I can play rough if that's what you want   @Nam Yujin  

---

« Tu te caches de quoi, exactement ? ». Le sourcil est arqué vers les hauteurs, les bras et chevilles croisées, l’épaule contre l’embrasure de la porte ouverte. Cela fait un moment qu’il observe la jeune femme s’entrainer, ainsi a-t-il décidé d’interrompre les efforts. « Tu as peur de te retrouver devant les autres, petite brindille ? ». Son rictus est équivoque, empli d’arrogance propre au loup, dont les crocs sont aiguisés de provocation perfide. Elle possède de très bons positionnements, des gestes adéquates selon les situations qu’elle entreprend et il se questionne à chaque nouvelle venue de ce manque d’interaction avec autrui. Il n’a cependant pas l’impression que cela provient d’une quelconque timidité, ni même d’une prétendue réserve. Alors, pourquoi adopter cette défense ?

Elle pourrait s’améliorer considérablement. « Tu as peur de te faire botter le cul par un débutant ? Ou tu préfères bécoter un sac de frappe encore longtemps ? Loin de moi l’idée de te détacher de ton prétendant. ». Il lui accorde une moue espiègle, quoiqu’un brun goguenard. Le tutoiement s’est complètement insinué entre les deux, sans avoir eu le besoin de le demander. Après tout, il n’a jamais été enclin à la politesse exigée par les aînés. Sa salle reste la sienne, selon ses règles uniquement. Un prince ne se défait pas de sa couronne aussi aisément. De même, l’endurance de la petite prend le pas sur ses quelques faiblesses, sans pour autant pouvoir les rectifier en combat réel. « Ou prétendante, éventuellement. Tu serais capable de me montrer en face à face ? ». Autant commencer doucement, si elle demeure bien trop frileuse à l’idée du ring en plein milieu de la salle. Il quitte sa place, étirant ses muscles en s’approchant de son interlocutrice.

Gauche. Droite. Gauche. Droite.

Des jours s'émotions refoulées trouvent finalement une porte de sortie au fond d'une salle de boxe, se heurtant à un sac très souvent malmené. Colère, tristesse, honte, désespoir. C'est mieux lui que moi. La boxe, une solution facile pour vaincre mes mille et une impulsions et mes envies de donner un coup au premier objet que je trouve. Un oreiller, une peluche, mes livres, un mur, un miroir. Ici, tout ce qu'il y avait d'important, c'est le sac et mes mouvements. Pieds bien placés, mains élevées, genoux pliés, poids bien réparti sur chaque jambe. Rien d'autre à faire, rien d'autre à penser. Frapper, c'est tout. Évacuer.

Gauche. Droite. Gauche. Droite. Volontairement, j'ignore les paroles qui émergent à côté de moi; ridicules, moqueuses. Je ne dois rien à personne. Ils sont plusieurs à venir; sportifs aguerris, idoles, amis, ennemis. Ils s'entraînent, ils s'amusent, ils se bagarrent, ils se serrent la main et rigolent. Moi, je frappe. Dire que je n'avais pas remarqué les regards des autres, intrigués, serait mentir. Visiblement, celui qui essaie de m'interpeler aujourd'hui semble bien irrité de mon exil volontaire. On s'en fout. Je n'ai pas besoin de lui. They wouldn't get it. It's an outlet. Le temps d'une seconde, je reprends mon souffle, observe la posture de l'homme que j'aperçois à peine du coin de l'oeil, et je frappe.

Mais voilà qu'il en rajoute. Remet en question mon intégrité, ma fierté. Quelle arrogance. « Fous-moi la paix », je lance sèchement, sans lui offrir la satisfaction d'un regard. Ignore-le, c'est pour le mieux. Mais plus il en remet, plus cette honte refoulée se change en colère, et plus cette colère est difficile à évacuer. Difficile à ignorer. Je vois rouge, le sac devient flou alors que mes mouvements sont moins précis, mes pieds hors positions, mon poids débalancé. Et puis la chaleur monte. Ignore le. Mais plus il continue, plus je n'y arrive plus. La bombe explose, et je frappe mon sac à deux mains et je me retourne vers cette plaie, celui qui ruine tout. « Ah fuck me, mais merde qu'est-ce que t'as pas compr- »

C'est le propriétaire. C'est la honte qui reprend sa place au sein de mon âme, se débarassant de la majorité de cette rage qui s'était mise à bouillir si rapidement. Il s'approche et moi je ravale ma salive, ignorant mes mains tremblantes dans mes gants. « J-je dérange personne, je fais juste... » Je bégaie, soudainement envahie d'un désir fou de me faire petite, de disparaître. Pourquoi moi, précisément? Pourquoi pas vouloir faire face à n'importe lequel des autres habitués?

