Les dernières notes jouées, Tao Fen put enfin respirer et souffler. Il ferma un instant les yeux avant de frapper une fois dans ses mains en direction des enfants. Ses habituels cernes semblaient s’être creusés à mesure que les élèves de son cours d’initiation tentaient vainement de faire sortir des sons de leurs instruments.
Avec un petit sourire sur le coin des lèvres, le chinois rouvrit les yeux et annonça la fin de la classe. Le brouhaha habituel se fit alors entendre. Et le Lin se pinça l’arrête du nez en expirant profondément avant de lever les yeux au plafond. Cela faisait quelques semaines à présent qu’il avait accepté ce poste, car il fallait bien se nourrir après tout, mais il ne s’était clairement pas suffisamment préparer à ce que cela pouvait être d’endurer pareil torture.
Le musicien n’avait pourtant aucune haine particulière envers les enfants, au contraire, il se disait que cela devait être charmant de suivre les premiers pas d’un être dans son art, mais c’était sans compter sur son propre caractère un poil trop perfectionniste pour ce travail.
Il devrait trouver un équilibre, du moins il espérait en trouver un, mais pour le moment il se sentait surtout démuni et fatigué.
Ses élèves semblaient l’apprécier au vu des grands sourires et des mains agitées qui se montraient en sa direction tandis qu’ils sortaient du studio.
Bientôt il les entendait descendre la rue en continuant leurs chamailleries et bravades.
Tao Fen rassembla ses affaires, rangea son propre violon, amour inconditionnel de sa vie et passa sa main sous sa frange brune pour enlever les quelques gouttelettes de sueur qui y perlait. La saison chaude commençait à revenir, et ce n’était pas trop tôt, lui qui avait bien du mal à supporter l’hiver en Corée du Sud malgré les années passées dans ce pays.
Éteignant les lumières, puis fermant le studio, Tao Fen se dirigeant vers le petit bureau qui servait de secrétariat où l’intendant des lieux regardait la télévision sur un petit poste qui devait être bien plus vieux que le jeune homme lui-même.
“Bonne soirée professeur Lin!” lui lança le petit monsieur.
Tao Fen se fendit d’un simple acquiescement ainsi que d’un mince sourire et se dirigea vers la sortie.
Un léger vent vint alors lui caresser doucement le visage. Il prit le temps d’en profiter tandis que ses pas le menaient doucement vers le convenient store où il avait l’habitude d’aller afin de s’acheter de quoi se remonter le morale. Le plus souvent un simple café glacé où bien un paquet de chips.
A peine a-t-il eu le temps de se diriger vers l’un des rayons qu’une voix s’adresse à lui. Tao Fen fléchit, surprit, sentant son propre corps faire un geste de recul, ses yeux s'écarquillent avant de se resserrer en deux fentes suspicieuses.
“Oh euh… bonsoir je suppose.” lachat-il du bout des lèvres.
Jamais au grand jamais il n’avait été abordé de cette manière et on pouvait dire que la dégaine générale du garçon qui se trouvait face à lui était d’un contraste saisissant avec la sienne, bien plus sévère dans sa chemise bleu ciel à manche courte et son pantalon ceinturé.
L’image de groupe de jeunes filles et garçons se dirigeant vers le bâtiment adjacent à celui où il travaillait lui revint alors en mémoire et il pencha la tête imperceptiblement en clignant des paupières.
“Le studio de danse c’est ça ?” demanda-t-il d’un ton qui feignait de l'intérêt sans pour autant transpirer la curiosité.

Le regard du jeune homme se détache un instant du garçon qui lui fait face et observe la ruelle au-dessus de son épaule. Il y a là, dans cette vision, une habitude, un lieu commun qui était devenu son quotidien maintenant et qui le serait certainement pour les mois voire les années à venir. Ses pensées se perdirent dans la perspective de passer ces temps seuls et isolés. Ses proches avaient tous comme lui un travail et un emploi du temps chargé et il fallait l’avouer se dire que les prochaines interactions sociales qui lui seraient disponible ne provenant que d’enfants n’était pas des plus réjouissantes.
« Je vois. » dit-il en reportant son regard vers le jeune homme dans sa tenue d’entrainement.
Les yeux perçants du chinois s’adoucirent et un léger sourire, mince et doux se fit sur ses lèvres. Tao Fen salua à son tour avec politesse le danseur en essayant de se rappeler la prononciation exacte de son nom.
