Tu me parles du fond d'un rêve
Comme une âme parle aux vivants.
Comme l'écume de la grève,
Ta robe flotte dans les vents.

« Comme quoi?? »

C'est avec l'expression de confusion la plus sincère qu'on aura jamais vu sur mon visage que je mets mon poème audio sur pause. C'est que j'ai un poème de Victor Hugo (À celle qui est voilée) à étudier, et d'une manière ou d'une autre j'ai trouvé ledit poème sous format audio. Parfait pour pratiquer mon écoute, m'étais-je dit. Mais dès la troisième ligne, boom: un obstacle. Des mots inconnus. Les sourcils froncés, je tourne aggressivement les pages de mon dictionnaire français-coréen à la recherche d'une réponse. « Lékoom...? »

Eh boy. Si Maude était là, elle aurait probablement passé une bonne heure au moins à rire de ma prononciation de "l'écume", comme si ce n'était pas la première fois que j'en entendais parler à la base. Sitôt la traduction et définition trouvées, j'écrivais rapidement dans mon cahier de note pour ne pas l'oublier, la prochaine fois. Mais là vint un autre obstacle: grève. L'écume de la grève?? « huh », j'ai laissé échapper, mon ton immitant celui de la vidéo sur Tiktok. La définition de grève que je connais ne faisait pas de sens avec la définition d'écume que je venais de trouver. De retour dans mon dictionnaire, je cherche vigoureusement.

Ah! « Terrain plat formé de sables et de graviers, situé au bord de la me- oooooooh okay got it got it », et j'écris mes importantes trouvailles dans mon cahier de note. Tous les mots de la première strophe assimilés, je réécoute l'audio, voulant analyser son sens. Mais aussitôt le poème recommencé qu'un bruit extérieur m'empêche de me concentrer sur les mots prononcés dans mes oreilles. « Maude? », je lance en me retournant vers la porte et en tassant une des oreilles de mon casque d'écoute. S'il y a bien un mot en français (si on peut considérer ça comme un mot) que je peux prononcer, c'est bien le nom de ma coloc de chambre. Maude, c'est facile à massacrer comme nom, même s'il a l'air super simple. Le français a des drôles de syllables des fois, mais je m'étais donné la mission d'être capable de le prononcer impécablement en une semaine. Ça m'a pris deux jours, et peut-être deux autres jours pour apprendre à le prononcer à la québécoise.

Mais non, ce n'est pas elle qui vient d'arriver. Il y a quelqu'un dans le corridor, par contre. Ayant oublié de faire pause à nouveau, je dépose mon ordinateur portable sur mon lit ainsi que mon casque d'écoute, tandis que le poème continue à jouer à un volume un peu trop élevé pour la santé de mes tympans. Je suis l'algue des flots sans nombre..., blablabla, le reste se fait de plus en plus difficile à entendre le plus je m'approche de ma porte. Je l'ouvre, et dirige mon regard vers celle qui semble être ma voisine: toute petite et délicate, mais visiblement énervée.

« yo... ça va? » Question conne évidemment, mais il faut bien briser la glace d'une manière ou d'une autre.

Elle était partie vite ce matin-là, ne s'étant pas réveillée à l'heure de son alarme. Comment? Aucune idée. Est-ce que Mercure rétrogradait en ce moment? Hana n'avait même pas le temps d'y penser. Go go go pour son cours d'histoire de l'art! Elle était partie si vite qu'elle avait oublié quelques trucs... dont ses clés. Évidemment. Elle avait aussi oublié sa bouteille d'eau, mais ça, ce serait bien moins grave plus tard.

Elle aimait bien l'histoire de l'art, mais ce qu'elle aimait le plus, c'était d'être en action. Elle dessinait dans les marges de son cahier tout en écoutant, levant la tête pour regarder la nouvelle diapo sur le powerpoint de la professeure. La classe en était encore à la renaissance, et ce n'était pas l'époque favorite d'Hana. Elle trouvait les oeuvres plutôt ternes, quoi que bien réalisées, comme des photographies. Hana avait hâte d'en apprendre plus sur le renversement des normes, ça, ça allait devenir intéressant! Elle se souvenait du premier cours où ils ont vu la ligne du temps.