You're not a quitter.

« Vas-y, j'ai pas peur de toi. » Des paroles courageuses sorties presque par automatisme. Des paroles pleines de convictions, largement à l'opposé de ma nervosité initiale.
 

I can play rough if that's what you want   @Nam Yujin  

---

Le sourcil se soulève, devant le bégaiement évident, si différent des propos d’avant. Le rictus au coin des babines s’agrandit face à la témérité. « On retrouve du poil de la bête ? ». Du menton, il désigne le centre de la pièce. « Je prends mes gants et on commence. ». L’ordre est octroyé, ne laissant aucune possibilité de convaincre, ni même de s’échapper. Les pas résonnent à peine tant ils sont légers, mais un casier claque sous la faible musique de fond. Et quelques minutes suffisent pour que le propriétaire soit en face, la position adéquate. Sa tignasse se penche sur le côté durant quelques secondes, l’espièglerie dans le creux des rétines – ce qui n’équivaut à rien de bon. Sans crier gare, les bras s’avancent, le corps pivote avec fluidité, les pieds connaissent exactement les emplacements. Tout est rapide et il est ravi de constater qu’elle encaisse plutôt bien.

Néanmoins, le manque flagrant va rapidement se remarquer. Bon en activités physiques n’est pas synonyme de réussite sans affronter un corps humain, avec l’endurance, la force ou l’agilité, prompte à déstabiliser. Et encore moins face au chorégraphe vicieux qui percute les endroits douloureux pour faire asseoir son autorité, ne laissant qu’un haussement d’épaules en guise de réponse. « Tu as de très bons réflexes, mais tu ne ménages pas avec ton endurance. Et tu te laisses surprendre, tu perds ton pivot et surtout, tu oublies de te protéger. ». Ye Jun n’a pas été violent dans ses actes, provoquant un frottement qu’elle sentira durant plusieurs jours. « Un peu plus en défense et ta coordination va se débloquer. Pourquoi vouloir toujours rester seule ? ». Clairement, elle a des capacités.

« Tu ne veux pas évoluer ou tu es trop craintive de te mesurer à d’autres ? Il y a d’autres coachs, certains habitués font quelques matchs amicaux. Tu peux venir observer si tu le souhaites pour en apprendre. ». Il n’oblige pas. Après tout, la plupart viennent dans ce lieu pour extérioriser leurs sentiments, ou un besoin de se défendre et bien d’autres. Aucun ne vient possiblement pour gagner en compétences. « Pourquoi tu es si nerveuse ? Tu as peur que je te bouffe ? ». Pour être aussi amical, cela n’est pas totalement véridique. Mais il ne faut pas l’exclure non plus. Son territoire, ses règles, sa couronne. Bon, ses gestes précédents sont une légère vengeance puisqu'elle ne l'a pas écouté avant, mea culpa. « On y retourne. Tu commences. » Et cela n'est pas une question.

C'est sans plaintes ou artifices que mes pas me mènent à l'endroit demandé, tentant tant bien que mal d'ignorer l'arrogant sourire sur les lèvres du propriétaire. Profitant de ces quelques moments de répis, je pose mes pieds au sol, fermes; je respire, de grandes bouffées d'air qui remplissent mes poumons et remettent à zéro mes émotions, aussi improbable cela puisse être. Mes doigts désormais libérés de mes gants glissent maintes fois dans mes cheveux avant d'être contrainte par le temps de remettre mon équipement. L'homme s'arrête, son regard intriguant; le mien le retrouvant, sans broncher, sans oser cligner des yeux. Et sans même un avertissement, il mène le bal.

