OOTD || Min Joo, une des serveuses du piano-bar où je travaille souvent, était venue m’accueillir à mon arrivée, commentant encore la coïncidence que nos prénoms soient si similaires. Comme toujours, elle me tenait le bras à deux mains. Je lui ai pourtant souvent dit qu’elle n’a pas besoin de le faire, un bras suffit amplement. Mais elle continue toujours ainsi, alors, j’ai abandonné. Au fond, elle doit juste être très gentille et du genre à s’inquiéter pour rien. Aujourd’hui encore, elle ne cessait de caresser mon bras, commentant combien le tissu était agréable au toucher et que je devais être bien dedans. J’avoue que j’ai été surpris, lorsqu’elle m’a demandé si je m’entraînais plus qu’avant. Elle l’avait remarqué ?! J’ai rougi un peu en bafouillant qu’elle avait raison. Je profite souvent de l’excuse de l’entraînement au gym pour passer du temps avec Sujin, comprenant que mon ami d’enfance a un horaire horriblement chargé. Pendant un instant, je remis en doute mon choix vestimentaire de la soirée. Min Joo me demandait si je n’allais pas avoir froid. Honnêtement, j’en doute, j’ai souvent trop chaud même et c’est pourquoi j’avais décidé de laisser tomber la chemise… Mais, est-ce que je ne me dévoilais pas trop ? Le patron allait-il me reprocher ma tenue ? Voyant mon embarras, la serveuse m’a rassuré en disant qu’il n’y aurait aucun problème. Tant mieux, parce que je n’avais rien apporté pour me changer et rentrer chez moi aurait été un peu ennuyant. Une fois à mon piano, je sentis ses mains quitter mon bras, glissant plutôt sur le haut de mon dos, alors qu’elle devait passer derrière moi. Je la remerciai comme toujours et disposai de ma canne de manières à ce qu’elle me soit accessible, mais qu’elle ne gêne pas les autres.


Ce soir, on est mercredi. La folie ne s’est pas encore emparé des esprits, la plupart des gens travaillent demain. Ils viennent donc ici pour se détendre, profiter de la musique live… J’ai pris l’habitude de jouer des covers de chansons de kpop, les mercredis. Ce n’est pas trop calme, ne donnant pas l’ambiance d’un lundi qui a rattrapé tout le monde comme une méchante gueule de bois. Je ne choisis pas les chansons les plus endiablées pour autant, laissant ça aux musiciens du vendredi. J’essaie de trouver un entre deux, jouant bien sûr les demandes spéciales. J’entends l’endroit se remplir graduellement, les voix se faisant plus nombreuses autour de moi. Je sens aussi plus de personnes passer. Certaines auront sûrement plus de chances que d’autres (je doute fortement que cette personne nauséabonde rentre vraiment avec quelqu’un !). Je joue pendant un long moment, laissant mes doigts naturellement danser sur l’instrument qui m’est si familier. Je ne pouvais m’empêcher de sourire, absorbé par les mélodies que je jouais. C’est une main sur mon épaule qui me sortit de ma transe. Je continuai de jouer, tournant légèrement la tête dans la direction de la main. Mon remplaçant me salua joyeusement, m’informant que je pourrais aller prendre une pause bien méritée après cette chanson. Il prendrait le relais, pendant la prochaine heure, après quoi, je reviendrais jouer un autre petit deux heures. Ce n’était que maintenant que je réalisais que me dégourdir les jambes ne me ferait pas de mal. Je le remerciai chaleureusement, terminant mon morceau avec le coeur léger. Je me levai ensuite, prenant ma canne. Il me proposa de me raccompagner au bar, mais je refusai poliment. Je n’ai pas trop de mal à me déplacer ici, un mercredi soir. Généralement, il n’y a pas foule et ce sont surtout des habitués, donc ils sont gentils et compréhensifs avec moi. D’ailleurs, j’étais certain d’avoir fait attention, mais je sens une épaule se frapper de plein fouet contre la mienne.

-« Ah vraiment pardon ! Je suis désolé ! » lâchai-je sans hésiter, tournant légèrement la tête vers la source de l’impact.

