contretempsoutfit ||   @Asano Haruhi
L’allure et vive et lorsqu’il se retrouve devant la jeune femme, il essaie de reprendre convenablement son souffle, relevant ses prunelles brunes vers celle qu’il a fait attendre un peu – bien qu’il n’espère que cela n’a pas été très long. « Pardon, une urgence à la caserne. Je suis vraiment désolé. Tu n’as pas trop attendu, j’espère ? », demande-t-il, toujours en tenue de pompier. Il n’a pas pu tenir son engagement concernant un projet commun, ne s’étant aucunement attendu à un appel soudain par manque d’effectif. Fort heureusement, son interlocutrice ne parait pas lésée, mais sa culpabilité n’en demeure pas moins fracassante dans son corps et son encéphale, cognant si fortement qu’il pourrait en avoir la nausée.

« Je t’offre ce que tu veux vraiment. C’est pour moi donc tu as totalement le choix. ». Et il plisse les paupières, comme s’il essayait de se montrer menaçant sous son air de golden. Il finit par secouer la tête et venir à ses côtés, cherchant ainsi un endroit qu’elle aime tout particulièrement ou qu’elle aimerait essayer. Il ne tiendra pas compte du montant, tant que cela puisse faire plaisir à son accompagnatrice. « J’espère que tu n’avais pas pris grand-chose avec toi pour bosser le projet. ». Le cas échéant, il tend les bras pour qu’elle lui file le plus encombrant et qu’elle puisse pavaner dans les rues en toute tranquillité.

Ils finissent par trouver un endroit sympathique, lui ouvrant la portière pour la laisser entrer. « Sinon, est-ce que tout va bien pour toi ? ». La voix se fait douce, la véracité dans ses propos tendres et le sourire du même acabit. Heureusement, il reste encore des places et ils peuvent ainsi s’installer tranquillement. Baissant les yeux sur sa tenue, il effectue une légère moue, tirant sur son pull clair. « Je n’ai pas eu le temps de me changer, j’espère que ça ne te dérange pas ? Il n’y a pas d’odeurs, promis ! ». Pas de feu, fort heureusement. Ni quoi que ce soit d’autres.

Arrivée un peu plus tôt que l'heure prévue, j'avais pris place sur un banc, non loin de l'entrée de l'immeuble où Eros et moi nous rejoignons pour travailler lorsque les opportunités s'y présentaient. Grand café à mes côtés et ordinateur portable sur les genoux, nul besoin pour moi de chercher bien loin pour trouver comment combler l'attente. Plusieurs projets demandaient mon attention; certains ne nécessitaient que d'un peu de paperasse, et d'autres un peu plus de travail, plus de détails. Normalement, mon avance n'était que de quelques minutes; et Eros n'est pas du genre retardataire. Alors paperasse se sera, remplissant un formulaire un peu ennuyant mais bien important; document que j'ai mis sur pied moi-même, ayant jugé nécessaire de travailler dans l'ordre dès le début de ma carrière.

Ledit document fin terminé, j'utilise mon téléphone portable comme point d'accès à internet, profitant de ces instants libres pour envoyer par mail la soumission demandée par un nouveau client. Dès le bouton d'envoi cliqué, mon regard se dirige vers le bas de l'écran, notant l'heure. Les sourcils froncés, inquiète, j'envoie immédiatement un message à mon ami.

Tout va bien? Je m'inquiète, j'espère qu'il n'y a rien de grave. Je t'attends aussi longtemps qu'il le faut.

Loin de moi l'idée de le presser ou de le culpabiliser, au contraire. C'est de l'inquiétude qui se manifeste, sachant pertinemment que mon ami ne serait pas en retard sans raison. Je m'assure de garder un oeil sur mon téléphone en cas de réponse et, profitant de cette situation, décide de prendre de l'avance sur d'autres projets. Parmis tant d'autre, un contrat en particulier a retenu mon attention: l'équipe de hockey féminine de la SC University voulait des photos, des cartes et d'autres éléments graphiques à utiliser pour leurs réseaux sociaux. Quelque chose de différent, quelque chose d'excitant.

