07. Fantôme du passé
No love, no friendship, can cross the path of our destiny without leaving some mark on it forever.

Le temps passe vite, lorsque l’on fait ce qu’on aime. J’ai la chance d’avoir réussi à m’épanouir professionnellement dans une de mes passions. Il est vrai que le sport (surtout le soccer) me manque parfois, mais j’ai dû me faire une raison, il y a bien longtemps de ça. Je peux toujours me rendre au gym et m’entraîner un peu, même qu’il est généralement amusant de réussir à convaincre un ami ou deux de m’y accompagner ! Ce n’est pas pareil, bien sûr, mais la petite montée d’adrénaline et la sensation des muscles brûlants est toujours aussi agréable. J’ai d’ailleurs réussi à traîner un ami avec moi, ce matin. Nous avons bien ri, même si nos corps n’en pouvaient plus à la fin. La douche a été plus qu’appréciée, l’eau faisant un bien fou pour calmer les plaintes que mon corps poussait un peu partout. Nous nous sommes ensuite séparés, allant chacun travailler. J’ai travaillé avec plusieurs artistes de divers niveaux, aidant chacun à trouver sa voix et ses propres particularités pour ensuite mieux les travailler. Je n’ai presque pas touché au piano, sinon pour montrer la note à suivre sans la chanter moi-même. Une de mes protégées me partagea être en amour, mais ne pas trop savoir comment gérer la situation. Les idoles ne sont pas supposées être en relation. Bien que sa confiance me touchait particulièrement, je lui admis que je n’étais peut-être pas la personne la plus à même de lui répondre. Je n’ai jamais été très doué avec les histoires de coeur. Il faut dire que je n’en ai eu que deux ? Si l’on compte vraiment ma première petite amie que… je n’aimais pas ? Je lui avais dit oui, pensant que les sentiments viendraient, mais aussi parce que je ne savais pas comment refuser quelque chose d’aussi délicat. Puis, j’avais cruellement blessé la seule personne que j’avais vraiment aimé. Ayant ce triste historique amoureux, je ne me sentais pas à ma place de la conseiller ! Je tentai de le lui expliquer. Je crus percevoir de la déception dans sa voix et j’en fus navré. Je tentai de me rattraper en la faisant élaborer sur ses sentiments, sur ce qui lui faisait peur, sur ce qui lui était agréable. Peut-être qu’en ayant une image plus claire, il serait plus aisé de prendre une décision. Sans lui dire de tout abandonner pour se concentrer sur sa carrière, je lui conseillai plutôt de se tourner vers d’autres idoles ayant connu ce même dilemme. Iels pourraient sûrement mieux l’aiguiller que moi ! D’ailleurs, je lui partageai finalement quelques petits trucs que j’avais appris, ici et là, au fil de mes conversations avec eux. Elle pourrait en faire ce qu’elle voulait, les utiliser ou non, mais ce serait toujours mieux que de lui donner l’impression qu’elle ne pouvait pas se confier à moi, non ?

Ma journée se termina sans que personne ne débarque en panique pour me demander de l’aider avec une note ou une chanson particulière. La température était fraîche, mais pas glaciale, juste agréable. Je n’eus pas envie de directement rentrer chez moi et de m’enfermer. Sujin était occupé avec son groupe. Yoo Kyung devait être avec son mari à un truc d’essayage de costumes. Ha Joon se préparait sûrement à éblouir une salle comble. Ari faisait, je l’espère bien, les yeux doux à Hyun Su… J’aurais pu débarquer à l’improviste chez mes parents, mais je ne suis pas certain d’avoir le courage de tomber sur eux pendant qu’ils profitent de leur intimité ! Si mon petit frère est présent, il n’y a aucun danger, mais je doute qu’il passe vraiment ses soirées à jouer au scrabble avec nos parents. Il y a ce parc, à Junggu, que j’aime bien visiter de temps en temps. Il y a un piano que n’importe qui peut utiliser. Certes, je joue déjà quelques soirs par semaine au piano-bar et j’enseigne le piano aussi… mais, ça reste différent. J’aime jouer, parfois, pour le simple plaisir d’avoir conscience de faire partie de l’OST de la vie des gens. D’une manière spontanée et impromptue. Un peu comme une surprise (agréable, je l’espère). Lorsque les gens décident d’écouter mes morceaux sur spotify ou de venir m’écouter jouer au bar, ils ont planifié de me laisser l’honneur de mettre leur vie en mélodie. Lorsqu’ils m’entendent au parc, c’est différent. Parfois, ma musique ne se glisse que quelques secondes dans leur vie. D’autres fois, ils s’arrêtent et prennent le temps d’écouter une chanson complète ou plusieurs même. Je préfère faire abstraction des rencontres négatives et suis toujours reconnaissant aux gens qui m’abordent pour me complimenter sur ma façon de jouer. Le parc était silencieux lorsque j’arrivai. J’en fus à la fois soulagé (je ne volerais la place de personne) et déçu (j’aime toujours entendre les autres pianistes danser sur les touches). Je trouvai finalement le piano, ayant l’habitude de m’y rendre et m’installai après m’être assuré qu’il n’y avait rien sur le banc. Je pliai ma canne et la posai sous le piano, près de mes pieds sans qu’elle ne me gêne pour autant. Je ne la mets plus sur le côté depuis que des … petits farceurs… ont pensé que c’était une super idée de la voler. Rentrer chez moi avait été un peu plus compliqué, ce soir-là. Heureusement, Ha Joon avait pu voler à ma rescousse et était venu me retrouver afin de me raccompagner chez moi.

