Le pas rapide et les sourcils froncés, il pousse vivement la porte d’entrée de la salle de gym. Son expression agacée est troquée brièvement contre un grand sourire pour saluer les personnes qu’il croise régulièrement à cet endroit, puis le sourire s’efface aussitôt passé. Il faut dire que la journée ne fut pas des plus agréables, entre cours très demandant et bruits de couloirs, son instant de grand frère s’était réveillé et il n’avait pas réussi à se vider la tête de tous ses tracas. Un tour au vestiaire pour se changer, son sac fourré négligemment dans un casier et le voilà qu’il déboule dans la salle comme un lion cherchant sa proie. Ses yeux parcourent l’entièreté de l’endroit à la recherche de celle qui avait occupé une bonne partie de ses pensées aujourd’hui.

Son regard s’arrête sur une personne s’exerçant à l’une des machines de tirage. Ses jambes réagirent toutes seules et il se mit à marcher d’un pas vif dans sa direction. Pourtant, environ à la moitié du chemin, il pila net. Planté en plein milieu de la salle, il observa un court instant la jeune femme faire ses exercices, ses bras se levant au rythme des répétitions, et avec ses bras, son pull beaucoup trop court pour protéger convenablement du froid, c’est le rôle d’un pull après tout, non? Son cœur rate un battement devant la scène et le sang lui monte au visage. Mais étant fidèle à lui-même, Taeil ignore la sensation et reprend son chemin, d’un pas encore plus frénétique.

Arrivé à sa hauteur, il se plante de toute sa hauteur à côté d’elle, croisant les bras pour montrer son mécontentement, les sourcils toujours liés dans un froncement, mais trahis par un visage écarlate bouillonnant. « Eh! C’est quoi c’est rumeur que j’entends à la fac? Tu t’es battu? Avec qui? Pourquoi? T’as gagné? Il te cherche encore des noises? Je vais aller lui dire deux mots à celui-là! » Il marqua une légère pause pour détailler le visage de la jeune femme et remarqua une entaille sur son arcade sourcilière, mais ce qui attira le plus son attention, se sont ses phalanges, rouges et enflées. Sans trop réfléchir, il lui attrapa la main délicatement pour la regarder de plus prêt. « C’est lui qui t’as fait ça? Tu es blessé ailleurs? Tu as bien traité ça hein, j’ai de l’alcool et des bandages chez moi, je peux te les ramener, je sais faire une atèle si tu veux. C’est important de traiter ses blessures. » Pour quelqu’un d’aussi joyeux et gentil que lui, il semblait particulièrement bien s’y connaître en bagarre et en blessure. Une autre petite pause où il se rendit enfin compte de ce qu’il venait de faire. Il retira sa main comme s’il venait de se brûler et se redresse encore plus droit qu’un piquet. Il devenait de plus en plus rouge à la seconde, si c’était possible d’être plus rouge qu’il ne l’était déjà. Il s’éclaircit la gorge avant de détourner le regard, la mine toujours renfrognée. « Et puis c’est quoi cette tenue, ça protège rien du tout… » Il avait bougonné dans sa barbe, évitant au maximum l’eye contact. Bon, il avait peut-être un peu forcé sur le grand frère sur-protecteur, ce n’était pas son frère qu’il avait devant lui, il s’était pourtant souvent dit qu’il fallait qu’il arrête d’être sur-protecteur avec tous les gens qu’il croise, ça peut paraître déplacé.

Les cheveux roses, c'était trop voyant. Trop facile à reconnaître de près ou de loin, trop moi. Alors j'ai pris la décision de m'en débarasser, du moins jusqu'à ce que j'aille mieux. Si j'allais un jour aller mieux, ce que je doute de plus en plus, en fait. Une ou deux boîtes de teinture noire à acheter au E-Mart, une heure dans la salle de bain des résidences et poof. Un des traits caractéristiques de ma personne était disparu, si soudainement. Comme si ça allait aider.

C'est ma posture, ma démarche, ma conduite qui trahissait ma présence plus que mon apparence physique, désormais. Oui, de loin j'étais plus difficile à remarquer; mais de près? Dès qu'on passait outre la métamorphose, les gens murmuraient, se tassaient, me laissaient un peu trop de place. Le soulagement ne fut que de courte durée, comme si le fer sur la plaie n'a été retiré que quelques secondes avant de reprendre de plus belle.