Il veut te déstabiliser. Forcée à jouer à la défensive lors des premières secondes, je réussi tout de même à en faire mon égal, répliquant à ses mouvements, gardant mes pieds bien plantés, mon poids bien balancé. Impossible de vaincre sans une forme impeccable. Mais à la moindre erreur, il prend le dessus. J'ai pu répliquer rapidement à la première offensive, mais tout aussi rapidement je croule. Je perds pied, je quitte ma position, je suis repoussée par des coups qui me forcent par instinct à déposer un genou au sol. Les sourcils froncés, les dents sorties, je reprends mon souffle et je me relève. Ne le laisse pas gagner. C'est tout ce qu'il veut. Le voilà qui, malgré mon discours interne, sème le doute dans mon esprit. Veut-il m'aider, ou me ridiculiser?

« C'est mon choix. Qu'est-ce que ça peut bien te faire. » Ma voix déjà rauque, je choisi de ne pas lui donner davantage de portes d'entrées. Il peut me malmener physiquement, il me met hors de moi; mais hors de question qu'il trouve des munitions supplémentaires pour mener à bien son plan, quelconque soit-il. J'ignore ses conseils, n'osant rien risquer, et je me remets en position sous les nouvelles provocations. Mon regard s'enflamme.

Armée du même silence qu'il eut utilisé contre moi, je commence le deuxième round tel que demandé. Le match commence de manière similaire; deux égaux, malgré le flagrant déséquilibre d'expérience. Cette frustration rampante m'empêche de bien ménager mes forces, si bien que mes coups sont plus vifs, plus téméraires, moins calculés. Et comme l'affrontement précédent, il prend le dessus, profitant de la moindre erreur commise. Un pied quelques centimètres trop à droite, un gant trop bas, un combo mal exécuté. C'est un poing dans l'estomac qui termine le tout; un coup d'une même force que les précédents mais qui arrive à me forcer à genoux, le souffle coupé.

Mes esprits reviennent rapidement mais l'air continue à trouver difficilement son chemin vers mes poumons, en partie par épuisement mais principalement à cause de cette boule qui se forme dans ma gorge. De l'embarras. Quelle pathétique performance. Une honte comme d'habitude. Bonne à rien. Incapable de rien faire, comme tout le reste. Pourquoi tu essaies, de toutes façons? Tu as perdu. « À toi. » Les mots sont sortis seuls; difficilement, certes, mais d'eux même. Sans même m'en rendre compte j'étais de retour debout, en position, jambes et bras tremblants légèrement. Cette volonté à ne jamais vouloir baisser les bras est à la fois une bénédiction et un fléau.

I can play rough if that's what you want   @Nam Yujin  

---

Le sourcil se relève d’un air arrogant. « Continuer ? Dans ces conditions ? On va d’abord revenir aux rudimentaires, avant de vouloir s’attaquer à plus grand que soi. C’est bien d’avoir la confiance, encore faut-il avoir le reste. ». Dit-il en s’approchant, repoussant sans effort les bras gantés vers lui pour se placer à côté d’elle. Il effectue quelques mouvements et répète l’opération. Ce qu’il réalise, ce sont exactement celle qu’elle vient d’octroyer péniblement à celui qui n’a rien senti. Les placements maladroits, les dérèglements des positions basiques, tout s’est étiolé si aisément. « Tu vois le problème ? Anticipable. Tu as de bonnes combinaisons, que n’utilise pas. Il suffit de t’enflammer un peu pour redevenir une débutante qui prétend connaitre. Tu vois où sont tes défauts ? ». Ce qu’il n’a pas forcément émis.

Comme certain lancé, ou oubli fondamental de protéger l’autre côté, créant une ouverture directe pour un coup fatal. Et d’autres petits éléments, la laissant prendre le temps de parler, de réfléchir à tout cela. Il ne la sermonne pas, il essaie de lui comprendre les tenants et aboutissants de se laisser distraire par les sentiments. Les provocations sont monnaie courant dans ce milieu, lui-même tait suffisamment son arrogance dans un match, sachant qu’une pensée de travers suffit à se faire mettre au tapi. « Autant, rester dans le mutisme est une bonne idée, mais cela n’a pas servi à grand-chose si tu réponds aussitôt. Tu ripostes par les gestes plutôt que les mots ? Tu ne me diras rien ? Parce que je suis le propriétaire ? ». Il abuse de son statut d’un air enfantin, enroulant son bras autour de la fine taille pour la soulever.