Je commençai avec une mélodie toute douce, gêné de briser le silence environnant. Mes doigts valsaient avec aise sur les touches, les connaissant par coeur. Un sourire tranquille se dessina sur mes lèvres, alors que je me sentais tranquillement plus confortable avec l’ambiance mélodieuse que je créais. Je laissai les chansons se suivre selon mes envies spontanées, les notes s’enchaînant agréablement les unes après les autres. J’entendis quelques applaudissements, après ma troisième chanson. Je rougis légèrement, surpris, mais touché qu’on se soit arrêté pour me souligner son appréciation même si le geste était simple, je l’appréciais. Je continuai à jouer, prenant plaisir à habiller les silences de ce parc, à les colorer à ma manière particulière. Je ne saurais dire combien de chansons mes doigts purent jouer, mais je finis par arrêter. Ce n’était pas parce que je m’étais lassé (je pense que ça n’arriverait jamais), mais plutôt parce que je me disais qu’il était temps que je cesse de m’imposer sur le silence. Peut-être qu’une autre pianiste avait envie de jouer aussi. Peut-être que le parc avait envie de retrouver son calme. Je souris chaleureusement en entendant les quelques applaudissements. J’ai l’impression qu’il y en avait plus que tout à l’heure ? L’idée que davantage de gens se soient arrêtés rien que pour me prêter une oreille me faisait plaisir, je m’en sentais d’autant plus honoré. J’hésitai, pendant un long instant, à en jouer une dernière. Cependant, cela aurait été de la gourmandise. Mieux valait ne pas gâter le moment et s’arrêter là. Je pourrais toujours jouer chez moi, si l’envie me démangeait encore.

-« Tu t’es amélioré. »

Je me penchais pour attraper ma canne (toujours sous le piano) lorsque j’entendis cette voix. Je me cognai la tête sur le piano sous la surprise, ne me concentrant plus sur ce que je faisais, et tout le monde put entendre ma maladresse. Je clignai des yeux (réflexe que j’ai toujours malgré ma cécité) et me redressai, abandonnant ma canne là où elle était pour plutôt passer ma main sur mon front endolori.

-« Pardon ! Votre voix… me rappelait quelqu’un… » admis-je, visiblement agité par ce souvenir doucereux. « … Mais… pardon… je suis juste bizarre. » ajoutai-je avec une esquisse que je forçais afin de cacher la douleur de ce que je censurais.

Dae Ho ? C’était impossible. Enfin, je veux dire, il est très possible qu’il soit encore en vie et qu’il vive justement ses meilleurs moments. Cependant, il me déteste sûrement encore, donc… jamais il ne viendrait me voir. Je sentis mon coeur se serrer douloureusement à cette pensée. Malgré toutes ces années, j’avais encore honte de lui avoir fait mal avec mon égoïsme. Je ne l’avais compris que trop tard.

-« Vous… dîtes que je me suis amélioré, alors… vous m’avez déjà entendu ici ? » demandai-je avec un petit sourire, tentant de me rattraper.

Je tournai d’ailleurs la tête dans sa direction, me rappelant les politesses de base. Je ne le voyais pas, mais ainsi, il savait que je lui prêtais mon attention.