Au moins la moitié des occupants de la salle de sports de l'université ne semblait pas me porter attention, chose on ne peut plus rassurante. Peut-être aurais-je du revenir sur les lieux plus tôt, mais cette fracture à la jointure m'en empêchait. J'y faisais escale quelques fois tout de même, l'espace de quelques instants, courir sur les tapis roulants, faire un peu de bicyclette ou autre machines cardio qui ne nécessitaient pas l'usage d'une main droite. Mais tandis que l'effort physique montait, la douleur reprenait de plus belle; si bien qu'elle déconcentrait, m'empêchait de terminer ces tâches que je m'étais données pour tenter de garder un minimum de forme, essayer de rester fidèle à moi-même. Mais je n'y pouvais rien.

Alors aujourd'hui, lorsque j'ai réalisé que j'étais capable d'ouvrir et fermer ma main sans trop de difficulté, sans crisper mon visage sous la douleur, j'y suis retournée; cette fois-ci dans l'optique de faire un peu de musculation, rattraper le temps perdu. Messy bun, pantalons longs et hoodie crop top sur le corps, je mise sur des exercices pour les bras, le cardio des dernières semaines ayant également aidé à muscler mes cuisses. Les deux mains agrippant bien la barre de cette machine de tirage, je fais quelques répétitions, ajustant au passage le poids, plus léger qu'à l'habitude, pour tester mes limites.

La douleur reprend, mais mon objectif reste le même: terminer ces répétitions, ajuster par la suite au besoin. Une silhouette fait apparition au coin de mon champ de vision, à la voix familière. Taeil, qui énumère les rumeurs qu'il a entendu, qui cherche des explications. « C'est rien, t'inquiète. » Sans le regarder, sans trahir mon inconfort fasse au sujet de conversation de son choix, je continue les dernières répétitions que j'ai à faire. Mais le point d'échec arrive plus vite que je crois, et à la dernière répétition, ma main droite lâche, les poids de la machine retombent un peu trop violemment.

Je plisse mes sourcils en réaction à la douleur, tandis que Taeil aggripe ma main, l'examine sous tous ses plis. « Ça va, c'est presque guéri, c'est rien. » Il lâche ma main et je la cache entre mes cuisses, un peu honteuse, le regard vers le bas. « Est-ce qu'on peut changer de sujet? S'il te plait? » Je sens l'anxiété doucement crépir, s'emparrer de mes entrailles.

Cette fois-ci, c'est à ma tenue qu'il s'en prend; un bon sujet de conversation pour me distraire des mauvaises pensées, malgré son ton que j'ai un peu de mal à interpréter. Je force un sourire, osant finalement tourner la tête et lever les yeux, plonger mon regard dans le sien. « C'est pas fait pour protéger, c'est fait pour avoir chaud mais respirer en même temps. » Je me lève de mon siège et j'étire mes bras au ciel, le mouvement accentuant davantage ma taille dénudée par la faute de mon choix vestimentaire. « C'est quoi, tu veux je l'enlève? T'aime pas? » Malgré que cette option n'était pas forcément mieux, le vêtement qui se cachait sous le hoodie n'étant qu'une simple camisole de sport.

Ses yeux se plissent légèrement à la réponse qu’on lui donne. Ce n’est pas une réaction normale, pas de sa part. Est-ce qu’elle a perdu? C’est pour ça qu’elle semble plus calme? Non, pour l’avoir vu perdre plus d’une fois (c’est pas vraiment équitable avec ses 80kg de muscles aussi) elle ne se laisse pas abattre pour si peu. C’est même plutôt le contraire. Il n’ajoute pourtant rien, se contentant d’une petite moue désapprobatrice avant de se rendre compte qu’il était en train de tenir sa main dans le plus grand des calmes. C’est bien connu, Taeil et son aisance avec les femmes, bien sûr qu’il allait avoir une réaction bien trop exagérée. Ce n’est pourtant pas la première fois qu’une fille vient à la salle dans une tenue plutôt révélatrice, mini short ou brassière, Yujin n’est clairement pas la moins habillée, mais les autres filles, il ne les calcule pas.