Trois heures plus tard, Hana était sur son chemin du retour aux résidences universitaires. C'était sa journée tranquille aujourd'hui, un seul cours. Mais c'était aussi la journée parfaite pour avancer sur ses projets. La jeune Lee retournait donc chez elle avec l'idée de continuer ses dessins dans son carnet. Sans trop penser, elle se dirigeait jusqu'à devant sa porte, et plongea sa main dans la plus grosse des poches de son sac à dos. Rien.

Huh?

Ses sourcils se froncèrent, elle était complètement confuse. Cette poche ne devait pas être vide. Il devait y avoir ses clés. Rapidement, elle tapota toutes ses poches de vêtements, les poches de sa veste, de son jeans, même sa tête (pourquoi?).

Mes clés!!?! Oh nooooon, c'est pas vrai--

Elle les avait forcément oublié chez elle, soit derrière la porte. Elle se mit à chigner, en pleine panique devant sa porte de chambre bien fermée. Elle avait un moment espéré avoir oublié de vérouiller sa porte. Mais cette maudite porte pouvait se vérouiller de l'intérieur, et c'était comme ça qu'Hana faisait. Franchement pas la meilleure idée dans ce cas...

Uuuugh Hana! se dit-elle à elle-même en se tapant le frond.

À ce moment-là, la voisine sortie de sa chambre. C'était Yujin, c'était pas l'autre un peu bizarre qui parlait un peu bizarre. Juste ça, ça rassurait Hana, mais restait qu'elle était bien gênée devant sa voisine présentement, qui lui demandait si ça allait.

Non, j'ai oublié mes clés! Je sais pas quoi faire!!

Elle était bien trop dans la panique pour réaliser que ce n'est pas si grave, qu'elle pouvait sûrement juste retourner à l'université au secrétariat pour demander de l'aide. Ils doivent bien avoir une clé passe-partout au département associé aux résidences.

Voir la petite Hana en panique comme ça, c'est un peu déconcertant; elle qui est d'habitude débordante d'énergie, qui pétille de sa bonne humeur. Et il ne fut qu'une simple question pour déceler immédiatement la source du problème. La pauvre était enfermée en dehors de sa chambre, ses clés probablement en sécurité sur son bureau, à l'endroit où elles ne devraient pas être. L'envie de lui suggérer d'aller voir à l'accueil des résidences ou d'attendre dans ma chambre que son colocataire arrive me brûlait les lèvres, mais il y avait quelques failles dans ces plans. D'abord, Hana ne semblait pas avoir un colocataire; jamais je ne l'ai aperçue avec quelqu'un d'autre que nos amis, mutuels ou non, et jamais n'ai-je vu quelqu'un d'autre y entrer de lui ou elle-même à l'aide de ses propres clés.

Qu'en est-il de l'autre option, l'accueil des résidences? Le problème avec cette solution, c'est qu'elle d'un ennui presque éblouissant. Pas de défi, pas de casse-têtes craniaux à la recherche d'une solution qui n'implique personne d'autre. BO-RING.

Et là, c'est comme si les quelques cellules de mon cerveau se sont réveillées, un éclair de génie qui brille au sein de mon regard, les étincelles aux pupilles. « Attends-moi deux secondes, je reviens! » Pas comme si la pauvre Hana pouvait aller bien loin de toute façon. Et je retourne au creux de ma propre chambre, je fouille mon bureau à la recherche de cet objet qui est à la source de cette solution miracle que ma tête a concoctée. « Where the fuck... » Pas dans mes tiroirs, pas sur mon bureau. Mais je les aperçois finalement, dans ce bac de vaisselle propre non rangée. Et, précieux objet à la main, j'émerge à nouveau dans le corridor.

« Tada! » Paire de baguettes en métal dans les mains, je m'approche de la porte de Hana. Là, c'est du sérieux. Et l'expression dans mon visage le signale, malgré l'intonation dans ma voix. Et je me mets à genoux devant la porte, une baguette au sol en backup, l'autre toujours au creux de ma main, et je me mets au travail. « T'inquiète, j'suis une pro, tu vas voir. » Baguette profondément enfoncée dans le trou de la serrure, la langue sortie, les yeux qui brûlent de concentration, les oreilles attentives; je gigote le bout de métal à la recherche du point faible, incapable de baisser les bras, la compétition dans le sang.

Et soudain, un déclic. Sourire triomphant aux lèvres, j'attrape la deuxième baguette pour ne pas l'oublier au sol et j'ouvre la porte avant de me relever, et de faire signe à Hana d'entrer. « Les dames d'abord~ » Une touche d'humour pour rester un moindrement humble.