Sans prendre part aux plaintes ou possibles gesticulations, il se dirige vers les casiers – la faisant gigoter si celle-ci bouge trop, sans donner la nausée, pas de vomi dans sa salle. Une fois devant, il la repose et lui offre une bouteille d’eau. Il ne l’a aucunement ménagé et même lui à légèrement froncer le nez devant son coup à l’abdomen. Elle s’endurcira, au moins. Il porte sa main derrière son oreille, comme s’il voulait entendre quelque chose. « Hum ? Tu as parlé ? Préférer t’écraser ? Tu veux me frapper ? Je n’entends rien. ». Il lui soumet un regard goguenard. Ye Jun est dénué de beaucoup de sympathie, moins lorsqu’il boxe ou même lorsqu’il danse. Une passion se transmet, elle ne rebute pas.

Revenir aux rudimentaires. Le commentaire eu le don de m'agacer davantage, mais mon énervement ne fut que de courte durée. La respiration toujours un peu difficile, les bras toujours péniblement levés, je le laisse faire ce qu'il veut, ne le suivant que du regard lorsqu'il le fallait. Les mouvements qu'il effectue dans le vide, la même routine de base que je connais, peut-être même la seule. Son ton de voix m'irrite, mais ma colère ne dédouble pas. Oui, l'arrogance y est toujours, mais les circonstances ne sont plus les mêmes. Il se veut enseignant, presque encourageant, rassurant. C'est suffisant pour que cette furie se calme, pour que je reprenne focus.

Je me contente d'hocher de la tête lorsqu'il pointe mes faiblesses. Prévisible, enflammable, basique. La colère, sans doute mon plus grand défaut. Malgré ce sourire qui peut me venir si facilement, servant de masque ou non, il fut toujours facile de m'énerver. En général les tensions redescendent rapidement. Mes frères sont ceux qui poussaient davantage, comme n'importe laquelle autre fratrie pourrait bien le faire; mes amis savent où est la limite et ne s'en tiennent qu'à des taquineries, des manières de détendre l'atmosphère. Mais lorsque la limite est franchie, que faire? Après tout, c'est cet endroit-même que j'avais désigné pour m'aider à revenir du bon côté de la force. Mais si j'atteins ma limite sur les lieux, comme aujourd'hui? Then what?

Mes yeux se rivent vers le tapis, mon regard honteux. Il a raison, après tout. Garder ses émotions ou ses pensées pour soi de peur de blesser ou par peur de les affronter c'est une autre, mais les gestes veulent tout dire. Mon mutisme continue, faute de savoir quoi répliquer; tout le contraire des quelconques excuses que je m'étais données quelques minutes auparavant. Malgré moi, un grognement s'échappe d'entre mes dents lorsque mes pieds quittent le sol; je me résous toutefois à mon sort, n'ayant pas tout à fait la force de me débattre ou l'autorité de requérir qu'on me remettre à terre. Aussitôt les pieds déposés que je glisse mon dos contre les casiers, prenant place assise au sol, attrapant la bouteille d'eau au passage.

« ... Merci » laissai-je simplement échapper entre deux gorgées d'eau, celles-ci apaisant le feu qui semblait avoir pris dans ma gorge. « J'ai jamais vraiment pensé apprendre davantage que la base. » Les pensées s'écoulent hors de mes lèvres, sans vraiment qu'il l'ait demandé. Il moquait mon mutisme, mon absence de réponses à ses questions. Peut-être était-ce le temps de lui donner quelques réponses. « J'avais juste besoin d'un endroit pour extérioriser. Frapper quelque chose. you know? Toute seule, juste... moi et le sac. » Frapper quelque chose, parce que sinon ce quelque chose aurait été le mur, ou moi-même.

I can play rough if that's what you want   @Nam Yujin  

---

Les épaules se relèvent avec nonchalance, les bras croisés contre sa poitrine. « Et il n’y a pas de mal avec cela. La plupart viennent ici afin d’extérioriser tout ce qu’ils ne peuvent dire par les mots et c’est tout de même moins douloureux de frapper un sac qu’un mur. ». Il ne lit pas dans les pensées, car elle n’est pas la première à venir pour cette raison. Quand bien même, il existe des salles issues à cet effet, beaucoup d’entre eux se résolvent à une pratique sportive que laisser un amas de colère contre des objets. « Est-ce que tu cherches seulement un moyen de faire exploser ce que tu ressens ou bien, tu souhaites le canaliser ? Si c’est uniquement la première option, pourquoi venir dans une salle de boxe à défaut de ces pièces créées pour se défouler ? ».

