Color outfit || @song attis

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La musique résonne en fond dans la chambre artistique, jonché par les tableaux, les pinceaux, un appareil photo sur une étagère ou même les écrans et tablettes graphiques sur le bureau. Entourés par les différents papiers, les crayons, les morceaux illustrés en totalité ou dans la finition trainant ici et là. Sous des pochettes cachées ici et là, emportant avec elles les mêmes dessins et autres prototypes de l’Australien. Sous le besoin incessant de son pour ne pas sentir une solitude planée dans son encéphale meurtrie par les années et les maux.

Les sourcils sont légèrement froncés, son écran affichant des coloris et styles différenciés pour la préparation du prochain album d’un des groupes qu’il suit. En plus de quelques extras en freelance afin d’arrondir les fins de mois et pouvoir offrir des choses décentes à sa famille. Le problème des artistes étant que leurs travaux, et notamment chez le brun, est que cela peut se transformer en obsession. La concentration si intense qu’il n’entend pas le craquement significatif de pas entrant dans sa pièce intime et le sursaut qui survient lorsqu’il aperçoit une ombre du coin de l’œil. La paume à plat sur son cœur, la crainte et la bouffée d’anxiété s’évapore aussitôt. « At’. Pardon, j’étais dans mon travail, je ne t’ai pas entendu. ».

Il se redresse sur sa chaise, prêt à se lever pour rejoindre son petit frère, déposant ses affaires sur le bureau déjà encombré. « Tu vas bien ? Tu as besoin de quelque chose ? ». Sous l’inquiétude véritable, si éloquente à travers ses prunelles. Et pourtant, entre les deux persistent une timidité, comme une barrière que chacun n’a pas réussi à briser. Par la situation singulière, par tout ce qui n’a jamais concrètement réussi à se créer. Ce doute permanent qui ne facilite pas les deux êtres fragilisés. Il suit l’œillade du plus jeune et passe ses phalanges dans ses cheveux, avec réserve. « C’est pour le boulot, un début. Tu veux voir ? ». Cela changera très certainement et d’autres yeux artistiques ne feront jamais de mal. Bien au contraire.

Color outfit || @song eros

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Le temps semble s'être figé pour le garçon. Les yeux fixés sur un point invisible, dans le vide. Il ne parvient à chasser quelques images de son esprit, ni à trouver une paix intérieure salvatrice. Les paupières se ferment, rapidement, comme pour chasser cet afflux cauchemardesque qui n'a jamais cessé de le hanter depuis des années. Sa respiration devient chaotique, son souffle est erratique, il peine à savoir comment respirer subitement. Le cœur bat à tout rompre, il cogne contre la paroi de sa poitrine et résonne contre ses tempes. La panique le guette, prête à frapper d'une seconde à l'autre. Quand la vibration d'un portable le ramène brutalement à la réalité, lui rappelant qu'il n'est plus dans ce salon à l'odeur de gaz, ni dans cette chambre sombre où le silence pesant l'écrase.

Il reprend son souffle, les doigts saisissant l'appareil posé à côté de lui, à même le sol. L'enfant est là, assis par terre, le dos contre son lit et les jambes ramenés contre son torse. Il se déplie lentement tout en lisant le message sur son écran. Une élève de sa classe, un semblant de camaraderie. Attis déglutit, il verrouille son portable en le gardant à la main. Sa carcasse s'étire, s'aidant du bord de son lit pour se relever, les jambes engourdies. Ce n'est pas étrange de le voir ainsi, statique, recroquevillé dans la pénombre d'une pièce aux rideaux fermés. La solitude plonge son encéphale dans une léthargie catastrophique, la mort à  l'âme. Quand il en ressort, plus ou moins vainqueur, la tête brune cherche un semblant de chaleur humaine.

La musique lui parvient d'une autre pièce, signe que son grand frère est présent dans l'appartement. Il se traîne, lentement, vers cette porte qu'il repousse en silence. Les pupilles portées vers la silhouette concentrée, sans l'interpeller par crainte de le déranger. Tout est encore si fragile, donnant peine à croire à un lien fraternel. Eros remarque sa présence quand le plus jeune se décide à faire quelques pas vers l'intérieur, timidement. Il ne faut pas une seconde à l'adulte pour quitter sa chaise et se rapprocher de lui, soucieux et inquiet. Le brun tente de le rassurer d'un souris, il ne s'est pas rendu si loin dans son esprit désordonné. Juste assez pour revenir entier.