Je rapprochai ma canne de moi, n’ayant pas envie de faire trébucher quelqu’un pendant que je m’excusais auprès de la personne que je venais de bousculer.

-« Aviez-vous quelque chose dans les mains ? Je ne vous ai pas rien fait renverser, j’espère ? » ajoutai-je, étant impossible pour moi de voir l’ampleur des dégâts que j’avais causé.

OOTD || Quand j’ai accepté le traitement expérimental, en sachant qu’il me coûterait pourtant la vue, je me suis posé toutes sortes de questions. Je n’avais jamais réellement envisagé ce que je ferais de ma vie. Je m’étais plus ou moins résigné à mon sort, profitant de l’instant présent, tout en comprenant que le futur n’était pas quelque chose qui me serait accordé. On m’avait d’abord dit de ne pas me faire trop de faux espoirs, bien que, paradoxalement, il ne fallait pas que je perde complètement espoir non plus. Si j’entamais le processus en pensant qu’il ne fonctionnerait pas, c’était perdu d’avance. Ma vision commença d’abord par s’embrouiller, les détails ne se faisant plus aussi faciles à percevoir… Je pouvais toujours admirer les sourires de mes proches, deviner la lumière qui dansait sur leurs traits, rire de leurs expériences capillaires colorées… Le miroir me renvoyait une image qui trahissait mon état de santé, mais qui cachait tout de même les détails de ce dernier. Alors que le monde perdait de ses couleurs à mes yeux, ces derniers ne changeaient pas pour autant. Mon regard s’est éteint, mais on m’a dit qu’il ne s’est jamais décoloré. Mes ami.e.s aiment bien me taquiner sur ça, d’ailleurs, me filant un petit coup de coude avant de me balancer un fameux « T’as de beaux yeux, t’sais ? » en imitant la voix de Sid, dans Ère de glace. Parfois, les gens ne captent pas l’absence dans mon regard. D’autres fois, ils doutent de ma sincérité quant à ma condition, passe leur main devant mes yeux ou font probablement toutes sortes de mimiques que je ne vois pas. Heureusement pour moi, ce n’est pas toujours le cas, certains captent plus rapidement que d’autres.

-« Tu peux pas regarder où tu vas?! »

-« J’aimerais bien, mais c’est un peu compliqué. » répondis-je avec un petit sourire désolé.

Inutile de répondre agressivement aux gens, j’imagine que s’il a réagi ainsi, c’est parce qu’il ne passe pas une belle soirée ou peut-être ai-je causé un accident, sans le vouloir. J’ai tout de même conscience d’être le fautif, si j’avais accepté l’offre de mon collègue (plutôt que de vouloir me promener par moi-même), je ne l’aurais pas accroché. Je m’en excuse d’ailleurs et lui demande si je lui ai causé un quelconque tourment.

-« Mon verre, mais c'est pas grave ça va sécher… C'est ma faute de toute façon, j'ai pas fait attention. »

-« Ah ! Je suis vraiment désolé ! Je … non… je ne peux pas vraiment vous offrir ma veste… » commençai-je, réalisant vite que ma première idée n’était pas viable.

Déjà, je n’ai aucune idée de sa taille. Enfin, son épaule me laisse deviner qu’il est légèrement plus petit que moi… mais je n’ai aucune idée de sa corpulence pour autant. Même si je le savais, cela dit, si je lui donnais ma veste… je n’aurais plus de haut ! J’aurais peut-être froid comme Min Joo le craignait, alors. Puis, je doute qu’on me laisserait vraiment travailler torse nu.

-« Je… eh… je vais demander à Min Gyu, le barman, de vous donner une serviette. » tentai-je de proposer, me disant toutefois que ce n’était clairement pas suffisant. « Je paierai le pressing aussi. » ajoutai-je, parce que l’alcool a cette fâcheuse habitude de tacher.

Je ne vois plus les taches, mais je me rappelle qu’elles étaient la hantise de ma mère, quand j’étais petite. Enfin, elle avait bien d’autres soucis avec moi et mes voyages constants à l’hôpital… mais je parle des tracas anodins.