D’un geste lent, le musicien reposa ce qu’il avait dans la main sur l’étagère et se pencha la tête légèrement sur le côté, comme le ferait un chat curieux en plissant légèrement les paupières.
« Lin Tao Fen. » Conscient qu’il serait potentiellement difficile au garçon de savoir prononcer correctement son nom, le chinois avait pris la peine de parler lentement afin de se faire comprendre du mieux possible, et surtout de ne pas avoir à se répéter.
Puis d’un geste qui aurait pu paraître agaçant, il regarda sa montre sur son poignet peut-être un peu trop mince pour sa corpulence, résultat de nombreuses heures à manier son archer et fit claquer sa langue contre son palais.
« Il n’est pas trop tard encore … vous avez peut-être le temps pour un verre ? » la proposition était lancée avec un sérieux presque cérémonial, comme un entrepreneur prendrait rendez-vous avec un investisseur. Ce ton provenait certainement du choix de vocabulaire qu’il faisait, incertain des formules qu’il se devait ou non d’utiliser en fonction de ses nouvelles rencontre Tao Fen avait fini par opter pour les plus hautes formes de politesses par défaut. Mais il n’avait pas le choix de faire autrement, ne possédant pas tous les codes de ce pays dans lequel il résidait depuis pourtant si longtemps. Heureusement pour lui, hormis cet accent trainant et ce léger chuintement de bouche, son coréen restait en toutes circonstance impeccable. Un atout dans le milieu dans lequel il évoluait, une tare pour se créer des liens avec la population locale.

Il n’y a rien de plus commun en Corée du sud que de se retrouver devant une connaissance en allant chercher de quoi se restaurer ou sauver une fulgurante fringale dans un convenient store. Les néons froids et agressifs ne mettent personne en valeur, mais le bruit des énormes frigidaires fonctionnant vingt-quatre heures sur vingt-quatre sept jours sur sept a quelque chose d’étrangement rassurant. Comme le ronronnement familier d’un gros chat. Tao Fen peu entendre leurs dissonances, son oreille habituée à toutes sortes de mauvaises mélodies maintenant qu’il est devenu lui-même enseignant de violon.
La proposition de l’homme qui se trouvait face à lui lui plaisait, bien qu’il aurait certainement de l’être sur ses gardes, car on ne rencontrait que rarement ses collègues dans ces conditions. S’ils pouvaient véritablement s’appeler collègues ? Le chinois était un peu confus avec cela.
Son employeur était la maison culturelle du quartier, un piston qui lui avait été donné par un de ses enseignants, persuadé que le jeune home arriverait facilement à arrondir ses fins de mois entre ses répétitions personnelles et ses entrainements. Mais rare étaient les immigrés en capacité de refuser un emploi en vivant dans ce pays ou tout semblait toujours coûter quelque chose.
Tao Fen sourit imperceptiblement à la manière respectueuse dont la personne prononça son prénom. Son regard était toujours dénué d’empathie mais son visage faisait très bien le travail de sociabilisation. La soirée n’était pas encore trop avancée et la douceur de la température l’encourageait à être plus disponible mentalement pour cette rencontre.
Serrant ses doigts autour de la sangle du sac de son instrument, le Lin penchât la tête sur le côté en hochant de la tête.
« Très bien faisons ça. Si jamais je disparais vous aurez été la dernière personne vue en ma présence au travers des caméra de surveillance de cet endroit souvenez-vous en. » un léger sourire satisfait s’étira sur les lèvres de Tao Fen tendis qu’il pointait du doigt la caméra qui se trouvait derrière le caissier.
Il était chinois après tout, ce genre de menace permettait en règle générale d’être plutôt persuasif. Shim Hope lui semblait absolument inoffensif mais le violoniste n’était pas du genre à se laisser impressionner, ni même à faire une confiance absolue dès la première rencontre, il préférait donc prendre toutes les précotions possibles pour être certains de ne pas finir tête la première dans la rivière Han.
Puis, son regard devenant moqueur, amusé de la situation ainsi que des ses propres paroles il fit un signe du menton vers la porte de la boutique.
« Alors ? On y va ? » Rien n’était pressant dans son ton, il restait pour le moins assez impérieux et délicat dans chacun de ses gestes et de ses mots, comme il savait si bien le faire.