Elle a aucune idée de l’heure, ni du jour. Tout ce qu’elle sait c’est qu’elle ne bosse pas aujourd’hui. Elle a passé plusieurs heures à regarder la toile “Pots Lancés” comme elle l’appelle. Toile faite il y a quelques jours à peine, toile qu’elle déteste et pourtant, elle ne peut se résoudre à la recouvrir ou à la jeter. Elle ne sait pas pourquoi. Ses empreintes dans le rouge, le vert qui a coulé. Il n’y a rien qui va. Elle soupire longuement. Frustrée, elle se décide d’aller nettoyer ses pinceaux qu’elle néglige depuis trop longtemps. Elle prend un pot de peinture vide de couleurs mais rempli d’eau et de pinceaux tâchés d’un arc-en-ciel d’acrylique. C’est les pas trainants et lasses qu’elle se dirige vers l’évier de la cuisine. Elle baille. Elle ne se souvient pas de quand elle a commencé à réfléchir à cette toile. Cette toile l’obsède. Elle l’obsédait déjà avant, de par son vide, et maintenant, c’est son trop plein qui la tourmente. Elle n’y arrive plus, Sol. Comme de la peinture laissée ouverte trop longtemps, elle est sèche. Sèche d’idée, sèche d’inspiration.

Elle pose son pot à côté de l’évier et se retrousse les manches. Une tache marron au sol attire son attention. Elle plisse les yeux pour tenter de discerner ce que c’est. Ça l’étonne ce genre de tache, son coloc est tellement méticuleux, d’habitude. Ha. Pour une fois qu’il est sale ! Solbin ira fanfaronner devant lui, pointant la tache du doigt. Elle sourit déjà d’avance.  

Sauf que la tache bouge, rapidement et soudainement. La tache se faufile sous un des cabinets de la cuisine. Elle hurle, Sol, en sursautant et grimpe sur un des plans de travail. Elle plaque une de ses mains sur sa bouche et replie ses jambes près de sa poitrine de l’autre. C’est bon, elle abandonne tout. La peinture, son job, la vie. Elle resterait là, à présent : dans la cuisine de l’appartement 378 d’un immeuble de Bukseogu. C’est donc ainsi que sa vie se terminerait ? Loin de la gloire dont elle rêvait ? Il faut l’avouer, elle est déçue mais quand la nature ne veut pas … Ça ne veut pas.
Is it what it is.

cafards

Les regrets sont bien visibles sur les traits du visage de Sieun qui, épuisée par cette monotone journée, s'est retenue d'arrêter s'acheter un bubble tea comme récompense. Elle se disait que peut-être elle pourrait offrir à Solbin de venir avec elle, au lieu d'être encore une fois la cliente qui achète trop pour une personne. Ou Jung Hoon, mais elle se doute qu'il ne sera pas présent à l'appartement à son arrivée. Alors elle abandonne l'idée d'un trio, mais espère de tout coeur que sa chaotique colocataire acceptera l'invitation. Le ding de l'ascenseur lui indique partiellement qu'elle est arrivée au troisième étage; le cri strident d'une voix qu'elle reconnaît lui confirme hors de tout doute.

Les yeux plissés, les sourcils marqués par l'interrogation, elle ouvre la porte du 378. « Sol, ça va? » Sans doute une toile qui ne va pas comme prévu, une énième frustration courante pour la pauvre Solbin mais que Sieun connaît bien, sans pour autant lui en vouloir. Chacun ses traits de personnalité; et Solbin est parfois une tornade, une étincelle qui s'aventure dans un baril rempli d'huile. Mais c'est comme ça qu'elle apprécie sa coloc, Sieun. Elle apprécie cette vivacité, cette touche de vie qu'elle sème sans le savoir dans l'âme d'une jeune femme qui ne sait plus trop où est la lumière.

Mais elle voit Solbin en hauteur, effrayée, recroquevillée, la main plaquée devant son visage; et Sieun n'a que mille et unes questions qui se heurtent dans sa tête, la bouche entrouverte, les sourcils levés. « Mais qu'est-ce qui t'arr- WOAH! » Du coin de l'oeil, une tache brune qui s'échappe de sa cachette, trop rapidement au goût de la jeune femme épuisée. Et, sans trop réfléchir, elle sautille vers l'évier, là où elle voit le pot de pinceaux de Solbin; pot qu'elle attrape avec vitesse, les pinceaux qui tombent un peu partout. Et elle saute presque sur cette tache qui ne sait plus où aller, l'enferme sous ce pot qu'elle espère être assez lourd. Crise avortée, pour l'instant.

« M-m-m-m-mais pourquoi y'a ça ici???? » Elle tente de, peut-être, mettre la faute sur un des voisins, se disant que les locataires du 378 n'étaient pas suffisamment crades pour qu'un nid de cafards prenne résidence avec eux. Ou elle se dit que c'est l'humidité des étés coréens qui s'amène, tente de rationaliser en se disant que ce n'est que le seul, qu'il faut s'en débarrasser au plus vite. Sieun est à l'aise avec les insectes, certes, mais ceux de cette taille? A-t-elle l'étoffe d'un héros?