D’ailleurs, il ne saisit pas très bien pourquoi, elle en particulier, ça pouvait lui déclencher une telle réaction. Enfin, il n’a pas vraiment eu le temps de trop y réfléchir avant la prochaine répartie. Sa bouche s’ouvre et se referme aussitôt à l’action de sa vis-à-vis. Sa tête se baisse instantanément, prétextant de se gratter le front pour cacher son visage avec sa main. Encore plus rouge qu’il est humainement possible de l’être, son regard revient se planter dans celui de Yujin, un mélange de confusion, de panique et d’offense dans ses yeux. « Tu peux pas faire comme tout le monde et mettre un t-shirt!! » Il la force à baisser les bras, en faisant attention à ne pas heurter sa main, pour éviter qu’elle n’expose encore plus de son corps. Sa voix s’est peut-être fait plus forte qu’il ne le voulait, quelques têtes se sont tournées, forçant Taeil à reprendre un peu de contenance. Il s’éclaircit légèrement la gorge, mal à l’aise. « Viens, ils ont sûrement de quoi traiter tout ça dans la pharmacie du gym. Et je te donne pas le choix. » Il presse sa main au creux de ses omoplates pour l’inciter à avancer, tout en essayant de garder une certaine distance de politesse.

L'anxiété qui crépit, qui nait dans mes tripes et qui voyage le long de mes limbes jusqu'à venir serrer ma gorge. Alors que mon ami s'empresse à poser des questions, c'est cette anxiété, cette détresse qui commence à me submerger. Celle que j'essaie tant d'éviter mais qui partage ma vie, du matin à la nuit, sans que je puisse m'en débarasser. J'évite le sujet, j'essaie de dire mon discours habituel que ce n'est rien, que je vais bien, que je veux qu'on parle d'autre chose. Est-ce que ça allait être suffisant pour Taeil, celui qui, de par ses attentions, me rappelle mes grands frères au sud du pays?

Heureusement, oui. Il se presse pas plus, et j'essaie de subtilement pousser un soupir de soulagement. Quelque chose pour m'aider à décompresser, évacuer le trop plein qui aurait pu sortir d'une autre manière probablement moins saine, plus explosive.

Ayant besoin de me lever et m'étirer, c'est ce que je fais, sous le son des protestations de mon ami qui n'aime pas ma tenue du jour. Je le regarde, amusé; sa drôle de réaction a, au moins, le don de me faire rapidement oublier cette sensation étouffante qui m'envahissait quelques secondes plus tôt. Je laisse même échapper un petit rire, malgré moi, alors qu'il s'empresse à me faire baisser les bras. « Mais?? » Son regard semble être un mélange de confusion et de sermons, dont j'en partage la première moitié. Le visage peint d'incompréhension, je l'écoute se plaindre, comme si j'étais la seule avec une taille découverte, comme s'il n'y avait pas une dizaine de filles moins habillées que moi au gym en ce moment-même.

« Si tu l'dis, boss. » J'hausse les épaules, n'ayant pas l'énergie de me défendre davantage. « J'ai laissé ma garde-robe chez moi par contre donc faudra que tu t'y fasses. » Un nouveau soupir s'échappe d'entre mes lèvres alors que je reprends mes mouvements de main, l'ouvrant et la fermant, essayant de m'assurer que les os ne font pas trop mal, que les muscles se déploient correctement. Ce n'est pas au point, mais ça ira. Peut-être que je devrais m'en tenir au vélo stationnaire, finalement.

