Une soirée presque parfaite

Assis confortablement à l’arrière de mon amie, je me tenais fermement accroché à elle. Je faisais aussi très attention à ses instructions, n’ayant pas envie de causer un accident puisque je causerais un déséquilibre en bougeant trop ou en ne me penchant pas légèrement du côté qu’elle me dirait. Je me rappelle que j’aimais faire des balades de moto avec elle, lorsque je voyais encore. J’aimais regarder les paysages défiler à vive allure, voir les voitures qui me semblaient bien plus grandes en comparaison à nous… J’aimais déjà cette sensation de sentir le vent contre mes mains et la peau exposée. Je me tenais bien droit, les yeux clos, et me laissait simplement porter. Je faisais bien attention à ce que mon casque ne se cogne pas contre le sien, n’appréciant pas le bruit que cela faisait, mais aussi parce que je ne souhaitais pas la surprendre ou la désorienter. Je suis peut-être trop dans ma tête, mais j’ai quand-même l’impression que Noona roule différemment, depuis que je suis aveugle. Enfin, peut-être ne le fait-elle qu’avec moi… J’ai remarqué, depuis un moment déjà, cette différence. Je n’ai jamais osé la soulever, me disant que c’est peut-être juste dans ma tête. Je sens que nous descendons, sûrement arrivons-nous dans le parking souterrain. La moto s’immobilise, j’entends mon amie mettre un pied au sol et couper le contact.

-« Min Jun, nous sommes arrivés. »

Je souris comme un petit idiot, derrière mon casque. Je ne lui dis pas que je le savais, n’ayant pas besoin de lui rappeler que je suis quand-même (presque) le sosie de Daredevil. Quoi ? On est tous les deux aveugles ! Ça compte ! Ayant maintenant l’habitude, je descends prudemment de la moto, essayant de ne rien accrocher et de me faire petit. Je commence à essayer de retirer le casque, mais j’avoue que son aide est grandement appréciée. J’attends tranquillement qu’elle finisse de ranger nos casques, puis prends le bras qu’elle me tend.

-« Si Monsieur veut bien se donner la peine. »

-« Je commençais à m’impatienter ! » répondis-je, me prêtant au jeu du monsieur capricieux.

Je la suis sans me poser de questions, ayant complètement confiance en elle. J’entends les portes de l’ascenseur se refermer. Je sens le sol nous élever dans les airs. Les portes s’ouvrent à nouveau et je la suis encore, même si je déplie ma canne afin de l’utiliser et ainsi ne pas déranger mes amis durant toute la soirée. Nous nous arrêtons, sûrement devant la porte de l’appartement de Sujin et Min Ho. J’entends Yoo Kyung presser la sonnette.

-« J’espère qu’il ne nous a pas oublié quand-même… et que ce n’est pas enroulé dans un drap qu’il nous répondra… » murmurai-je en me penchant vers mon amie, un petit sourire taquin aux lèvres.

Enfin, moi, ça ne me dérangerait pas parce que je ne verrais rien… Mais notre noona ? Puis, le pauvre Sujin qui serait interrompu. J’entends la porte s’ouvrir, alors je me redresse rapidement, faisant comme si je n’avais dit aucune bêtise.

-« Sujin ! Quel plaisir de te voir ! »

-« Toujours aussi contente de te voir, oui ! T’es tellement beau ♥ » ne puis-je m’empêcher d’ajouter, prenant une voix mielleuse pour le complimenter.

Je le taquinais bien sûr, ne l’ayant pas vu depuis plusieurs années déjà. Je suis toutefois quand-même sûr que mon meilleur ami est très beau. Trop souvent, des gens (après avoir su que nous sommes meilleurs amis) me font de longues (et malaisantes) éloges au sujet de sa beauté. J’aurais bien aimé me passer de savoir que la fille de mon concierge rêve qu’il lui marche dessus et de suçoter ses orteils. Rien qu’y penser… je frissonne encore. Pour des raisons évidentes, j’ai préféré ne jamais le partager au principal concerné.

-« T’as peut-être un maquillage de clown, pour ce que j’en sais, mais tu sens bon ! » dis-je joyeusement, en le serrant dans mes bras pour le saluer.

J’entrai ensuite, retirant mes chaussures et enfilant plutôt les chaussons réservés aux invités.

-« Qu’est-ce que ça sent bon ! C’est toi qui a cuisiné ? »

-« Je vois que tu as fait le ménage aussi ! Fallait pas te donner tant de mal pour nous ! » lançai-je pour le taquiner, en riant, faisant mine de regarder autour de moi.

Une soirée presque parfaite

-« En vrai, la scène serait drôle. Je t’en ferais une description exacte pour que tu ne loupes rien. Mais je lui fais confiance, il ne nous a jamais oublié, alors je ne vois pas pourquoi ça commencerait aujourd’hui ! »

Sujin allait-il nous ouvrir la porte, enroulé dans un drap, les cheveux en bataille et sentant… … … le plaisir interrompu ? Il est vrai qu’il ne nous a jamais fait le coup, mais cela veut-il dire qu’il n’en serait pas capable ? Après tout, les hormones, l’amour, appelez ça comme vous le voulez, ça peut prendre n’importe qui à n’importe quel moment, non ? J’avoue que je ne suis pas un expert en la matière. Je n’ai pas osé me remettre en couple ou me rapprocher de qui que ce soit après l’horrible rupture avec Dae Ho. Cela remonte à plusieurs années, pourtant, ses mots m’ont terriblement marqué. Puis, avais-je vraiment le temps de penser à l’amour alors que je dansais avec la mort ? Lorsque j’ai finalement réussi à la convaincre de me laisser plus de temps, je devais me remplir le cerveau d’un maximum d’images de mes proches, sachant que je devrais éventuellement me contenter de leurs voix. Après tout ça, admettons-le, les aveugles ne sont pas la catégorie d’hommes célibataires la plus prisée ! Mes ami.e.s me disent parfois que c’est littéralement parce que je suis aveugle que je ne remarque pas qu’on me dévore des yeux, mais je ne sais pas s’ils disent ça pour me faire plaisir ou parce que c’est vrai. Je me débrouille bien par moi-même, sans blesser personne avec mes caprices de “vie normale”. Je suis bien entouré et les bras qui me serrent en sont bien la preuve.