Je suis propulsée hors de cette concentration qui s'était emparrée de moi, attirée par les excuses hors de souffle de mon cher ami, accoutré tel un pompier de la tête aux pieds. Toute l'inquiétude que j'ai pu avoir se transforme immédiatement en soulagement, puis en rires. J'avais bel et bien raison; Eros n'était jamais en retard sans raison. Et sauver des vies, c'est toujours une bonne raison. Le pauvre bafouille des excuses sans pouvoir respirer entre chacune d'entres elles. Doucement, je referme mon ordinateur portable et je me lève, prenant sa main, me voulant rassurante. « C'est rien, ne t'inquiète pas. J'ai pu avancer sur autre chose, ce n'est pas du temps perdu. »

Alors qu'il tient mordicus à se racheter, je range mon ordinateur dans son sac, prête à déposer sa sangle sur mon épaule. « Non, je n'ai que l'essentiel avec moi », répondis-je en tapant délicatement des doigts le sac. « Tout le reste se trouve dans la voiture, un peu plus loin. » Mais il semblait vouloir à tout prix s'encombrer de mon ordinateur et je sais pertinemment qu'il m'est impossible de gagner à ce genre de bataille avec lui. Alors je le laisse faire, amusée.

Je prends place à une des tables de l'endroit trouvé par Eros, lui qui m'eut ouvert la porte quelques secondes auparavant. « Oui, tout va bien de mon côté. Hime-chan a trouvé du travail, j'espère que ça lui fera du bien. Et toi? » Le moral de ma pauvre soeur se voulait bien bas depuis que les docteurs n'aient pas pu l'aider avec sa blessure, sa carrière de danseuse étant essentiellement ruinée. Alors apprendre qu'elle a réussi à se trouver un boulot ne pouvait être qu'une bonne nouvelle; un pas positif vers un futur un peu plus heureux. « Tu sais, on aurait pu passer à la voiture avant, pour déposer mon sac et ton uniforme. » Je rigole doucement, amusée par l'adorable panique qui s'était retrouvée dans les yeux de Eros dès son arrivée mais qui se dissipait peu à peu.

« Je ne connais pas du tout l'endroit », avouais-je, la mine faussement honteuse. J'attrape un menu, scrutant du regard les divers plats; certains m'étant toujours inconnus malgré les années depuis mon officiel déménagement à Séoul. « Es-tu déjà venu? As-tu quelque chose à me suggérer? »

contretempsoutfit ||   @Asano Haruhi « Oh ? Je suis content qu’elle ait trouvé quelque chose ! Tout se passe bien de son côté ? Je suppose que tu es un peu inquiète ? », demande-t-il avec une douceur dans la voix. Il comprend parfaitement l’angoisse d’une situation non maitrisée, lui-même sur une pente glissante avec un petit frère qui lui échappe. Sous ses émotions noircies par ses envies de tout peindre en noir lorsqu’il recherche un peu de couleur au tableau que représente sa vie. Sans se rendre compte qu’il parsème lui-même ses couches ténébreuses et boueuses, épaisses et collantes jusqu’au désagréable. Lui ne sait véritablement pas où trouver son chemin, fracturé par ses démons, boursoufflé par sa hantise que tout se détruise, n’ayant connu que ce schéma-là. Ainsi, la question le rend penaud, se doutant en son for intérieur qu’il ne peut décemment pas révéler les dessous de son sourire et la complexité de tout ce qui se trame en même temps dans son encéphale. Tout se mélange, s’enlise dans les pensées négatives, la tentative vaine de vouloir quelque chose de différent. Même un petit bonheur.