Oh là là! Il n'y avait bien qu'elle pour vivre ça. C'était toujours elle. La panique s'était emparée d'elle. Heureusement, ça n'a pas duré trop longtemps, mais la honte s'était ajoutée. Sa voisine était sortie, confuse, et lui demanda si ça allait. Hana lui avait donc rapidement expliquer le problème, qu'elle s'était embarrée à l'extérieur de sa chambre. D'une traite, presque sans respirer.

Les expressions ne cessèrent de changer sur son visage. La panique d'abord, le découragement ensuite, et la confusion quand Yujin lui demanda d'attendre. Quoi? Qu'est-ce qu'elle allait faire? Les sourcils de Hana étaient encore plus froncés en regardant ce que sa voisine avait dans les mains, toute fière. Tada-fière. C'était quand même juste des baguettes en métal. Hana n'y comprenait rien. Déboussolée, elle laissa la place à Yujin.

Hana clignait des yeux. Mais qu'est-ce qu'elle faisait là, Yujin?

Huh?

Yujin essayait donc de craquer, ou peu importe comment ça s'appelait, la serrure de la porte de la chambre d'Hana. Avec une baguette dans le trou. Hana se demandait ce qu'elle vivait là. C'était juste des choses qui pouvaient lui arriver à elle.

En plus Yujin était une pro, qu'elle disait. C'était digne d'un film d'action, ou de James Bond, un truc du genre. En vrai Hana ne regardait pas ce genre de film, mais elle n'était pas si cruche que ça grâce à ses amis.

Et comme ça, Yujin était une sauveuse. Un déclic plus tard, puis elle ouvrit la porte fièrement. Hana n'avait pas bouger d'un poil.

Mais–

Comment ça se faisait que Yujin savait faire ça? C'était pas un peu dangereux? Ou inquiétant? Quel drôle de passe-temps?

Euh– Merci! Je... que... comment, pourquoi?

Déjà elle ne s'était pas attendu à un "Les dames d'abord", mais Hana avait tant de questions.

Le satisfaisant déclic de la serrure se fait entendre, et la porte s'ouvre tout aussi facilement, laissant le champ libre à la pauvre Hana qui ne méritait pas d'être enfermée dehors de la sorte. Mais Hana ne bouge pas d'un poil, vraisemblablement bouche bée. La fierté qui se dessine sur mon visage fait rapidement place à de l'amusement, puis à un rire, encouragé par l'expression faciale de Hana. « Pourquoi? Ah, écoute, quand t'as deux frères plus vieux que toi, tu dois apprendre des skills de vie. » Et une de mes mains agrippe son sac, échoué au sol; et ma tête se retourne vers ma voisine, toujours aussi abasourdie. « Allez, fait pas cette tête! »

J'entre en premier comme pour l'encourager à sortir de sa torpeur, et je dépose son sac sur sa chaise, sans trop connaître les habitudes de vie de ma voisine. Au moins, il n'est pas au sol. « Woah, t'es toute seule dans ta chambre? Niiiice! » Partager une chambre avec Maude n'est pas toujours de tout repos, même si je n'échangerais mon amie pour rien au monde. Mais parfois, je me dis que la vie serait peut-être un peu plus tranquille si j'avais cet endroit pour moi. Mais la vie planifie ce qu'elle veut, après tout.

Et mes yeux décident de parcourir l'endroit, inspectant chaque recoin, la curiosité qui meure d'envie de découvrir les traits de quelqu'un par la façon dont cette personne agence sa chambre. La pièce qui rayonne d'une multitude de couleurs, les murs tapissés d'illustrations en tous genres. Loin de la mienne, à moitié tapissée de souvenirs de Mokpo et à moitié recouverte d'objets à thématique québécoise ou de hockey. « C'est joli, though, chez toi. Je prends des notes! »

La soudaine impression de peut-être être en train d'envahir son espace s'empare de moi, et mes mains s'enfouissent dans mes poches, les yeux qui arrêtent de s'aventurer. « Est-ce que t'es ok? Je faisais rien de trop important, si t'as besoin de moi encore je suis tout à toi. » Rien d'important, dis-je, alors que ce poème est sans doute toujours en train de jouer à volume un peu trop élevé au travers de mes écouteurs, abandonnés sur mon lit.