Ces furry room où chacun peut ainsi exprimer pleinement son désarroi, son désespoir, tout ce qui est inhibé et ne cherche qu’une flammèche pour mieux s’embraser. Jusqu’à épuiser ses membres, sentir les tremblements du corps et celui du cœur, embrumer les pensées dans ses propres tourments. Néanmoins, la seconde option permet de contrôler ces effets. Le chorégraphe lui pose une question simple : désire-t-elle conserver son même supplice ? Entraver ses capacités par ses affections, chaque ébranlement ou permettre de discipliner pour mieux réagir ? « Si tu cherches seulement un moyen de lâcher prise, pourquoi pas. Néanmoins, ce sera toujours le même cycle et ton regard honteux me dit que ce n’est pas vraiment ton objectif ou alors, tu te mens à toi-même. ». Arrogance piquante.

« Tu ne sais pas gérer ta colère ou ta frustration ? Tu ne sais franchement dans quel état tu es ? La boxe est idéale pour caractériser et contrôler tout cela. Frapper le sac pour expulser les premières bribes, soit et le deuxième en face-à-face pour savoir si cela te permet de voir ton avancée. Encore une fois, tout dépend de ton choix. Soit, tu restes dans ton immobilisme, soit tu veux avancer. Et l’un comme l’autre, c’est toi qui décides. ». Il s’étire et plisse légèrement les paupières. La psychologie de comptoir n'est pas pour lui, cependant, il ne se permettra pas de parler aussi familièrement à un client de sa salle. Ye Jun n’est pas de ce caractère conciliant et allant dans le sens des autres pour se faire bien voir, surtout lorsqu’il aperçoit les compétences et les possibilités d’évolution.

L'impulsivité. Un réel fléau, une plaie, quelque chose qui ruine une vie. La colère, la frustration; toutes reliées à cette impulsivité, cette facilité à réagir, à être provoquée. À défaut de me battre contre les autres, casser ce qui m'apartient, ou même me faire du mal, j'ai décidé d'apprendre à garder ces émotions camouflées juste assez longtemps pour pouvoir l'évacuer d'une meilleure manière. Quelque chose de plus sain. Quelque chose de moins dangereux. C'est un problème, oui; mais au moins j'avais une solution, aussi temporaire pouvait-elle être.

« J'me disais c'était plus productif faire du sport que de juste tout casser », répondis-je finalement en haussant les épaules. Ce n'est qu'une partie de la vérité, par contre; l'idée des pièces qu'il mentionne ne m'étaient jamais vraiment venu en tête. Malgré tout, sans trop réfléchir plus loin, il était facile pour moi de trouver une solution près de ce que je connais. La familiarité, concept qui peut être étrangement réconfortant même si souvent un peu trop prudent.

Néanmoins, il a raison. Plus ma colère se dissipe, plus l'objectivité revient, et plus la voix de la raison se fait entendre. Même si ses paroles font du mal, même s'il est difficile d'entendre quelqu'un m'assommer de plein fouet avec les faits. Je me contente simplement d'hocher la tête, l'écoutant parler de boxe, les étapes, les choix, les raisonnements. Un long soupir s'échappe de moi, comme pour expulser la pression. D'un bond je me relève, bouteille d'eau toujours à la main, les dernières gorgées avalées à l'instant.

« Got it boss » Je dépose la bouteille là où il le faut, et je retourne me positionner vers le centre de la pièce, le regard rivé vers le propriétaire. « Alors c'est quoi la prochaine étape? Plus de pratique en solo? Un autre duel? » Mes esprits sont calmes, du moins plus qu'au tout début. J'ai cette impression, cette volonté d'être prête à me reprendre mais est-ce juste de l'enthousiasme? De l'énergie mal placée?

I can play rough if that's what you want   @Nam Yujin  

---

Du menton, il désigne le contenant prévu pour les bouteilles vides, rangeant la sienne dans son casier privilégié, observant du coin de l’œil la jeune femme revenir vers le centre. Il la suit docilement, étirant ses muscles avec un rictus en coin des babines. « Tout doux, vouloir est une bonne chose, mais ne te sent pas pousser des ailes après un discours motivant. Reprends d’abord les positionnements de base et après, je jugerai si tu dois revenir à un sac en guise de copain ou en face-à-face. ». Il lui donne ainsi les cartes de se discipliner ou de rejeter tous les principes aussi aisément que cette soudaine envie de se reprendre en main. La prudence est de rigueur, surtout en observant l’entrain qui supplante la colère, pour le moment.