- J'ai ... Entendu de la musique.

C'est ce qui l'a décidé à venir, évaporant ce nuage de fumée qui flottait devant ses yeux. Attis n'ose exprimer clairement ce qu'il a dans la tête ou dans son coeur, ce besoin de présence réconfortante, cette peur de l'abandon. S'il vient à sa rencontre, c'est pour se souvenir qu'il n'est pas seul dans ce logement, ni dans sa nouvelle vie. La caresse de ses doigts le rassure, ce touché apaise son palpitant serré. Et ses yeux dérivent, sans discrétion, vers le travail de son aîné. Il opine du chef, désireux de voir les efforts de son frère. C'est sa passion pour l'art qui lui a donné envie de se plonger dedans. Parfois ce n'est pas facile, surtout quand une crise le fauche et qu'il détruit sans considération, la moindre chose qu'il se force à créer.

- Tu travailles sur quoi?

Les questions ne sont pas évidentes à prononcer, cependant il sent le besoin de parler. Une phase de tendresse, à la recherche d'une attention précaire.

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La réserve l’un envers l’autre, assez palpable pour se faire ressentir et pourtant, de l’éclipser avec le bourgeon d’un doux sourire. « Euh. Hum. Je bosse sur une nouvelle maquette pour un groupe. Mais aussi sur un projet que quelqu’un m’a demandé. Viens. ». Il se recule et le laisse choir sur son siège, regardant à côté de lui et trouver une autre, qu’il garde au cas où. Il vient retirer sa pile de croquis afin de libérer la chaise devenue vacante. Moins spacieuse et agréable, mais suffisante pour s’y installer sans encombre. Ses bras s’allongent, viennent attraper son stylet et effectuent quelques démonstrations de ses débuts de travaux : édulcoré, si sensible et presque pudique. Quelques traits ici et là, sous des couches travaillées et émotionnelles. « C’est encore un début, mais on me laisse carte blanche. ».

Une direction artistique pourtant déjà engagée, aux couleurs esquissées, délavées et même parfois remplacées. Comme si chaque couleur libérait délibérément sa signification, et génère des impressions de sensations. Sous le rouge de la colère, sous le noir du désespoir ou même le bleu de sa tristesse. Chaque croquis, toutefois à ses balbutiements, est un mélange distillé de délicatesse et de poésie, ponctuellement submergé par de vives émotions en fonction du personnage ou de décor planté. « C’est sur une thématique assez particulière, j’essaie de retranscrire au mieux. ». Cette contemplation sur les objets ou les lieux épurés, aucunement surchargés par d’autres aspects, comme si on souhaitait se reposer, ou occasionnellement être marqué par les détails.

Aucune prétention dans l’interprétation, découlant une fragilité dans les statues brisées, la jeune silhouette pleurant vers son ombre ou même lorsqu’elle voltige sous sa longue jupe. Une élégance mélancolique, dépeint sous des formes de sentiments où l’on peut s’accrocher : sous l’aquarelle délicate, le coup de pinceau très fin et les couleurs pastel qui apaisent. « On m’a envoyé quelques musiques qui représentent quelques scènes que l’on m’a décrites. J'ai été un peu dans mon monde après. ». Léger rire gêner. Comme celle du début : celle de la jeune femme sanglotant auprès d’une immense statue féminine. La mise en scène, comme il vient de la faire, est profondément touchante. « Qu'en penses-tu ? ». Il déglutit, se mordant la lèvre inférieure, l’œil levé vers son interlocuteur.

