J’ai passé une bonne journée et j’ai surtout finalisé la vente d’un appartement de standing auprès d’un client particulièrement riche et exigent. Ce dernier était si content qu’il m’a invité dans la foulée au restaurant et je n’ai tout simplement pas pu refuser. Parce que je me doutais que je rentrerais tard, j’ai envoyé un message à Ju Yoon pour le prévenir que je travaillerais plus tard que prévu. J’ai ensuite coupé la sonnerie de mon portable et je l’ai rangé au fond de ma serviette pour être certain de ne pas le regarder et d’être tenté de rentrer. C’est mal, je le sais et pourtant c’est plus fort que moi. J’ai beau aimer Ju Yoon, il n’est plus le même depuis l’accident. Il m’épuise et j’ai parfois besoin de souffler loin de lui. Travailler est une vraie bouffée d’oxygène pour moi pour ne pas dire que c’est être loin de la maison et surtout de lui… D’ailleurs ça fait longtemps que je n’ai pas diner dehors. Je précise quand même à mon client que je ne peux pas rentrer tard, ce qu’il comprend, même s’il me pousse à boire quelques verres, ce qui m’oblige à rentrer en taxi.

Je sens l’alcool et la fumée de cigarette lorsque je pousse la porte de notre appartement. Mon client fume beaucoup. Alors forcément, je me retrouve avec son odeur sur la peau. Nous avons bu du vin et du bon whisky. Mon haleine en est justement chargée. En me déchaussant je me dis que j’aurais pu prendre le temps de masquer toutes ces odeurs mais je voulais rentrer au plus vite, même si j’appréhende le moment de me retrouver face à mon petit-ami. En fait, à cet instant j’aimerais être n’importe où ailleurs.
« Bonsoir ! Je suis rentré ! »
J’essaie de prendre un ton enjoué parce que je ne veux pas que Ju Yoon ait l’impression que je me pose des questions sur nous, ce que je fais en réalité.

Les journées étaient interminables. Bien sûr, il avait une aide qui venait une fois par jour pour s’occuper de ses besoins primaires mais Ju Yoon préférait la compagnie de Hayate. De toute façon, c’était un peu sa faute s’il se trouvait dans cet état. L’accident aurait dû les rapprocher, après tout, il était devenu complètement dépendant de son petit ami, mais ce dernier semblait particulièrement… Distant. Ça agaçait Ju Yoon qui devait déjà vivre avec la frustration de ne rien pouvoir faire, particulièrement son sport qui était sa principale occupation.

Il regardait les heures avancées sans aucune nouvelle de Hayate. Ce dernier l’avait avisé qu’il rentrerait tard et, lorsque Ju Yoon lui avait écrit pour connaître les raisons, il n’avait obtenu aucune réponse. Il se mordait les lèvres à répétition pour contenir sa colère alors qu’il commençait sérieusement à avoir envie de pisser. Hors de question de le faire ailleurs qu’à la toilette. Il allait attendre son petit ami.

C’est finalement bien plus tard que prévu qu’il entend la porte ouvrir et Hayate annoncer son arrivé. Comment peut-il prendre un ton aussi enjoué? Les bras croisés sur son torse, Ju Yoon attend qu’il entre dans son champ de vision pour qu’il puisse bien voir sa contrariété.

J’imagine que tu as une bonne excuse pour être rentré aussi tard et ne pas avoir répondu à ton téléphone? Tu réalises que je ne peux rien faire par moi-même? Tu es supposé m’aider mais tu préfères m’abandonné. Je ne suis pas ta priorité?

