Histoire Quand une mère tombe enceinte de jumeaux, il est difficile de dire lequel était voulu, lequel était un accident. On peut peut-être assumer que le premier à naître est celui qui était voulu, même si la majorité du temps le couple pourrait considérer le deuxième comme un « heureux accident », un don du ciel. Le premier, c'est moi. Née un peu avant minuit le 22 septembre, mon frère juste après minuit le lendemain; il n'y avait pas de doute. Et on aurait dit que toute notre vie, ils se sont fait un plaisir à traiter la première comme l'enfant qu'ils ont toujours voulu, et le dernier comme un reste.

Dans la majorité des cas, cela fait naître ce phénomène du golden child, l'enfant roi qui s'enivre de cette attention que ses parents lui donne et rabaisse l'autre tout autant que ses parents le font, accidentellement ou non. Mais pas moi. Shin Gyu est mon égal, mon jumeau, la personne la plus importante pour moi.


J'aurais voulu que Shinie vienne avec moi, à l'audition. Soit qu'il tente lui aussi, soit qu'il soit juste là comme support moral s'il n'avait pas envie de tenter sa chance. Mais il n'a pas pu quitter la ville, alors j'y suis allée seule. « On a pas les moyens », qu'ils ont dit; alors ils ne sont pas venu non plus. Juste moi, du haut de mes 15 ans, devant ces adultes, ces exécutifs qui cherchaient une perle pour leur groupe. J'essayais, j'espérais; mais en vrai, j'avais surtout peur. Peur qu'ils me disent non, que je n'étais pas assez jolie, pas assez talentueuse. Peur d'être un échec et de revenir les mains vides chez moi. Ou pire, peur d'être prise et d'être seule, loin de mon frère, là où les autres filles qui seront choisies avec moi ne pensent qu'à elles.

C'est la dernière situation qui s'est produite. Heureusement, une des filles n'était pas comme ça. J'étais la plus jeune, la maknae, la seule née en 2000 dans ce groupe avec 3 autres filles plus jolies, plus talentueuses que moi. Notre compagnie n'était pas énorme; elle n'avait pas tout l'argent des grosses compagnies, tout le pouvoir marketing, les meilleures conditions. Alors à nos débuts en 2017, 4EVER n'a pas fait énormément de traction. Même qu'une seule membre n'avait réussi à faire son nom dans les médias: Etchan. Facilement, elle aurait pu être une de ces filles qui se moquent des autres, qui les rabaissent et qui profite de sa popularité pour sauter par dessus bord.

Etchan n'était pas comme ça. Elle brille comme un arc-en-ciel, elle sourit comme si sa vie en dépendait, son âme est imbuée d'empathie. C'est elle qui est là pour me tenir la main lorsque Mokpo me manque, lorsque Shin Gyu me manque. C'est elle qui est là pour me rassurer lorsque je fais une erreur alors que d'autres aurait très bien pu me châtier. C'est elle qui est là pour nous remonter le moral lorsque notre plus récent album ne se vendait qu'à peine.

Et surtout, c'est elle qui était là, lorsque 4EVER s'est dissout et qu'elle m'a demandé de venir avec elle à la SC Agency pour une deuxième chance.


Au départ, la SC Agency n'avait de plans que pour Etchan, comme elle était de loin la plus populaire. Pour une raison qui m'est inconnue, elle a réussi à les convaincre que j'y méritais ma place aussi. Pourquoi moi, en particulier? Pourquoi pas les deux autres? Dire que je me sentais comme un imposteur serait un euphémisme. Mais bien entendu je voulais la rendre fière, lui faire honneur. Décevoir Etchan et les personnes de la SC Agency, puis la SC Entertainement, qui m'avait fait confiance? Jamais.

Alors j'ai travaillé encore plus fort qu'avant. Cours de chants, cours de dance, cours de rap, cours de n'importe laquelle chose qu'une idole a besoin de savoir. Si bien que lorsque le nouveau groupe était prêt, TiGirls, c'est moi qu'on est venu voir pour le rôle de leader. En voyant la surprise dans mon visage, ils m'ont dit que je n'avais pas à accepter toute suite, de prendre le temps de bien y réfléchir mais que j'étais la candidate parfaite.

Mais Etchan, elle? J'ai pris ce temps qu'ils m'ont donné et je suis allé la voir directement, convaincue que je volais le rôle de quelqu'un qui le méritait plus que moi, celui de mon modèle. Rapidement et surtout, avec conviction, elle m'a poussé à accepter. Pas question que ça soit quelqu'un d'autre que moi, qu'elle dit. Mes doutes sont toujours présents, mais finalement, j'accepte le rôle.


16 mai 2023. Date officielle du début des TiGirls avec notre premier single, Not a Fantasy, qui fut un énorme succès commercial. Le genre de succès auquel jamais je n'aurais pu m'attendre, quelque chose de presque accablant, écrasant. Cet océan de fans, quelques visages familiers brandissant des banderoles à l'effigie de Etchan et une vague d'inconnus, de reporters et de simples curieux; une image de toutes beautés qui s'imprime dans mon cerveau et qui ne quittera jamais mes souvenirs. J'aurais tant aimé que Shinie soit là pour vivre ça, lui aussi.

Pour une fois, tout va bien. Toutes les sept nous sommes heureuses, nous rions, nous nous disputons, nous nous réconcilions, nous passons des heures dans la salle de dance pour pratiquer ou juste pour nous reposer. Notre horaire est plein à craquer, aucun moment n'est ennuyant. Tout va bien.

Ou, tout allait bien jusqu'à ce que je réalise ce que je ressentais pour Nari.


Enfouir ses sentiments, quelque chose que j'ai du apprendre rapidement. Non seulement comme leader, mais également pour cacher ce que je ressentais, de peur que ça se sache, de peur que ça ruine le groupe, de peur que ce qui est arrivé à Goddess nous arrive. Mélangé à tout ça se trouve un peu de honte; honte de moi, honte d'être faible et de peut-être un jour mener TiGirls vers une catastrophe. Je tiens le coup, je garde tout en moi et personne ne sait rien. Personne, pas même Etchan, pas même Shinie.

Mais comment tenir le coup quand Nari ne va pas bien? Les rumeurs l'attaquent et les journalistes s'en prennent à elle. Le premier réflexe de tous est de juste ignorer, essayer de faire en sorte que tout ça passe. Nari n'est pas du genre à s'ouvrir facilement, même quand on lui demande. Alors j'essaie de la serrer contre moi plus souvent, je m'assure qu'elle mange bien, j'interviens à sa place si je vois qu'elle est inconfortable. Je fais tout en mon pouvoir, même si j'ai l'impression qu'elle ne va pas mieux.

Le jour où elle fut admise à l'hôpital, je savais que quelque chose devait changer. Alors j'ai rassemblé les troupes, et nous sommes allé confronter l'agence. Ces mois de silence et d'inaction devaient arrêter, maintenant. Sinon, nous allions perdre Nari. Et ça, il n'en était pas question. Heureusement, même si quelques mois furent nécessaire pour trouver les responsables, justice fut faite. Mais est-ce que c'est suffisant?

Elle sourit, elle dit qu'elle va bien et elle reste forte. Mais au fond de moi, j'ai cette impression que ce n'est qu'une facade. Alors je continue de veiller sur elle, d'essayer d'étouffer ces émotionsn que je ressens pour son bien et le bien du groupe. Et j'essaie d'être une meilleure leader, quelqu'un qui ne laissera jamais ses membres souffrir à nouveau.