C'est ce même manque d'énergie qui m'a empêché de répliquer plus tôt qui survient, cette fois-ci laissant mon ami me diriger d'une main dans le dos vers la pharmacie. Physiquement, je n'y peux rien; mon corps ne veut pas s'arrêter, la volonté n'y est pas. Mais mon cerveau panique de plus belle, et ce souhait de ne plus en parler revient au grand galop. « Je te dis que ça va, c'est presque tout guéri déjà, la preuve j'ai plus de plâtre. » Mais je sais bien que ça ne sera pas suffisant, surtout s'il vient juste d'apprendre ce qui m'est arrivé. « J'ai mes antidouleurs dans mon sac et je suis les recommendations du médecin, vraiment, on a pas besoin d'y aller. »

Mais malgré mes propres protestations, nous sommes déjà à l'entrée, et il est sans doute déjà trop tard pour rebrousser chemin. Mais en guise de dernier refus je me retourne pour faire dos à la porte, et je le fixe dans les yeux, bras croisés. « If anything, c'est toi qui a besoin de la pharmacie. T'as vu ta tête? T'es tout rouge! » Est-ce qu'il avait chaud? Est-ce qu'il avait cette tête quand il s'est approché de moi? Est-ce qu'il est arrivé plus tôt et aurait déjà fait quelques sets?

Sa moue lui fait manquer un battement. Qu’est-ce qui lui arrive aujourd’hui bon sang? Ce n’est pourtant pas la première fois qu’il se retrouve dans cette situation, son frère s’est déjà battu, il l’a déjà engueulé pour ça et pour bien d’autres choses. Alors pourquoi il n’arrive pas à garder un semblant de contenance face à Yujin? Et puis ce n’est pas du tout son style de sermonner quelqu’un sur sa façon de s’habiller, lui qui ne doit avoir que trois jeans à tout casser. Un soupir lui échappe en voyant le manque d’entrain de la jeune femme. Malgré une répartie toujours présente, son entrain habituel manque toujours grandement à l’appel. Ça commence de plus en plus à le travailler, il n’aime vraiment pas la voir dans cet état, mais pour le moment, il se concentre sur ses blessures et l’entraîne vers une pharmacie juste en face de la rue. Elles ont déjà l’air à peu près guéri, mais, même s’il n’y a plus grand-chose à faire pour sa main, à part bien sur du repos, ce qu’elle ne semble pas prendre en compte, il avait peut-être un petit quelque chose pour sa plaie à l’arcade. Il n’est pas à son premier coup d’essai pour les blessures à l’arcade, il sait très bien limiter la casse. À vrai dire, pour à peu près toutes les blessures, mais il préfère éviter d’en parler.

« Tu suis les recommandations du médecin, et pourtant, je te trouve ici à faire l’exact opposé de ce que quelqu’un à la main cassée est censé faire! » Sans ralentir le pas, il continue de la diriger vers la sortie, tout en essayant de refroidir la température de son corps. Peut-être que la température de la salle était plus élevée que d’habitude. Enfin, ce sera sans succès, la remarque de Yujin, postée les bras croisés devant la porte, ne fait que le faire rougir de plus belle. Il soutient son regard pendant quelques secondes, pris par surprise, avant de détourner le regard, ne sachant même plus où poser les yeux. « Attends-moi là, je dois prendre de l’argent. » Il avait marmonné ça rapidement avant de s’éclipser dans les vestiaires. Il ne lui fallut que quelques minutes pour récupérer quelques billets et boire une gorgée d’eau, ce qu’il fait chaud ici. Il est revenu aussi vite qu’il est parti, espérant fortement que Yujin ne se soit pas éclipsé pendant son absence.

On se dirige, peu à peu, vers l'entrée de la pharmacie malgré mes protestations et mes pathétiques tentatives de le convaincre que je n'en avais pas besoin. Physiquement, par contre? Aucune énergie, impossible de l'empêcher de me pousser jusqu'à l'endroit où il tenait tant qu'on aille. Un manque d'énergie différent de cette adrénaline qu'on a besoin pour le gym. Ça, j'en avais suffisament, sinon je ne me serais pas déplacée, bien évidemment. C'est l'épuisement, la fatigue, le non désir de se défendre et de rester sur ses gardes. C'est l'absence de volonté de protester plus qu'il ne le faut, de peur qu'on me pose trop de question, de peur que je brise ma carapace.

Néanmoins, j'essaie quand même de le convaincre une dernière fois que tout est bon, que j'ai le nécessaire avec moi, que je suis les recommendations. Mais il ne me croit pas, il n'est pas d'accord. Je soupire, défaite. « Ouais, il a dit si ça te fait pas trop mal essaie d'utiliser ta main, alors c'est ça que je fais. Mais bon, si tu me crois pas... » J'ajoute la dernière partie de ma phrase à voix un peu plus basse, accompagné d'une expression qui trahit un peu mes émotions. Pas exactement de l'embarras, ni de la déception. Quelque chose d'un peu plus subtil, peut-être. Quelque chose de difficile à expliquer.