Mais apparemment, il n’est pas autorisé à le ressentir. « J’aide mon petit frère dans ses études d’arts et tout se passe assez bien de mon côté, je dirais ? Un quotidien simple. », rit-il en passant sa paume derrière sa nuque, sans avoir quelque chose de plus exaltant à exprimer. Cette banalité est affligeante, pensant qu’il n’est pas assez intéressant pour exprimer quoi que ce soit et encore moins devant un rayon de soleil aussi vivace que son interlocutrice. La crainte d’abimer cette parcelle de couleur, si touchante et apaisante, de la pulpe encrassée par ses propres tourments. Il hoche la tête, la légère culpabilité rongeant son âme. « Sûrement, mais je ne souhaitais pas te faire attendre plus longtemps, sachant que j’ai dû décaler. ». Cela n’était pas sa faute après tout, toutefois, l’appréhension le dévore constamment et il souhaite se faire pardonner au plus vite.

Qu’elle ne parte pas pour quelque chose qu’il a mal fait. Et il s’efforce toujours de bien faire, ayant appris qu’un seul faux pas peut se révéler dévastateur. Autant physiquement que moralement. Et jamais, ô grand jamais, il ne désire octroyer cela à quelqu’un. « Je suis venu ici une ou deux fois, il me semble. Je sais qu’ils font des gaufres excellentes, avec des goûts variés. Ils changent la carte assez régulièrement en fonction des saisons, si je me souviens bien ? ». Il essaie de se remémorer suffisamment pour avoir quelque chose de solide à proposer, montrant les goûts, du chocolat à la mangue, des smoothies exotiques ou encore des chocolats géants. Tout en allant sur les plus classiques et des sucreries douces, comme des plats légers au plus consistant. Il fait le tour de la carte complète.

Sitôt nos places trouvées que les discussions commencent de plus belles; les banalités étant facile à discuter avec Eros. Sa présence est comfortable, rassurante, et ce malgré cette inquiétude, cette volonté de toujours vouloir bien faire et ne pas faire mal à personne qui l'habite. Teinté de bonnes volontés, certes; mais parfois j'espère secrètement que mon ami réalise qu'il est une bonne personne, qu'il n'a pas à se soucier du bien être de tous, qu'il n'a pas à être un héros. Et, surtout, qu'il n'importune jamais les autres. Du moins, jamais il ne m'a importuné. « Inquiète, oui un peu, je suppose. Surtout fière d'elle, bien entendu. Mais quelle soeur serais-je si je n'étais ni fière, ni inquiète? » Je sais que mon ami me comprend; après tout, il a lui même un petit frère, probablement aussi important pour lui que Himeno peut l'être pour moi. Une perle à protéger, fragile, délicate; mais qui doit voler de ses propres ailes un jour ou l'autre. Mais ce jour me terrifie.

Mes doutes s'estompent et laissent place à un peu plus de bonheur, étant ravie d'entendre que Attis semble s'épanouir dans les arts et que Eros lui-même n'aie rien d'inquiétant à signaler. « Il te suit dans les arts, d'une certaine manière? Il est sans doute aussi talentueux que toi. » Un compliment qui est venu tout seul, sincère, sans motivation ultérieure. Juste de l'appréciation pure et dure pour le travail de mon ami qui est toujours si difficile envers lui-même. La preuve, son expression trahis son sentiment de culpabilité, lui qui semble toujours se sentir mal d'avoir été en retard même si les circonstances sont totalement comprenables. Alors ma main se dépose sur la sienne, délicatement. « J'attendrai aussi longtemps qu'il le faut si cela veut dire que tu es confortable ou que tu es en train de faire du bien dans le monde. »