-« Je… je peux te payer un verre..? »

-« Hein ? Mais c’est à moi de vous payer un verre, voyons ! » répliquai-je, surpris par sa proposition.

Je lui souris, touché par sa proposition cela dit. Ce devait être parce qu’il était embarrassé de son premier commentaire, son ton de voix avait changé entre ses réactions. Mais, il n’a pas à s’en faire pour ça.

-« Je peux vous emprunter un bras, par contre ? Histoire que je ne renverse pas le verre d’une autre personne ? » demandai-je, avec un petit sourire embarrassé en tendant ma main libre avec hésitation.

Tout le monde n’est pas à l’aise de le faire. Je ne pensais pas en avoir besoin, mais il est bien la preuve du contraire. La prochaine personne que j’accrocherais ne serait pas nécessairement aussi conciliante !

OOTD || C’est compliqué d’être aveugle dans un monde pensé et organisé pour les voyants. Pourtant, cela ne m’a jamais vraiment découragé. Plutôt que de m’abattre sur mon sort et maudire ce prix que j’ai eu à payer, je trouve toujours le moyen d’être reconnaissant d’être encore en vie. Chaque jour est un nouveau cadeau que je n’avais jamais vraiment cru avoir. Évidemment, je me battais pour l’avoir, je le désirais ardemment et j’étais parfois énervé par l’injustice de me le voir refuser. Je n’ai pas toujours été une bonne personne… J’ai blessé des gens que j’aimais profondément, par le passé, puisque j’étais con et égoïste. Je voulais tellement avoir un semblant de vie que j’ai menti sur le fait que j’étais voué à mourir plus tôt que les autres, préférant le cacher aux autres et les laisser croire que j’étais tout aussi normal qu’eux. Les moments passés ensemble devaient donc être acquis comme “anodins” pour eux, alors que j’avais conscience que c’était peut-être nos derniers. Je n’étais pas nécessairement plus gentil, lorsqu’on connaissait ma condition. Parfois, la fatigue, l’agacement, la rage de ne pas pouvoir envisager une longue vie me faisaient dire des choses… Voir mes ami.e.s tomber comme des mouches, pleurer tant de départs arrivés trop tôt, tout en ayant conscience que mes meilleurs amis pourraient bientôt y passer aussi ou … j’étais peut-être le prochain… Les parents pleuraient toujours en disant que ce n’était pas normal d’enterrer leurs jeunes enfants. Je voulais leur donner raison, mais malheureusement, pour moi c’était devenu aussi courant que d’aller à l’hôpital. J’y ai passé tant de temps. Évidemment que je m’y faisais des amis. Hélas, leur destin n’était pas toujours aussi glorieux que celui de Sujin. C’était la même chose lorsqu’on me forçait à assister à ses rencontres de support de groupe. On disait que c’était pour mon bien, mais entendre les craintes, les rêves inaccessibles et les tourments des autres enfants et adolescents… c’était terriblement déprimant. J’avais conscience de ne pas être le seul avec tous ces problèmes, je me sentais parfois seul quand-même. Là aussi, je me suis fait quelques amitiés… toutes ne sont plus là aujourd’hui non plus.

J’ai eu la chance que tous et toutes n’ont pas eu. Il serait véritablement égoïste et injuste de ne pas la savourer, de ne pas en être reconnaissant et de ne pas la saisir pour devenir une meilleure personne. Devenir une personne aigrie ne ferait pas justice à personne et mon propre sacrifice serait un peu gâché. Puis, ce serait con d’en vouloir aux autres lorsque c’est ma faute (comme maintenant). C’est moi qui ai refusé l’aide de mon collègue, voulant me débrouiller et causant ainsi toute cette situation. J’apprends d’ailleurs bien vite qu’à cause de moi, l’inconnu a pris une douche désagréable. J’essaie de rapidement penser à une solution, envisageant d’abord de lui filer ma veste, mais l’impossibilité de cette solution me frappe aussi vite. Je doute que mon patron serait heureux d’avoir un pianiste à moitié nu… Ce n’est pas ce genre d’établissement, encore moins un mercredi soir !