-« Vous m'avez manqué! Je suis tellement content de vous revoir! eeeet c'est toi le plus beau d'entre nous, Minjun! »

-« Je suis aveugle, mais pas sourd ! On me parle plus souvent de ta graaaaande beauté que de la mienne. » répliquai-je avec un petit rire.

On me dit souvent que je suis séduisant aussi, mais j’ai tout de même l’impression que Sujin est le préféré. Cela ne me dérange pas. Je suis content pour mon ami que tous ses efforts soient autant appréciés ! Il mérite le bonheur et l’admiration qu’il reçoit aujourd’hui.

-« Si ça sent bon, c'est surement la nourriture! ... et biensur que c'est moi qui ai cuisiné! Je ne suis pas que bon pour chanter et danser, uh! J'ai fait tout ce que nous aimions manger quand nous étions plus jeune ...J'étais dans la nostalgie, je crois! »

-« Je me disais bien que ces odeurs me disaient quelque chose. Tu as assuré, comme toujours ! »

J’ai suivi Sujin, un sourire reconnaissant aux lèvres.

-« Qui a osé dire que tu n’étais bon qu’à ça ? Même si en soit, c’est déjà pas mal ! Perso, vaut mieux ne pas me demander de danser… » répliquai-je avec un petit rire.

Ce n’est pas que je serais mauvais, mais je serais sûrement dangereux ! Je pourrais frapper quelqu’un sans le vouloir ou me jeter en bas de la scène, pensant avoir assez d’espace pour réaliser une pirouette alors que… ce ne serait pas le cas. C’est dommage, parce que j’aurais sûrement aimé danser ! Sujin et Ha Joon rendent ça tellement amusant, lorsqu’ils en parlent, ça vend du rêve.

-« Assied toi! et promis, je ne suis pas maquillé en clown ...J'ai peur des clowns! »

-« En même temps, comment ne pas avoir peur des clowns après avoir connu celui qui venait à l’hôpital… »

Je m’installe là où mon ami m’a invité à le faire, ayant entendu des chips se faire voler au passage. Je ne peux m’empêcher de sourire (me retenant de ne pas rire) en les entendant me rassurer au sujet du maquillage de clown.

-« Je me souviens qu’on arrivait à chaque fois à trouver une excuse pour ne pas aller à son spectacle ! »

-« Rien que pour ça, ça aurait peut-être été avantageux d’être aveugle à cette époque-là ! » renchéris-je en rigolant, hochant la tête alors que la tête du clown me revenait bien en mémoire.

Le pauvre monsieur… Il essayait simplement d’égayer la journée d’enfants malades. En y repensant, il faisait une bonne action. Je pense que les autres appréciaient, mais clairement pas nous.

-« Bon! Voulez-vous commencer par du Soju? Du vin? »

J’entends un léger bruit sourd à ma gauche, comme si on bougeait quelque chose sur le comptoir.

-« À ta gauche il y a un bol pour toi! C'est des chips, tes favorites! »

-« Merciiii pour les chips ! » lançai-je, ravi, aventurant déjà ma main pour trouver le bol de trésors (sans en foutre partout). « Et je prendrais bien… du soju ? » ajoutai-je sans vraiment être certain de ce que je voulais boire.

Soju ou vin… tout dépend de ce qu’on mangera, mais pour commencer, le soju accompagnera le mieux mes chips !

-« Si tu as du vin, je suis preneuse. Tu as besoin d’aide pour quelque chose ? Je me sens mal de te regarder bouger en étant assise… »

-« T’as qu’à fermer les yeux, noona, tu ne le verras plus ! » répliquai-je avec un grand sourire con, avant de croquer dans une délicieuse chip.

Je lui proposerais bien de l’aide aussi, mais pour notre sécurité à tous, je préfère m’en abstenir. Lorsque je suis chez moi, je peux tout faire puisque je suis plus que familier avec mon espace. Ailleurs… je préfère ne pas oser.

-« Sinon, quoi de neuf vous deux? Racontez moi tout! Je veux TOUT savoir! »

Je mangeais tranquillement des chips, pensant laisser notre noona répondre en premier, mais… le silence s’installe plutôt pendant quelques secondes. J’ai cette sensation obscure d’être fixé ou qu’on essaie de me communiquer quelque chose ? C’est étrange. C’est sûrement rien que dans ma tête.

-« Hmmm… La vie est plutôt tranquille ? J’ai essayé d’aller à la maison hantée dont tout le monde parlait. » admis-je comme si ce n’était rien de particulier, en haussant les épaules. « Ah ! Et… je pense que… je me suis fait draguer ? Quand je travaillais au piano-bar ? » ajoutai-je, un peu plus timidement. « Alors, c’est ça. Rien de particulier. » repris-je rapidement, n’assumant pas trop mon dernier aveu.