Trève de banalités, je détourne mon attention vers le menu, celui-ci m'étant complètement inconnu. Heureusement, Eros n'était pas étranger à l'endroit, alors je dépose le menu et je lui accorde toute mon attention. Mes yeux s'élargissent malgré moi à la mention de gaufres; pas nécessairement mon plat favori, mais quelque chose que j'apprécie suffisament mais dont je ne me nourris pas assez. Je m'assure qu'il aie terminé de parler avant de reprendre le menu à la recherche desdites gaufres, que j'aperçois facilement. « Oooh, la gaufre fraise et chocolat... » Sourire aux lèvres, je regarde Eros à nouveau, curieuse. « Est-ce que tu sais déjà ce que tu vas prendre? Moi je crois que si... », dis-je, le doigt pointant toujours cette trouvaille d'il y a quelques secondes. « Et peut-être un smoothie? Quelque chose à l'orange? » Mon estomac se fait légèrement impatient à la vue des options qui s'offrent à moi; je choisi de l'ignorer temporairement, préférant attendre que mon ami soit prêt.

contretempsoutfit ||   @Asano Haruhi Il rit en passant sa paume derrière sa nuque. « Je suppose que cela est un peu la fatalité de tous les ainés ? Mais on aime ça, surtout quand ils sont heureux ? ». Cette inquiétude rongeant la peau, provoquant des doutes et des questionnements. Est-ce suffisant ? Est-ce trop étouffant ? Devenir aussi joyeux pour la réussite, la fierté lorsque l’autre arrive à aller dans ses projets, des amis, des convictions. Son sourire se fait aussi doux que son rire, quand bien même au fond de lui tout est fissuré. Il ne sait jamais si Attis est satisfait. Ce mutisme permanent causant une angoisse, savoir s’il n’oppresse pas tant par sa présence à ses côtés. Il n’arrive à déchiffrer les quelques rares émotions, se demandant constamment si tout est bien, même passable. Il prend toute réaction, toute émotion. Tout ce qui lui permet de lui indiquer qu’il peut rester à ses côtés.

En hochant simplement la tignasse. L’art. Moyen existant pour lui d’exprimer son art, sa passion, tout ce qu’il conserve en lui. Sa noirceur, ses craintes et ses propres condamnations. Le compliment tinte légèrement ses joues, peu habitué à en recevoir et encore moins à les accepter. Il acquiesce seulement en un remerciement de la tête, le sourire timide. Réchauffé légèrement la culpabilité trahissant ses traits. De nouveau, il hoche la tête. « Ce n’est pas… enfin. Merci. Je ne fais pas grand-chose, tu sais. Juste ce que j’ai à faire, je suppose ? ». Son besoin de sauver n’importe qui, sachant que cela ne pourra pas sauvegarder la sienne, trouvant des alternatives à ce battant qui devrait s’échouer dans les flammes.

Il chasse ses pensées et dérive vers le bureau, souriant à la gourmandise. « Hum, mon petit doigt me dit que la gaufre t’a tapé dans l’œil ? Le smoothie est une bonne idée. Je vais te suivre sur la gaufre au chocolat pour moi et un café pour la boisson. ». Et un serveur arrive très peu de temps après, mystérieusement, prenant les commandes et repartant avec politesse. Il essaie de tenir le coup, bien que ses nuits se passent sous les crayons et les dessins vivaces. « Je me demandais, est-ce que tu as parfois de la nostalgie ? Ou ta vie te convient bien ? ». Changer de pays, réaliser sa profession sans se soucier du lendemain. Les artistes possèdent une fragilité dans leurs réalisations, surtout en freelance. Se sentir chez soi, de sentir bien.

« Oui, je suppose. Tant qu'ils sont heureux, les sacrifices et les inquiétudes en valent la peine. » C'est un rare rire nerveux qui s'échappe d'entre mes lippes, presque inhabituel. Hime, heureuse? Non, bien évidemment. Malgré mes efforts, malgré mes prières à un dieu dont je ne crois pas, malgré tout l'espoir que j'ai qu'elle trouve finalement chaussure à son pied; Hime n'est pas heureuse. Ça se voit dans sa démarche, ses expressions faciales, son discours. Le mieux que je puisse faire, c'est espérer que cet emploi l'aide au moins à se distraire, à sourire comme elle le faisait auparavant, que l'étincelle qui brillait autrefois en son sein renaisse. Qu'on rit, qu'on s'amuse, qu'on soit capable d'oublier les tracas et les demandes trop strictes des parents. Comme avant.