Finalement, il s'éclipse, disant qu'il a besoin d'argent. L'énergie n'est plus là, alors je ne fais qu'hausser les épaules et m'asseoir au sol, à côté de la porte, dos au mur. Téléphone à la main, je défile les vidéos sur Tiktok à la recherche de quelque chose de drôle à envoyer à Jaehee, Mika, Seo Joon, n'importe qui. Rien, à cette heure-ci. Stupide algorithme.

Je lève les yeux sans bouger la tête en direction de Taeil, déjà revenu, argent à la main. « T'es certain je peux pas juste retourner m'entraîner? J'irai faire du vélo. » Mais, me résignant déjà à mon probable sort, je tends ma main gauche pour lui demander de m'aider à me lever. Pas que j'étais incapable, juste... je sais pas. Un peu de léthargie soudaine, peut-être?

Ce manque d’énergie l’inquiète de plus en plus, il va devoir lui tirer les vers du nez d’une façon ou du autre. Enfin, encore faut-il qu’il se calme d’abord, quoi qu’il lui arrive. Enfin, elle a quand même l’énergie de répondre, et puis elle est ici, donc ça veut dire qu’elle est motivée à s’entraîner, donc il ne l’a pas totalement perdu. Manque à savoir ce qui la rend si mollassonne. Un furtif regard en coin est jeté dans la direction de la jeune femme. « Par utiliser ta main, il voulait sûrement dire tenir un crayon ou ton téléphone, essayer de la refermer, pas soulever 5, 10 ou 15 kilos… » Il a parlé sur un ton plus posé qu’avant, essayant de se rappeler qu’il n’est pas en train de parler à son frère.

Il ne lui a fallu que quelques minutes pour faire l’aller-retour au vestiaire pour aller chercher de l’argent. C’était l’argent qu’il comptait utiliser pour les courses de ce soir, mais tant pis, il y a encore de quoi faire dans le frigo, et puis il ne manque jamais d’idée quand il s’agit de cuisiner avec les moyens du bord, après tout, il fait ça depuis ses 11 ans, voir aussi loin qu’il se souvienne en fait. À son retour, Yujin est assise par terre, sur son téléphone, alors il se plante devant elle, l’observant silencieusement. Un sourire fend son visage alors qu’il attrape la main tendue. « Tu sais quoi, attends moi-là, j’en ai pour une seconde. Il faudrait pas que tu attrapes froid. » Il désigne un banc non loin d’eux pour qu’elle s’y installe. C’est vrai que le temps n’est pas des plus clément aujourd’hui, l’hiver n’a pas entièrement quitter le pays, et elle est déjà blesser, inutile qu’elle tombe malade.

Il passe la porte, l’air froid lui fouette le visage, mais tant mieux, il a besoin de refroidir un peu. Il n’est peut-être pas des mieux habiller pour sortir, mais la pharmacie est juste en face, ça ne sera pas long. Et en effet, une petite dizaine de minute et le revoilà qu’il franchit le seuil du gym, un petit sac en plastique en main. « J’ai pris de quoi entretenir ta cicatrice. » Sa voix s’est fait plus posé, plus calme, plus rassurante et son visage a enfin repris une couleur normale, peut-être encore un peu rouge dû au froid extérieur, mais au moins, ses pensées sont revenu à la bonne place. Il se pose sur ce même banc et commence à sortir une crème et des compresses avec un peu de scotch médical. « C’est une pommade à l’aloé vera, c’est vachement bien pour aider la cicatrisation. » Il commence a débouchonner la pommade et en met un peu sur son doigt. « Je peux? » Après avoir reçu l’accord, il commence a étaler doucement la pommade sur la plaie, le plus délicatement possible. « Alors, tu vas pas me dire ce qu’il s’est passé? » Sa voix se voulait douce et rassurante, la même qu’il prenait lorsque son frère était plus jeune et qu’il s’était chamaillé avec un de ses camarades de classe. Sans la prendre pour une gamine, juste le ton rassurant d’un paternel inquiet.