A l’expression de son visage, je devine qu’il va me faire une scène et les reproches ne tardent pas à pleuvoir. Dans un sens, il a raison. Je l’ai laissé seul sans nouvelle mais j’avais une bonne raison et même si j’ai envie de lui répondre qu’il m’agace et que j’ai passé une bien meilleure soirée sans lui, je fais l’effort d’avancer vers lui pour déposer un baiser à la commissure de ses lèvres avant de me redresser pour retirer ma veste. Je n’ai pas envie de lui offrir un vrai baiser et je doute qu’il l’accepte de toute façon.
« J’étais avec un client. J’ai fait une grosse vente. Ma commission sera importante. Tu sais bien qu’on ne peut pas cracher sur ce genre d’opportunité. »
Je ne réponds pas sur le fait qu’il soit ou non ma priorité. Depuis cet accident, je lui consacre chaque minute de mon temps quand je ne suis pas occupé à travailler. Je ne sais pas ce qu’il attend de plus de moi.
« Tu as besoin que je t’aide à prendre un bain ou que je fasse quelque chose pour toi avant de prendre une douche ? »
Nos échanges sont très pragmatiques et d’ordre pratique parce que je n’ai pas envie de discuter avec lui. Ju Yoo n’est pas de bonne compagnie et de toute façon je suis bien trop fatigué pour lui faire la conversation.

Depuis l'accident, Hayate donnait l'impression d'être agacé par lui. Certes Ju Yoon était exigent mais il avait les deux jambes cassées! Il dépendait entièrement du japonais. Et puis c'était ironique puisque c'est lui qui était au volant au moment de l'accident. Il lui devait au moins ça: être là pour lui et lui donner un minimum de nouvelles.

Hayate dépose un baiser froid et sec à la commissure de ses lèvres ce qui fait soupirer Ju Yoon. Il était déjà assez frustré dans son état, il avait besoin d'un minimum d'affection mais son petit ami ne semblait rien avoir à lui offrir.

C'est un simple diner qui te fait rentrer si tard?

Il plisse légèrement les yeux, suspicieux. Il avait toujours eu confiance en Hayate mais dernièrement, il ne savait plus trop. Il y avait peu de moments d'intimité entre eux, qui sait s'il n'allait pas voir ailleurs pour se soulager? Il était libre comme l'air lui avec ses deux jambes.

Tu as baisé. C'est ça?

L'accusation est violente et gratuite mais Ju Yoon est insécure et il a tendance à devenir facilement émotif.

Bien sûr que j'ai besoin d'être lavé! Mais pas avant que tu me dises la vérité.

Je ne peux pas m’empêcher de soupirer lorsqu’il me demande si c’est un simple diner qui me fait rentrer si tard. Ce n’est pas comme si ça arrivait souvent. Depuis son accident, je ne fais plus grand-chose après le travaille et je veille à rentrer tôt. Là, je ne pouvais pas refuser ce diner et je n’en avais pas envie. J’avais besoin d’une pause pour souffler et exister en tant qu’individu avant de reprendre mon rôle d’aide-soignant parce que c’est ce que je ressens depuis quelques temps. Je ne suis plus que son infirmier personnel. Au début, j’avais à cœur son bien être et je l’ai toujours mais je mets nettement moins d’enthousiasme dans ma tâche parce que j’ai le sentiment que Ju Yoon ne fait aucun effort. Il ne fait rien en dehors de râler et me faire des reproches.

Alors quand il me demande si j’ai baiser, je lui adresse un regard choqué.
« Je ne vais même pas répondre à cette accusation parce que tu sais très bien que je ne te tromperais jamais ! »
Je noue ma cravate, défais les premiers boutons de ma chemise avant d’en remonter les manches.
« Alors arrête de dire n’importe quoi et viens, allons te laver. »
Je suis fatigué et avant de me coucher, j’aimerais faire tourner une lessive ainsi que le lave-vaisselle pour ne pas avoir à courir demain.

Après avoir balayer son accusation mais également toute discussions, je m’approche de lui pour l’aider à gagner la salle de bain en silence.

Ju Yoon savait qu'il était devenu exigeant avec Hayate, surtout depuis l'accident. En véritait, il souffrait. Il était en colère d'être cloué à son lit et d'avoir perdu son sponsor. Il n'avait personne d'autre que son petit pour le soutenir et ce dernier trouvait mieux à faire! D'ailleurs, il semvle choqué par les paroles de Ju Yoon qui répond sans réfléchir:

C'est aussi ce que tu as dit à ta petite amie avant de la tromper avec moi?