Je remarque, malgré moi, ce timide sourire qui tente de se cacher alors qu'il hoche la tête, malgré son expression qui le trahit toujours. Trop de gens ont du mal à voir et comprendre leur juste valeur, trop peu d'entre eux ne s'apprécient suffisamment. Malgré tout le bien qu'ils font dans le monde, malgré les innombrables sourires nés d'une simple blague ou attention portée par eux-même, malgré parfois seulement leur présence rassurante auprès de ceux qu'ils considèrent importants. Il est bien trop important pour que ses pensées le force à penser qu'il ne fait pas grand chose, ou à avoir du mal à accepter les compliments. Il les mérite tous, un après l'autre, jour après jour, pour l'éternité. Ma main reste déposée sur la sienne aussi longtemps qu'il me le permet, accompagnée du plus sincère sourire sur mes lèvres, d'un regard qui se veut chaleureux; comme si mes gestes silencieux essaient de réchauffer son âme.

Le temps de commander est toutefois venu; ainsi mon attention se porte davantage sur le menu que mon ami, par nécessité. C'est lui qui s'occupe de commander et je me contente de remercier le serveur qui quitte, carnet rempli. Cette obligation maintenant prise en charge, mes pupilles se dirigent à nouveau en direction du visage de mon cher ami, semblant éprit de nostalgie. Je croise les bras, regard vers le haut, songeuse. Nostalgique? Oui, sans doute. Toujours envahie de ce désir que cette relation entre soeurs redevienne celle du passé, celle où l'une dansait sans pouvoir se débarasser de son sourire, et où l'autre vaquait à ses obligations mais, la nuit venue, prenait toujours la peine d'enlacer la plus jeune jusqu'à ce que le sommeil vienne. Mais qu'en est-il du reste?

« Peut-être un peu? Mais si j'ai nostalgie à avoir, ce serait sans doute envers cette année ou deux suivant mon départ du Japon où j'ai voyagé pour la première fois. C'est le genre de sentiment qu'on ne peut avoir qu'une fois. » Sans compter qu'il s'est écoulé désormais plusieurs mois, peut-être même années, depuis que mes pieds aient pu toucher un sol étranger. Autre que cet impromptu voyage vers le Japon, lorsque Himeno fut hospitalisée. « On devrait voyager, un jour, toi et moi. Ça nous ferait sans doute un peu de bien, des vacances. »

Mes idées sont interrompues par le serveur qui arrive déjà, assiettes à la main. Fourchette à la main, je m'incline, prononçant ces mots en japonais par force d'habitude. « Itadakimasu~! » Et, sourire espiègle aux lèvres, c'est une des fraises de la gauffre d'Eros qui se retrouve au bout de ma fourchette, puis au fond de ma gorge. Un sourire qui se transforme rapidement en un délicat rire, masqué qu'à peine lorsque la paille de mon smoothie se loge entre mes lèvres.

contretempsoutfit ||   @Asano Haruhi Il hoche la tête, comprenant parfaitement le sentiment décrit. « Je suppose que l’on ressent tous différentes émotions lorsqu’on quitte notre pays pour un autre ? Le stress, pour diverses raisons, la curiosité de découvrir le pays et les mœurs… et tant de choses ? Qu’est-ce qui t’a marqué le plus ? ». En foulant le sol coréen, sous les habitudes et les contradictions, la langue et les plaisirs. Un arc-en-ciel de changement, bon à prendre ou offrant un mal au cœur ponctuel. Au fond de lui, le dessinateur sait que cela est bien plus enchevêtré entre le soulagement et la crainte, qu’il ne peut définitivement pas partager. Confrontant l’atteinte de son bonheur envers les autres, se condamnant dans ceux des autres à défaut de constater sa propre déchéance. Il ouvre les lèvres et cligne des cils, surpris par la proposition soudaine. Les pensées ont du mal à se composer, reprenant contenance qu’en riant faiblement, la paume passée derrière la nuque.