Seulement un profond soupir arrive à sortir d'entre mes lèvres lorqu'il me sermonne une énième fois, sans trop savoir quoi dire d'autre. La volonté de me défendre étant complètement partie, je le laisse faire, je le laisse vouloir m'amener à la pharmacie, je l'attends assise lorsqu'il part chercher de l'argent. Et là, alors qu'il m'aide à me lever, il dit finalement qu'il va y aller tout seul. « Mais je tombe jamais mal- bon... » Je me résigne à mon sort une nouvelle fois, lui qui est finalement parti de lui-même sans me laisser le choix. Donc je m'exécute; je m'asseois, et je continue mes aventures sur mon téléphone, cette fois-ci assise sur un banc au lieu du sol. Peut-être une meilleure idée.

Finalement il revient, sac à la main, et je le suis des yeux sans trop oser bouger davantage, ne sachant pas trop s'il allait s'asseoir, s'il voulait que je le suive, ou quoi que ce soit d'autre. Il s'asseoit à mes côtés et je me tourne, jambe croisées, lui faisant finalement complètement face. J'allais prendre parole, lui dire qu'il n'avait pas besoin de s'occuper de ma main, que la fracture est guérie, qu'il n'y a à peine une marque, qu'on s'en fout. Mais, ses yeux qui fixent mon sourcil droit me disent que ce n'est pas de ma main qu'il parle, finalement. C'est de l'autre marque, celle qui me rappelle quel monstre je peux être parfois à chaque fois que je la vois dans le miroir.

« Hm hm » J'hoche la tête doucement, donnant mon accord que par un petit son vocal, n'osant plus refuser son aide. Il est sorti, au froid, il a dépensé je ne sais combien pour une pommade. L'aide m'embête, me donne l'impression d'être pathétique limite. Des pensées un peu intrusives qui sont beaucoup plus facile à croire que d'ignorer. Alors je le laisse faire, le regard honteux qui se dépose vers le bas lorsqu'il demande à nouveau des explications. « J'espère que ça a pas coûté trop cher, je te rembourserai... » Ma main gauche agrippe le tissu de mes pantalons, comme pour essayer de me distraire, empêcher les émotions de reprendre le dessus. Pas ici, pas devant lui. Pas devant personne.

Je le laisse terminer, puis je me relève, prête à passer à autre chose. « On peut retourner au gym? J'ai besoin de dépenser. » Vélo, course, machines de musculation pour les jambes; n'importe quoi, tant qu'on fait autre chose, tant qu'on arrête d'en parler.

Taeil ne fait pas attention aux protestations, il s’engouffre vers la sortie et revient quelques instants plus tard avec de quoi la rafistoler un peu. Il s’assoit devant elle, une jambe de chaque côté du banc pour lui faire face. Elle lui fait face aussi, jambes croisées. Au moins, il peut correctement s’occuper sa plaie qui commençait déjà bien à cicatriser. Vu l’état de cette dernière, si rien n’est fait, ça va laisser une vilaine trace. Enfin, à ce stade, ça allait laisser une trace quoi qu’il arrive, l’arcade a tendance à marquer assez facilement, à saigner facilement aussi. Une fois la pommade appliquée, un petit pansement fait sur mesure pour bien recouvrir la plaie sans pour autant faire un trop gros bandage et le tour est joué. Un sourire réconfortant s’installe sur ses lèvres. Il ne répond pas tout de suite, accrochant le dernier adhésif avec soin et lui donne une petite tape sur le front. « C’est rien, va. Ça a rien coûté du tout. » Pas question qu’elle le rembourse.