-« C'est bon, c'est déjà entrain de sécher. Pas la peine. »

Encore une fois, j’ai l’impression de déceler une pointe d’embarras dans son rire. Peut-être n’est-il pas à l’aise avec la situation… Je ne viens pas de lui faire gagner la première place à un concours de t-shirt mouillé, j’espère ! Je pourrais alors comprendre sa gêne, surtout s'il est d'un naturel pudique. Je lui propose quand-même une autre solution à courts termes (les serviettes demandées au barman) et j'ajoute que je paierai le pressing. C’est tout de même la moindre des choses à faire.

-« Wow, non… C'est pas des vêtements à 2000$, pas besoin. C'est tout vieux et moche, ça n'en vaut pas la peine. »

-« Personne ne s’habille en vieux et moche pour venir ici… » répliquai-je avec un petit sourire, hochant la tête pour le contredire.

Je suis peut-être aveugle, mais je connais tout de même le dress code minimal pour être admis ici. Sans avoir besoin d’être une carte de mode ou sponsorisé par un designer de mode, il faut avoir un certain minimum. L’endroit tient à son image et à ne pas se retrouver avec une clientèle qui causerait trop de grabuges. Finalement, je suis peut-être con, puisque je suis surpris par sa proposition à me payer un verre. C’est moi qui renverse le sien et c’est lui qui m’en paierait un ?? Non, hors de questions ! C’est moi qui suis en faute ! C’est à moi de payer les verres.

-« D'accord, mais le prochain est sur mon compte. »

Un grand sourire ravi s’étire sur mes lèvres, heureux qu’il ait accepté. Je remarque d’ailleurs que cette fois, il n’y avait pas de petit rire nerveux… et qu’il propose de boire plus qu’un verre ? Il compte aller boire de son côté et dire au barman de lui charger le prochain que je prendrai ? Ou restera-t-il avec moi pour discuter ? Je ne m’offenserais pas de la première option, comprenant qu’il n’est pas venu ici pour me tenir compagnie… pourtant, la seconde option me plairait davantage. Sa voix est agréable à entendre, charmant mes oreilles à chaque mots prononcés. Afin de ne pas devoir payer la tournée à tout le monde, je lui demande son bras.

-« Oui, sans problème! »

Je le remercie, prenant timidement ce bras qu’il m’offre. Bras qui… me surprend un peu, je ne peux pas le nier. Je me retiens de lui demander s’il s’entraîne souvent, lui aussi. Je le suis à travers les gens, faisant au mieux pour ne pas causer un nouvel accident, puis m’installe au bar. Min Gyu ne tarde pas à venir nous voir, me signalant sa présence en posant sa main sur mon bras (comme il le fait toujours) et nous demande ce que nous voulons. Je lui demande d’abord des serviettes, même si l’inconnu a dit ne pas en avoir besoin… j’ai peur qu’il ait refusé par politesse. Je me commande ensuite une bière, préférant ne rien boire de trop fort puisque je devrai tout de même retourner au piano, après ma pause.

-« Moi c'est Eun Woo en passant. »

-« Enchanté Eun Woo. Moi, c’est Jung Min Jun. » me présentai-je avec un grand sourire.

J’avais été surpris qu’il pense à me tapoter la main, les gens pensant rarement à signaler leur présence ou autre du genre. Je me retournai d’ailleurs légèrement dans sa direction, tentant de me fier à sa voix pour deviner environ où il se trouvait.

-« Qu’est-ce qui t’amenais… vous amenait… ici, ce soir ? » demandai-je, tout de même curieux malgré moi et en hésitant sur le niveau de politesse à adopter.

Je me demandais s’il allait me dire devoir me quitter pour aller rejoindre des ami.e.s, un rendez-vous ou peu importe. À moins que, si j’avais de la chance, il avait une heure à perdre avec moi ? De plus, sa voix ne me laissait pas vraiment deviner son âge ou rien qui m’aurait aidé à déterminer si je pouvais lui parler familièrement ou non.

-« Moi, je suis le pianiste. Enfin, pas présentement… je reprends dans une heure, mais… voilà. Je connais tout le staff pour cette raison. » expliquai-je avec un petit rire, réalisant que j’avais sûrement l’air d’un alcoolique, sans cette information.