Ils se font interrompre par le serveur, remerciant celui-ci et riant de plus envers la japonaise. « Bon goûter, noona. » Petite affection pour cette belle dame, lui offrant toujours des surprises artistiques et verbales. Il penche son assiette vers elle, pour la laisser goûter au chocolat si elle le désire. « Pour l’idée du voyage, tu as des pays que tu aimerais visiter ? Tu as déjà voyagé en dehors du Japon et de la Corée du Sud ? Si ce n’est pas indiscret. ». Il ne connait pas tant la raison ayant poussé la jeune femme à passer le cap et ne souhaite faire ressasser de mauvais souvenirs, sachant que cela est déjà complexe avec sa jeune sœur. Il n’a jamais parlé de son passé à qui que ce soit, même pas à son adorable petit frère et cela lui brise le cœur. Culpabilisant affreusement de ne pas être capable de délivrer les peines de son cœur. Ni même ses plus grandes frayeurs.

Il dissimule ses émotions en buvant une longue gorgée de son café. « Est-ce que tu te dis que tu as fait les bons choix ? Je suppose que rien n’est parfait, mais que cela n’est pas forcément à la hauteur de ce que tu espérais ? ». Il se rend compte que ses questions peuvent être interprétées autrement, se rattrapant aussitôt. « Je veux dire, il doit y avoir des contradictions entre le Japon et la Corée, mais c’est peut-être plus rassurant que partir… je ne sais pas en France ou en Laponie ? ». Là où tout est radicalement différent. Il se mord légèrement les lèvres, levant les yeux vers son interlocutrice. Tout est si paisible, Eros ne veut pas tout briser.

« Ce qui m'a marqué le plus? » Une question qui est apparue, comme ça, tout bonnement. Une question qui fait énormément de sens, mais qui me surprend néanmoins, la réponse n'arrivant pas au bout de mes lèvres aussi facilement qu'elle aurait pu le faire. Alors je fronce les sourcils, je réfléchis, j'essaie de me remémorer les événements, nager dans les souvenirs des dernières années. « C'est difficile à dire, j'avoue. Je crois que c'est davantage cette liberté d'explorer et la découverte de quelque chose de nouveau, plutôt que les destinations en soit. » Finalement avoir le monde au bout de mes doigts, sans artifices, sans menottes, sans être contrainte à des obligations forcées par la famille. Cette liberté un peu enivrante, cette habileté de faire tout ce dont mon âme pouvait avoir envie.

La nourriture se fait déposer sur les tables et, espièglement, je m'empare d'un fruit dans le plat de mon ami, même si les mêmes se retrouvent dans le mien. Je ris en premier et il rit à la suite, et nos rires sont presques contagieux. Je réussi à calmer mes ardeurs, et je laisse échapper un soupir, avant de reprendre la parole, à la suite de ses questions. « J'ai surtout fait le tour de l'Europe, je t'avoue. Un genre de tourisme pour les arts plutôt que la géographie, je l'avoue. Les musées, les lieux historiques, l'architecture, tout ça. » Je noie cette nouvelle bouchée de gaufre d'un peu plus de smoothie, les yeux rivés vers les cieux, songeuse. Quelle serait la prochaine destination? Quelque chose de différent, quelque chose d'unique. « Je ne suis jamais allée en Australie. Évidemment je ne connais pas trop les raisons derrière ton départ donc peut-être n'est-ce pas la meilleure destination pour notre voyage. Mais j'aimerais beaucoup la visiter, elle et ses plages, sa faune, sa culture. »

Sans trop savoir si le sujet était délicat, je prends une précaution, je dépose ma main sur la sienne à nouveau. Il n'a pas à tout me raconter, il n'a pas à déballer son bagage. Pas ici, pas ailleurs, pas nulle part. Tant qu'il sait qu'il n'est pas seul, tant qu'il n'oublie pas qu'il est important. « Mais j'ai suffisamment parlé de moi, non? Toi, tu as déjà voyagé? » Eros n'est pas celui qui parle le plus de lui-même. Malgré notre heureuse amitié, plusieurs détails m'échappent, la curiosité m'emporte, mais la volonté de le rendre confortable d'abord et avant tout perdure.