Le coup est bas, il le sait bien, mais c'était plus fort que lui. Hayate se prépare pour l'aider à se laver. C'est un moment qui aurait pu être tendre et affectueux mais tout a été gâché maintenant. Lorsque le japonais s'approche de lui, Ju Yoon sent son corps se crisper.

Tu devrais te laver toi aussi... Tu sens l'alcool et la fumée à plein nez. On croirait que tu es allé à un bar d'hôtesses.

Il est aussi vexé que suspicieux. Hayate n'avait pas le droit de faire tout ça alors qu'il était prisonnier de son lit.

Mon visage blêmi en entendant son accusation suivante. Oui, j’ai été infidèle une seule fois dans ma vie et c’était dans ma précédente relation parce que j’ai eu un coup de foudre pour Ju Yoon. Je l’ai aimé dès le premier regard, dès notre premier échange. Sa voix, son sourire, son regard, tout m’avait conquis et aujourd’hui j’ai beau l’observer attentivement j’ai du mal à retrouver l’homme que j’ai aimé au point de balayer mes principes.

Son commentaire me choque tellement qu’un rire nerveux s’échappe de mes lèvres :
« T’es pas sérieux Ju Yoon ? »
Je ne chercherais pas à me défendre. Je ne veux pas qu’on se dispute parce qu’on va finir par se faire trop de mal et forcément atteindre un point de non-retour que je ne veux pas atteindre avec lui. Parce que même si parfois je le déteste, je l’aime encore beaucoup trop pour le laisser, surtout dans cet état. Alors je prends sur moi, me disant que quand ça ira mieux, je retrouverais l’homme que j’ai aimé sinon… nous verrons bien.

Je ne dis rien d’autre, je m’approche de lui pour l’aider à gagner la salle de bain mais bien sûr Ju Yoon ne peut pas s’empêcher de se montrer à nouveau désagréable.
« Tu crois vraiment qu’on peut se permettre que j’aille dépenser de l’argent dans un bar à hôtesse ? Réfléchis avant de dire n’importe quoi. Le client qui m’a invité au restaurant vient d’acheter un appartement en plein cœur de Gangnam. Tu te rends compte de la commission que je vais avoir ? On va pouvoir aménager un peu l’appartement pour te faciliter la vie. »
Je pense à une barre de soutient dans les toilettes et la salle de bain pour l’aider à se soutenir parce qu’il ne portera pas toujours ses plâtres. A un moment il pourra utiliser ses jambes même s’il aura encore besoin d’aide.

Sur ces mots et faisant abstraction de sa mauvaise humeur, je pousse son fauteuil roulant jusqu’à la salle de bain. Tant pis si je ne sens pas bon, je me laverais après.

La réplique de Ju Yoon semble faire effet sur Hayate dont le visage devient soudainement blanc. Il n’aime pas être rappelé cet écart et avec raison. Le coréen était cependant incapable de passer outre alors que leur relation avait drastiquement changée, le rendant plus insécure que jamais.  Il n’aime pas le rire nerveux qui s’échappe des lèvres de Hayate, comme s’il avait quelque chose à se reprocher.

Je ne sais pas. Je ne sais plus.

Il ne reconnaissait plus son petit ami. Celui pour lequel il avait eu un réel coup de foudre alors qu’il ne s’était jamais intéressé à qui que ce soit avant. Qu’est-ce qui avait changé entre temps? Était-ce l’accident? Si c’était le cas, le japonais pouvait faire preuve d’un minimum de compassion et comprendre que ce n’était que temporaire.  Ce dernier l’aide à se rendre à la salle de bain ce qui n’arrange pas l’inconfort de Ju Yoon. C’était peut-être de le voir aussi dépendant et vulnérable qui le rendait soudainement moins séduisant aux yeux de Hayate. Il ne le désirait peut-être plus, maintenant que ses jambes n’étaient plus fonctionnelles. C’est ce qui le pousse à l’accuser à nouveau. Ça et l’odeur qui ne fait qu’amplifier ses suspicions.

Justement ! L’appartement est acheté, tu n’as plus besoin de l’impressionner et pourtant c’est ce que tu fais plutôt que de revenir m’aider.

Il échappe un grognement en entendant la suite.