Mais à peine le bandage fait, la voilà qui insiste à nouveau pour retourner s’entraîner. Un léger soupir lui échappe alors qu’il s’applique à ranger ses achats dans son petit sac en plastique. Il se lève à son tour et lui tend le sac. « Pense à pas garder le pansement trop longtemps et a bien hydrater la cicatrice. Et la laisse pas au soleil surtout, ça évitera qu’elle se voit trop. » Il se met à faire quelques rapides échauffements, mine de rien, il n’avait pas encore fait le moindre entraînement encore, et encore moins d’échauffement. « Bon ok, on va faire du vélo. Une course, 5 kilomètres, on commence petit. Celui qui arrive à destination le premier gagne. » Il laisse apparaître un sourire en coin, le regard plein de défi. Si ça ressemble à un renoncement de sa part, il n’en est rien. Il fait mine de se diriger à grand pas vers les machines, mais au lieu de ça, il fait volte-face et se plante bien droit devant Yujin, les bras croisés, l’ombre d’un sourire provocateur toujours sur le visage. « Si je gagne, tu me racontes tout. Si c’est toi qui gagnes… Tu nommes ton prix, je le ferais. » Vu comment elle évite le sujet, il peut déjà prévoir qu’elle va lui demander de ne plus jamais parler de ça, mais au fond de lui, il espère quand même qu’elle vienne avec quelque chose d’un peu plus stimulant.

La petite tape sur le front me prend un peu par surprise, mais en même temps, elle ne me dérange pas. Je souris même, un peu; on dirait que tout revient un peu à la normale. Taeil avec ses allures de grand frère qui ne veut pas laisser sa petite soeur gagner, et moi qui veut tout prouver. Je me contente d'hocher la tête, néanmoins, lorsqu'il continue son discours d'infirmier en herbe, profitant de son inattention pour jeter un oeil à la facture dans le sac. Le prix pince un peu, mais pas question que je ne le rembourse pas.

Il s'échauffe un peu et je fais de même, mes derniers exercises remontant à déjà plusieurs minutes. Finalement, il accepte de faire du sport, la vraie raison de notre présence ici. Il était temps. Peut-être allais-je finalement être capable de mettre mes pensées intrusives de côté et focuser sur autre chose. J'essaie de soupirer le plus subtilement possible, voulant le suivre de près alors qu'il semble vouloir se diriger à grande vitesse vers les vélos.

Mais il se retourne?

« Bro what? » Je le percute presque, m'arrêtant que juste à temps, n'ayant pas anticipé qu'il allait faire volte-face aussi rapidement. Les sourcils levés, regard incrédule, je le regarde alors qu'il ajoute un détail à son défi. C'était naif de ma part de croire qu'il allait laisser tomber le sujet aussi facilement. Je roule les yeux en croisant, moi aussi, les bras. « Okay okay, c'est bon, j'ai compris. Deal. » Je tends la main gauche pour officialiser le pari, m'ayant déjà habitué à éviter de le faire avec ma main dominante même si elle est presque guérie. « Je sais pas encore ce que je veux, j'y réfléchirai en t'attendant à la ligne d'arrivée. » Sourire provocateur aux lèvres, mes yeux brillent d'un engouement soudain, quelque chose qui ne m'est pas fréquent, ces temps-ci.

La vérité, c'est que Taeil gagne beaucoup plus souvent que moi. Et avec un prix du genre, il n'allait sans doute pas me rendre la vie facile. Au moins, c'est du vélo, pas de la musculation; nous sommes sur un terrain un peu plus égal, surtout que, contrairement à mes bras, j'ai pu entraîner mes jambes depuis la blessure. Alors je prends place sur le vélo de mon choix, j'attends qu'il fasse de même, on paramètre les machines pour qu'on soit à la même difficulté, je prépare ma playlist sur mon téléphone. « On commence en même temps. Ready, set... go! »

La clé du vélo, c'est l'endurance. Oui il y a la vitesse, oui il y a la force de pousse, mais au final il faut ménager son énergie et être constant pendant ces cinq kilomètres. Un marathon, pas un sprint. Et, environ 10 minutes plus tard, je complète finalement mes kilomètres. Le coeur qui bat à cent mille à l'heure, je jete un oeil sur le chronomètre du vélo de Taeil, lui qui pédalait toujours quelques secondes plus tôt. « Ah merde... » Quelques secondes tout au plus, c'était suffisant pour qu'il y aille un gagnant et un perdant. Sans trop savoir pourquoi, je ris, les yeux qui regardent d'abord le plafond, puis le front qui vient rejoindre le guidon du vélo, l'épuisement prenant le dessus.

Même si j'ai perdu, c'était... agréable. Un moment normal, pour une fois.