Les estomacs se remplissent et, après un certain temps, il élève la voix de nouveau; un sujet un peu plus délicat, un sujet qui, néanmoins, ne me gêne pas. « Hm... tu as raison, rien n'est parfait, mais je crois que je suis satisfaite de mes choix. Tant mon départ que le pays sur lequel j'ai arrêté ma décision. En partant où le coeur désire, d'une certaine façon, on renait un peu, non? » Mon regard se dépose au milieu de la table, petit sourire nostalgique aux lèvres, pensées turbulentes. « On peut choisir la vocation qu'on veut, vivre sa vie comme on le souhaite, rendre des comptes qu'à ceux qui le méritent, rencontrer les personnes qui valent la peine. » Et mon regard se dépose finalement au creux de celui de Eros, espérant qu'il sache qu'il est inclus dans cette liste.

Parce que, si j'étais tombée en amour avec n'importe lequel autre pays, jamais je n'aurais rencontré Eros, sans doute l'une des personnes les plus importantes à ma vie.

contretempsoutfit ||   @Asano Haruhi Il comprend totalement l’envie de voyager, l’envie d’au-delà des frontières et de ces arts qui se confrontent, qui ensorcelle les rétines et encombre l’encéphale à l’ouverture d’esprit. Se contraindre à pousser les parois de la sémantique pour entrevoir une autre périphérie, entre l’abstrait et le réalisme, et tous ces sous-genres. L’évocation de son pays natal lui fait crisper les muscles, écoutant plus distraitement pour ne pas se perdre dans les souvenirs douloureux. La main qu’elle dépose sur la sienne n’est pas méritée, la pulpe de ses phalanges serrant davantage le bois à s’en blanchir les jointures, essayant de ne pas retrouver les diamants aux coins des yeux et les sanglots qui suivront. Il laisse place à un sourire, la nostalgie sur ses traits. Sans réaliser qu’elle n’est qu’à moitié joyeuse. « Vraiment ? Jamais ? On peut y aller si tu le veux, surtout si tu ne connais pas le pays. Je pourrai te servir de guide. ».

Il déglutit, reprenant en se mordant la lèvre inférieure. « Est-ce qu’il y a quelque chose que tu voudrais voir particulièrement là-bas ? Tout est extrêmement bien, je peux t’en faire une longue liste. ». Il rit en essayant de se convaincre lui-même. Pourtant, il dit vrai dans ses propos. L’Australie représente une terre natale, un pilier dans lequel il a grandi, cherchant à s’épanouir de diverses manières. Un élément déclenche son angoisse, grimpant dans ses veines et causant ses troubles. Il ne mérite pas d’être ici et encore moins devant quelqu’un qui lui donne autant d’attention. Il pourrait s’en étouffer, en vomir, lorsqu’on est censé le rejeter, l’aimer. S’il fait suffisamment d’effort, peut-être bien ? Il secoue la tête. « À part l’Australie et la Corée, non, pas réellement. Je suis curieux de découvrir le monde, pas toi ? ». Avec l’envie de moins souffrir. Ou de trouver enfin une terre de repos. S’écrouler dans la douleur, jusqu’à ne plus pouvoir la sentir. Est-ce une fin en soi, probablement bien.

