espère, peut-être, être capable d'illuminer leurs jours, même si ce n'est que temporairement.