On n’a pas besoin d’aménager quoi que ce soit! Tout ça c’est temporaire. Mes jambes… Je pourrais marcher à nouveau. C'est ça qui fait que tu t’éloignes de moi? Tu préfères trouver quelqu’un avec un corps complètement fonctionnel?  

Sa colère amplifie son insécurité et il se met à se tortiller dans son fauteuil.

Laisses tomber! Je me débrouillerais seul pour me laver. Comme ça tu seras tranquille et tu n’auras pas à t’occuper de ton copain infirme.

Quand il me répond qu’il ne sait pas s’il est sérieux ou pas dans ses reproches, je sens mon corps se détendre. Ju Yoon vit mal sa condition, ce que je peux comprendre. Je fais tout pour l’aider et l’accompagner mais je le trouve parfois tellement injuste avec moi. D’ailleurs la compassion que je pouvais ressentir pour lui et l’envie de l’excuser d’être si odieux avec moi s’envole en entendant ses paroles suivantes.
« Je ne sais pas comment t’expliquer que mon travail repose sur le relationnel que je peux avoir avec mes clients. Même avant ton accident, tu avais du mal à le comprendre alors pourquoi je perdrais du temps maintenant à te l’expliquer ? »
Je me montre plus dure que je ne le voudrais avec lui tout simplement parce que je suis lassé de devoir me justifier avec lui. Si je travaille si dur, c’est pour nous. Pour pouvoir rendre son quotidien plus confortable en aménageant l’appartement par exemple ! Mais bien sûr, sa fierté refuse de l’accepter.
« Bien sûr que tu pourras remarcher mais ça t’aidera pendant ta convalescence. »
Qui devrait être longue et difficile de ce que j’ai cru comprendre mais Ju Yoon refuse d’en entendre parler. Quant au fait que je préférais qu’il ait un corps complètement fonctionnel, la réponse est oui ! Bien sûr que je préférais qu’il ne soit pas blessé et que je ne sois pas obligé de m’occuper de lui de cette manière mais jamais je ne tromperais pour ça !
« Je ne m’éloigne pas de toi c’est toi qui me repousses et tu recommences à le faire en refusant que je t’aide. »
Il dit qu’il veut se débrouiller seul mais il est incapable de retirer tous ses vêtements sans mon aide, ni de s’installer sous la douche. Comment compte-t-il faire au juste ?
« Bon, arrête de faire l’enfant et laisse-moi t’aider. »
Sur ces mots, je m’avance vers lui avec l’intention de le déshabiller. Il fut un temps où on essayait de rendre ça agréable et sensuel. Ce soir, ce n’est clairement pas le cas.

Hayate est clairement impatient face à lui, Ju Yoon le voit bien. C’est vrai qu’il avait du mal à comprendre cet aspect de son métier. Ou plutôt, il refusait de le comprendre. Il faut dire que le japonais était séduisant et il avait du succès sans faire le moindre effort. S’il avait succombé si facilement à son charme, n’importe qui en était capable aussi. C’est ce qui l’énervait. Il fait la moue en soupirant bruyamment.

Je pense que tu en fais plus que nécessaire.

Encore une accusation qui lui faisait un peu de bien. Hayate continue de se montrer calme et posé face à sa situation, ce qui ne fait que rendre Ju Yoon plus à cran. Finalement, ça devait bien l’arranger pour aller voir ailleurs, qu’il se retrouve dans cet état. Le japonais n’hésite d’ailleurs pas à lui retourner ses reproches avec une logique qui ne lui plaît pas. Il réplique en haussant toujours le ton :

Je ne veux pas que tu m’aides parce que tu ne ressens plus de désir pour moi après! Tu cherches qu’à rentrer tard et aller voir ailleurs.

Mais visiblement, ça ne décourage pas Hayate qui insiste pour l’aider en s’avançant pour lui pour le déshabiller. Ça n’a pourtant rien de professionnel. Il lui rappelle simplement un garde malade qui doit faire son travail Ju Yoon frémit à cette penser et il ne fait aucun mouvement pour lui faciliter la tâche.

Sois honnête alors. Tu m’aimes toujours? Tu me désires encore?