Il ne touche pratiquement pas à sa gaufre et ne boit qu’à peine sa boisson, pourtant alléchantes. L’estomac est retourné, le besoin de tout faire ressortir dans une bile indélicate. Et tout gâché, misérablement. D’où sa question sur la perfection. Lui qui n’est rien, qu’un tracé raté, un gribouillis qu’on jette, un chiot qu’on abandonne à juste titre, épuisé par sa conduite. Il hoche la tête, lentement, l’ombre d’un sourire. « Si tu es heureuse comme cela, alors c’est que tu as fait le bon choix ? Si tu peux donner autant que tout ce que cela t’a apporté ? ». Il se ressaisit, prenant la paume féminine dans la sienne en caressant le dos de son pouce. Il va bien. Il ira toujours bien. Même si cela est un mensonge.

« Ça serait un privilège, d'avoir le meilleur guide juste pour moi. » Petit commentaire accompagné d'un sourire taquin, ne voulant pas gaspiller aucune occasion de complimenter mon ami, lui qui le mérite tant. La réflexion revient, les sourcils froncés à la recherche d'une réponse qui ne vient finalement pas, peut-être pour le mieux. « Si on va en Australie un jour, je te laisse le choix de l'itinéraire. Je te fais entièrement confiance, tant qu'on ne croise pas trop de grosses araignées. » J'essaie d'ajouter un peu d'humour, n'étant pas entièrement convaincue que ce pays est le meilleur sujet de conversation pour mon ami. Peut-être y cache-t-il des cicatrices du passé similaire aux miennes. N'importe lequel événement, même anodin, peut pousser quelqu'un à chercher mieux ailleurs, après tout.

Ainsi j'essaie de nous attirer vers d'autres terres, l'inquiétude m'ayant pris de cours, ne voulant pas m'attarder inutilement sur un sujet que mon instinct me dicte n'être pas le bon. Et sa réponse illumine mes yeux, me donne mille et unes idées vagabondes, des envies d'entraîner mon cher ami dans de palpitantes aventures, loin de tout, loin du travail, loin des inquiétudes de grand frère ou grande soeur. « J'ai vu quelque chose en ligne, c'est une carte du monde où on peut marquer les pays et territoires qu'on a visité. On pourrait s'en procurer une et y inscrire l'ensemble de nos aventures, non? » La flamme au coeur, l'enthousiasme de l'exploration qui me revient telle une vague, la nostalgie des voyages qui ne s'est pas présentée depuis bien trop longtemps.

« On pourrait aller au nord, voir les aurores boréales. Loin de la ville. C'est un spectacle de lumière naturelle que j'ai toujours voulu vivre en personne. » Et l'envie d'énumérer tous les endroits déjà visités, ou ceux dans ma liste pour le futur, prend place. Une envie que j'essaie de taire, de peur d'envahir mon ami d'un engouement un peu trop prononcé. Une destination, c'est suffisant. Les autres suivront en temps et lieux, à notre rythme. À son rythme, même.

Mes iris qui s'étaient fermement plantés au creux des siens brisent finalement le lien et se déposent sur cette main qu'on partage, accompagné d'un énième doux sourire. Savoir si, oui ou non, on a fait le bon choix n'est qu'une réponse que seul le futur est capable de répondre. J'ose croire, par contre, qu'avec toutes ces années passées ici, la réponse est positive. Mon autre main vient rejoindre la sienne, et je le regarde à nouveau, sincérité dans l'oeil. « Oui, j'ai fait le bon choix, je crois. »

Je note finalement la différence entre nos deux assiettes, la mienne déjà plus vide que la sienne, et l'inquiétude m'envahit de nouveau. Aurais-je dis quelque chose de trop? Abordé un sujet un peu trop sensible? « Tout va bien? » Sans trop vouloir peser davantage, sans trop m'avancer dans un territoire qui est peut-être inconfortable pour mon ami. Tant qu'il sait qu'il peut être lui-même avec moi, qu'il n'y a pas de honte. Peut-être veut-il changer de sujet? « Alors, parle-moi de ta journée. Quel genre de miracle as-tu fait avec les pompiers, aujourd'hui? » Même s'il me dit qu'il n'avait sauvé qu'un chat du haut d'un arbre, pour moi, tout ce qu'il fait est un miracle.