Phrase répétée encore et encore et Minji, docilement, se reprenait à chaque fois, avec un hoquet et un revers de la manche, ses larmes avaient presque disparu. Peu importe le bobo que ça soit une égratignure parce qu’elle était tombée de la balançoire, des bêtises de canaille ou Beomgyu qui lui racontait ses souvenirs de leur mère. On lui disait de ne pas pleurer, un câlin comme compensation, quelques tapes dans le dos. Alors elle s’y est faite, à force, à ces petits bobos du quotidien comme se faire sermonner par son père, se faire taquiner un peu trop violemment par son frère et l’absence de sa mère.

Elle n’a que les photos et les histoires de son frère et de papa. Elle a décidé de partir. Minji ne la connait pas. Papa dit qu’il ne sait pas pourquoi mais qu’elle les aimait tous les deux, Beomgyu et Minji, très fort. Sauf que Beomgyu, il a des histoires à raconter. Et même si Minji ne pleure plus en les écoutant, elle ne comprend pas pourquoi on l’avait laissée derrière. Elle ne sait pas ce qu’elle avait fait de mal. On lui a dit, plusieurs fois, que ce n’était pas sa faute, qu’elle n’y pouvait rien. Sauf que Beomgyu, il a des histoires à raconter avec maman et papa.
Minji, elle n’a que les photos et les histoires de son frère et papa.

Elle ne savait pas si Beomgyu l’avait fait exprès ou si c’était un réflexe après toutes ces années mais c’est ce qu’il avait dit à l’enterrement de papa. Les yeux bordés de larmes, elle s’était retenue. Parce qu’elle y croyait aux paroles de son frère, tout comme elle croyait à celles de son père. Elle se disait que ça irait parce qu’elle avait Beomgyu, parce qu’il était toujours là. Elle s’est accrochée à son frère pendant la veillée, pendant les quelques mois à l’orphelinat, pendant les réunions parents-professeurs, pendant Noël, Chuseok, Seollal et leurs anniversaires.

Seize ans, seulement. Seize ans, déjà. Pas majeure mais assez mature pour comprendre comment son environnement changeait maintenant que papa n’était plus là. Beomgyu, mineur aussi. Les deux Kim envoyés en orphelinat. Et encore une fois, cette phrase qu’elle connaissait trop bien, prononcée par son frère. Il lui avait promis que dès qu’il le pourrait, il les sortirait de là et ils retrouveraient une vie normale, à deux. Le décès de papa n’était pas une surprise, son cancer non plus mais rien ni personne ne peut préparer deux gamins à ce genre de perte. Minji, elle a perdu un parent, le seul qu’elle ait jamais connu alors elle s’est accrochée à son frère comme à la vie, parce qu’elle n’a plus que quelques photos et les histoires de Beomgyu.

Encore cette phrase. Encore des larmes retenues. Pas aussi tragique que les premières fois mais qui peut réellement consoler une adolescente après son premier chagrin d’amour ? Amis d’abord, elle n’avait pas vu ses sentiments grandir, elle n’avait pas saisit. Peut-être était-elle trop naive, peut-être était-elle dans le déni ou dans la peur, qui sait ? Elle ne savait pas et quand elle aurait du savoir, il était déjà trop tard. Lui aussi, volatilisé. Mais pas vraiment, elle le croisait toujours dans les couloirs de l’université, ce presque amour.

Il est arrivé dans sa vie lentement, sans même qu’elle s’en aperçoive, elle lui parlait tous les jours. Des rencontres à l’arcade, à un bal masqué, dans le dernier restaurant à ramen branché, ils se voyaient pour tout, pour n’importe quoi. Elle n’avait pas compris. Il en a eu assez et comme d’autres avant lui, il est parti. Minji, elle n’a que des jolis souvenirs, quelques photos et les histoires de Beomgyu.

C’est à son tour de le dire alors qu’elle nettoie les plaies de son frère. Des clients violents, qu’il lui avait dit, et voilà qu’elle se retrouvait encore une fois à panser ses blessures après une longue nuit où il conduisait des gens à travers la ville dans son taxi. Elle ne se plaint pas, Minji. Combien de fois Beomgyu avait-il dû panser les plaies ? Combien de fois lui avait-il essuyé ses larmes, tendu un mouchoir ou l’avait prise dans ses bras ? Pour une fois, c’était son tour de prendre soin de lui. « Ça ira », qu’elle souffle doucement. Parce qu’elle y croit, Minji. Elle ne peut faire que ça, y croire. De toute façon, Minji, elle n’a plus que de jolis souvenirs, quelques photos, les histoires de Beomgyu et de l’espoir.