Histoire I. l'argent n'a jamais coulé à flot dans votre famille mais fut une époque où ce n'était point un souci cependant. ton père avait un bon poste ; il travaillait de nuit, ça payait plutôt bien et ta mère travaillait dur dans le jour, supportant un patron odieux juste pour toucher son chèque fin du mois. ce n'était pas l'idéal mais ça fonctionnait. tu ne passais pas beaucoup de temps avec tes parents. ils étaient toujours occupés ou trop fatigués, et tu le comprenais. heureusement, ton frère était là : il t'accompagnait au cinéma, il allait faire les magasins avec toi, il jouait même au baseball avec toi. il avait fait de toi sa priorité absolue et rien ne passait entre vous. vous organisez des soirées jeux de société avec vos parents, au moins un week-end tous les mois, afin de pallier à leur absence le reste du temps. ce n'était pas toujours suffisant et parfois tu voulais plus mais tu ne le disais pas, sachant qu'eux aussi le voudraient. tu te contentais de ce qu'on te donnait, et avec ton frère à tes côtés, tout allait bien de toute façon.

II. ton père tomba au chômage juste avant ton entrée au lycée. et ce fut un coup dur pour la famille. cercle vicieux, ton père était tombé dans la dépression, n'arrivant pas à décoller de son statut de « chômeur ». ta mère essayait de faire de son mieux mais tu voyais la fatigue sur son visage, elle n'arrivait pas à gérer seule et cumulait à présent deux boulots. tu faisais de ton mieux pour aider, travaillant là où on voulait bien de toi, aidant pour les factures ou les tâches ménagères. tu étais prête à laisser tomber l'idée de poursuivre ton rêve de devenir vétérinaire mais tes parents refusaient cette possibilité, et ton frère ne te laissa même pas le temps d'y songer. il déclara s'être trouvé un travail. un travail qui allait bien payer dans quelques temps.

III. et il avait dit vrai, son travail aidait beaucoup. il disait travailler dans un garage mais t'en étais pas convaincue. il mentait et tu le savais ; et il te connaissait assez pour savoir que tu voyais bien entre ses mensonges. il ne vint jamais te dire la vérité, rentrant toujours plus tard mais avec des sommes d'argent de plus en plus grandes. vos parents ne le questionnèrent jamais sur la provenance de tous ces billets, acceptant l'argent pour rembourser les dettes, le soulagement entre les lèvres.

IV. la dernière fois que tu as vu ton frère, il était devant le garage pour lequel il disait travailler. mais ce garage abritait bien plus de secrets que tu n'aurais pu le penser. il avait rejoint un gang, et ne pouvait plus en sortir désormais. ça payait bien. argent facile mais sale ; l'idée te dégoûtait. la dernière fois que tu as vu ton frère, vous vous êtes disputés. il t'a répété de ne plus venir le voir, que c'était dangereux. il ne voulait pas vous mêler à tout ça et surtout, il ne voulait pas te mêler à toutes ces histoires. c'était pour ça qu'il ne venait plus à la maison, qu'il ne répondait plus à tes appels et qu'il ne passait plus de temps avec toi. c'était pour ça qu'il t'avait presque exclu de sa vie : pour te protéger. il s'en voulait, parce qu'il avait été stupide de croire que tout serait facile. mais il avait voulu aider vos parents le plus rapidement possible. il n'avait pas trouvé de boulot, ayant abandonné les études, personne ne voulait de lui et le gang avait été le seul groupe à l'avoir accueilli. sauf que maintenant, il regrettait mais il ne pouvait pas quitter le groupe. c'était trop tard. alors la seule solution était qu'il disparaisse. qu'il sorte de vos vies pour ne pas vous mêler davantage à ses problèmes. pour ne pas vous créer d'autres soucis encore.

V. un soir en rentrant des cours, une guitare t'attendait sur ton lit. tu pensais alors que c'était un cadeau de tes parents pour ton anniversaire mais non. l'instrument était un cadeau de ton frère. et une lettre trônait à ses côtés. une lettre dans laquelle il s'excusait. dans laquelle il voulait absolument ton pardon. il expliquait qu'il avait trouvé une solution mais il ne parlait pas des détails. il t'expliquait qu'il était désolé d'avoir crié sur toi la dernière fois que vous vous êtes vus. il savait que la guitare te ferait plaisir et il te demandait d'en jouer souvent. qu'il voudra t'entendre jouer le jour où il reviendra.
tu n'as plus de nouvelles de ton frère depuis ce jour. son numéro de téléphone n'est plus admis, sa voiture s'est évaporée et lui aussi.

VI. tu es bien évidemment allée voir la police, leur demandant de faire des recherches, de retrouver ton frère. et tu insistas, sans doute un peu trop, à tel point que tu les entendais soupirer dès que tu passais les portes. à chaque fois que tu venais, tu leur posais les mêmes questions : si l'enquête avançait, s'ils avaient retrouvé ton frère. tu t'en fichais de savoir si les membres du gang étaient arrêtés, ou si le réseau était démantelé. tu voulais retrouver ton frère. le garage pour lequel il travaillait n'existait plus, les locaux se retrouvant tristement vides. et chaque personne que tu avais cru voir cette nuit-là ne semblait même pas exister. la police n'avançait pas ; ou ne faisait rien. comme si l'idée d'enquêter leur faisait peur — et tu te demandais alors quel genre de gang ton frère avait rejoint si même la police ne semblait pas vouloir leur mettre la main dessus.

VII. un policier t'a dit que ton frère était peut-être mort. après tout, dans les gangs de cette taille, ce ne serait pas étonnant ; car les morts ne parlaient pas. les corps n'étaient jamais retrouvés et tu devrais arrêter d'y croire ou espérer le retrouver. un autre t'a dit qu'il s'était peut-être enfui. qu'il avait peut-être réussi à quitter le gang mais que pour sa sécurité, et la tienne, il avait décidé de ne pas revenir. c'était pour lui, apparemment, et mieux pour toi. mais tu voulais revoir ton frère.

VIII. tu tentes de rejoindre le gang. tu juges ta propre idée : tu sais que c'est débile. mais t'as rien trouvé d'autre. tu te rends souvent au bar où les membres du groupe traînent souvent – tu les soupçonnes même de posséder le bar. tu essaies de faire partie de leur rang pour espérer retrouver ton frère quelque part ; tes parents ont baissé les bras, et le pensent mort (il les a déçus, qu'ils t'ont avoué. rejoindre un gang ? c'est idiot.. et tu es bien d'accord. ce n'est pas pour autant que ton frère est mort à tes yeux). tu sais qu'il est là, quelque part, et tu le retrouveras.