La rejoignant, il l’observe donc diriger ses poings, penchant la tête sur le côté comme un prédateur prêt à dévorer aux moindres faux pas. L’air saturé de sérieux, d’intimidation du propriétaire, les pupilles rétrécies vers l’unique personne qui exécute sans broncher. Il vient parfois replacer un pied qui se déloge, indiquer le manque de protection de son visage ou les gestes inutiles pris par habitudes. « Toujours protéger son visage. Il vaut mieux réceptionner un méchant coup que frapper dans le vide. Dans le premier cas, tu pourras répondre et dans le deuxième, tu te mettras à mal par ta propre faute. Prends le temps. ». Nul besoin de se presser, lorsqu’il avance de temps en temps dans un geste rapide, intercepté par la petite. Il hoche la caboche, recommence avec un autre coup, plus vicieux cette fois.

Il soulève les épaules. « On fait cela dans les règles, mais je ne vais pas te ménager. Tu es une tête brûlée. ». Il revient à la faible provocation, grimpant peu à peu les échelles dans un objectif précis : va-t-elle répondre comme précédemment, dans une rage bourdonnante où s’apaisait et mieux comprendre les enjeux qui se présentent devant elle ? Le danseur se montre bien plus incisif dans ces gestes, l’obligeant à moins réfléchir par sa rapidité. Un peu revêche, mais quiconque connait le chorégraphe sait à quel point il n’est pas accommodant. Il pousse toujours plus loin.

Tel que demandé, je m'exécute, me positionnant du mieux que je pouvais au milieu de la pièce. Ses paroles font écho à mes sentiments; c'est à moi de voir si mon enthousiasme n'est que de l'énergie mal placée suite à un discours, ou si j'ai simplement réussi à recentrer mon énergie correctement, prête à réellement apprendre. Alors je respire, j'essaie de m'assurer que rien ne reste pris à l'intérieur. Camoufler ses émotions, c'est un peu un instinct de survie. Ici, ce n'est, au final, qu'un club de boxe. Il faut être prudent et discipliné, oui; mais la survie? On se bat pour le sport, pas pour tuer ou faire du mal. Du moins, je l'espère.

Je lève les bras et je frappe dans le vide, essayant de me pas me faire distraire par celui qui tourne autour de moi comme un vautour, prêt à bondir à la moindre erreur. Je laisse parfois échapper quelques faibles grognements, surtout par surprise, lorsque mes pieds se font replacer. Autrement, et étonnemment, les commentaires ne m'atteignent pas. Je prends le temps. Je reviens à la base, j'arrête d'avoir l'impression que je dois survivre.

Cette fois-ci, les coups sont anticipés, bien bloqués. Certes il n'y a pas d'autres facteurs, il ne fait que tourner en rond, il s'exécute, essaie de me prendre par surprise. Ce n'est pas un réel duel, plutôt un enseignement. Impossible de savoir pour l'instant si j'allais réussir à garder mon sans froid lors d'une réelle chorégraphie. Ou si j'étais prête, en premier lieu.

Heureusement, il semble croire que si, et m'invite à se battre à nouveau. Tête brûlée, qu'il dit. Je souris malgré moi, un peu énervée. Il a raison, ma réaction en est même la preuve. Mais ça va, il ne fait ça que pour m'atteindre. Je continue de respirer lentement, sans tout laisser bouillir en moi. Il s'amène avec une certaine vitesse et force; il a levé d'un cran le niveau de difficulté comparativement à tout à l'heure. Cette fois-ci, je tiens bon. Je me défends, je reste sur les bases, je réplique parfois même.

Toute bonne chose a une fin. Un pied mal placé, juste un; et ce fut suffisant pour que je perdre l'équilibre et qu'il aille déjà le dessus. « Woah! », je laisse échapper en tombant sur le côté, genou au sol. Mais étrangement, je souris. Ce n'est pas de la colère que je ressens cette fois-ci, mais en quelque sorte... de la fierté? J'avais perdu encore, mais au moins je m'étais bien débrouillé. Du moins, c'est ce que je crois. Je me relève donc, convaincue de savoir quelle était mon erreur. « Round two? »