« You came... »
« You called. »




TW: relation abusive

Le vide, l’obscurité, des portes qui claquent, des voix lointaines qui raisonnent. Au milieu de ces grands espaces, une petite fleur, une petite fleur qui n’a d’yeux que pour lui. Son phare dans la pénombre, son héros, son unique grand frère. La seule constante dans ce monde bien froid. Le besoin de marcher dans chacun de ses pas, de répéter chacun de ses gestes, d’observer chacune de ses actions. En ce temps, les faux semblant n’existaient pas, il n’y avait dans ces yeux que joie, innocence et amour. Ces yeux qui finirent par se remplir de larmes, des larmes qui ne cessèrent de couler depuis. Une famille déchirée, mais la constante est restée, alors cette petite fleur s’y accroche dans cette mer déchaînée. Une situation bien compliquée à comprendre pour une si jeune âme. Les regards froids, les visages fermés, elle ne veut plus les voir, alors elle espère que tout disparaisse, que cette situation s’arrête, le visage enfouit dans ce t-shirt, ses larmes mouillant le tissu, entouré par cette odeur bien trop familière qui l’apaise malgré la houle.



Tiens-toi droite, souris, montre l’exemple, fait des études, rends tes parents fiers. Les attentes s’accumulent sur ses épaules encore jeunes. Étudier, être première, en tout, partout, tout le temps. Être un modèle de discipline, un modèle d’intelligence, un modèle de beauté. L’espoir de la famille suite à la déception que fût l’ainé. Les mots sont durs à entendre pour elle qui le voyait comme son héros, la pression est dur à porter pour elle aux épaules si fragiles. Elle aimerait crier, défendre son frère bien-aimé face à tant d’acharnement, elle voudrait tout envoyer en l’air, leur dire qu’ils ne sont pas bien mieux, que c’est de leur faute, que tout est de leur faute, mais ses lèvres restent closes. Elle sourit, car c’est tout ce qu’elle peut faire. Son cœur sur le point d’exploser, ses mains tremblantes, le maquillage qui cache les cernes. Toujours plus. Si elle travaille encore plus, alors peut-être qu’elle sera libre. Si elle donne encore plus d’amour, alors peut-être que les plus jeunes n’auront pas à parcourir cette terre dans la solitude. Si elle fait encore plus d’effort, alors peut-être que cette famille pourra un jour devenir une vraie famille.



L’examen du Barreau passé avec brio, un nouveau travail prometteur, un appartement bien situé et la fierté dansant dans le regard de ses parents. Le sourire sur ses lèvres, mais le regard absent, s’attardant sur cette chaise vide à la table à manger. Un énième coup de téléphone passé dans l’intimité de la salle de bain, sans réponse. Il l’avait pourtant prévenu, mais l’espoir n’avait pas quitté son cœur, l’espoir d’un imprévu qui lui permettrait de quitter le travail pour les rejoindre. Cette jeune fleur dont les parents ventait le mérite, une jeune fleur qui semblait tout réussir, et pourtant qui semblait flétrir. Les larmes coulent encore. Elle avait pourtant réussi, mais sa plus grande ambition restait au point mort, peu importe à quel point elle essayait. Ce rêve naïf d’avoir enfin une famille unie. Pourtant, elle ne pouvait pas se laisser abattre, elle se devait d’être forte, de ramener ce si beau sourire qu’elle avait jadis aperçu sur les lèvres de son frère, de devenir ce pilier qui soutient les plus jeunes, d’être le rocher dans ces eaux tumultueuses, le rayon de soleil qui perce les ténèbres. Alors elle sourit, elle sourit et elle y retourne.



« Il ne s’agit pas juste d’abîmer son corps, c’est une forme d’expression, une forme d’art. Le tatouage, c’est la liberté… » Les sourcils se froncent. La liberté… Un concept qu’elle avait depuis longtemps oublié. Son regard s’attarde sur la jeune femme en face d’elle. Pleine de confiance, d’assurance, rayonnante, et pourtant la peau noircit par l’encre incrustée sous sa peau. Ce qu’elle voyait il n’y a à peine qu’un instant comme de vulgaire graffiti corporel ne faisant que gâcher la beauté naturelle du corps humain se transformait peu à peu en art, en ode à la liberté, à l’expression de soi. La machine fraîchement achetée, les centaines d’essais éparpillés sur la table, la main hésitante, le regard posé sur ce petit dessin qu’elle venait d’achever. Plus elle le voyait, plus elle comprenait son vrai sens. Alors elle sauta le pas. Une grande inspiration, le bras tendu, l’aiguille s’approcha de la peau, la douleur arrivant par surprise, mais la main continua. Une dernière goutte d’encre s’écrasa sur la table et l’aiguille brisa le contact. Plus de retours en arrière possible. Le silence emplit à nouveau son appartement et avec, un sentiment de légèreté, elle avait enfin le contrôle. Un sentiment nouveau dans une vie écrite depuis la première heure. Une petite fleur fragile, douce et pure, conservée jalousement sous une cloche en verre venait pour la première fois de sentir les rayons du soleil sur ses pétales.



Les reproches, les accusations, les remarques, tant de mots tels des poignards dans son cœur. Un tableau idyllique peu à peu assombri. Tant d’amour, de tendresse, tant de temps à lui offrir le monde. Enivrée par sa douceur et par ses belles paroles. Ces paroles, aussi douces que le miel distordu et transformées en chaînes qui l’empêche de se défaire. Les mots lui sont arrachés de la gorge, prononcés à sa place. Chaque action jugée et critiquée, chaque pas dicté et dirigé, chaque sourire contrôlé. Une carrière entre les mains de parents intransigeants, une vie entre les mains d’un partenaire trop présent. Des larmes avant de s’endormir, l’impression d’étouffer. Pourtant une rupture bien trop douloureuse, le cœur asservi, complètement sous emprise. La solitude trop dure à supporter, alors elle rouvre les bras, elle le laisse revenir. Pendant un temps, la tendresse revient, la promesse de ne plus jamais lui faire de mal. Mais bien vite, la distorsion, la promesse de ne plus lui faire de mal si elle se tient bien, si elle ne fait plus d’erreur, si elle cesse d’être aussi bonne à rien. Mais jamais rien est assez bien, alors son cœur se fait piétiner une nouvelle fois, mais la douleur est trop forte, l’addiction trop violente. Peut-être est-ce le seul amour qu’elle mérite, c’est ce qu’on lui susurre à l’oreille, que personne ne l’aimera autant que lui, alors elle y retour. Encore et encore et encore, et les larmes ne s’arrêtent plus de couler. De l’autre côté, un frère qui perd patience, qui ne supporte plus les larmes. Elle le supplie de lui laisser une chance, qu’il n’est pas si mauvais qu’il ne le pense, que c’est uniquement de sa faute à elle, mais le convaincre devient trop dur, la confrontation devient inévitable, alors cette rupture, elle s’y tient. Le cœur déchiré entre le souvenir de ses bras autour de sa taille et la hantise de revoir l’inquiétude dans les yeux de son frère.