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L'invitation est accueilli avec lenteur, une langueur qui tire davantage sur un sentiment de réserve qu'une certaine lassitude. Tel un petit animal effrayé, mais curieux, qui avance malgré une sensation d'alerte. Le plus jeune observe la chaise libérée d'un coup d'oeil et l'accepte, se posant tout aussi lentement dessus. Ses yeux se perdent sur le travail de son frère, les lèvres serrées et les mots se propageant uniquement dans son encéphale. Le visage se mouve avec légèreté, exprimant un accord, une réponse muette, mais positive. Il comprend les paroles de son aîné. Ses pupilles traduisent un intérêt particulier pour ce début dont il parle et dont il a carte blanche.

La petite tête se penche de côté quand il évoque une thématique assez particulière. Attis tente d'interpréter ce qu'il voit, mais c'est plus compliqué qu'il n'aurait pu se l'imaginer. Après tout, il n'est pas dans la tête de son aîné. Ce qu'il pourrait voir comme une tâche rouge, représente probablement une émotion différente pour l'autre. Les questions n'ont jamais été posées entre eux. à savoir jusqu'à où leur histoire est similaire ou à l'opposé. S'il peut vraiment s'appuyer sur son épaule ou s'il doit s'en tenir à cette distance qu'il s'impose sans en connaître la raison ou l'origine.

- La musique que j'ai entendu?

L'enfant délie ses lèvres, reportant son regard sur l'homme à ses côtés. à la question de ce dernier, Attis ramène ses orbes cernées vers l'écran, admirant à nouveau l'oeuvre. Lui-même se demande ce qu'il en pense. Le talent d'Eros n'est plus à prouver, c'est pour cela qu'il a voulu se lancer dans l'arts. Pour connaître un peu de son monde, pour essayer de l'apprivoiser à sa manière.

- C'est beau.

La maquette en elle-même est jolie, les couleurs, ce qu'elle exprime. Pourtant, il ressent quelque chose d'autre en scrutant la jeune femme devant la statue. Une profonde tristesse. Et une ombre passe sur son visage, lui rappelant à quel point cette émotion peut être dévastatrice.

- Quelle est la thématique?

C'est ce qu'il voulait savoir quand son frère a parlé de thématique assez particulière. Derrière tous ces traits, qu'est-ce qu'Eros cherche à exprimer réellement? Est-ce que ça vient de lui ou de la demande faite par son client? Dans le fond, il souhaiterait mieux le connaître, mieux le comprendre.

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La question est légitime. Après tout, les images parlent d’elles-mêmes, sous ses tonalités de coloris divers, sous ses ombres qui planent à travers les tracés légers. Dans d’autres circonstances, il pourrait délivrer les lèvres pour mieux expliquer les raisons de ses choix artistiques. De cette douceur mélancolique qui se dégage à travers le pastel éthéré, les visages marqués et la pudeur que la jeune femme esquissée dégage. Peut-être, au fond de lui, une partie de ce qu’il ressent, ce qu’il a pu observer à travers les prunelles qu’il vient croiser des siennes. Et d’éprouver la difficulté à aborder le sujet principal de l’œuvre, pourtant magnifique dans tous ses pourtours. Et les secondes s’allongent, paraissent interminables pour lui et l’anxiété grimpante dans ses veines, avant d’expulser d’un seul souffle. « Le sujet traite sur le deuil, la perception de soi. Ces étapes, en quelque sorte. ».

D’où les touches de couleurs pour l’exprimer. Comme le noir et blanc qui se confronte comme un miroir, où le bleu sous les larmes et le rouge de la colère. Mais ainsi, tout semble édulcoré, plus poétique et moins à même de l’apposer aussi durement que la réalité. « L’auteur souhaite transmettre un peu de son vécu en le transposant sous un schéma narratif : celle d’une jeune fille ayant perdu sa mère. Il n’explique pas davantage et en réalité, cela n’est pas tant nécessaire pour comprendre, puisque cela se base sur les sentiments à elle. ». De la perte, du chagrin, de tout ce qui reste noué au fond de l’âme et qui persiste à ne pas vouloir se déverser. Eros en fait partie, des marques et de ces cicatrices qu’il cache en continu. De ses ecchymoses qui peinent encore à se refermer, mentalement.

De venir mordre ses lèvres, en scrutant intensément chaque ligne d’expression qui se tisse devant lui, d’approcher les paumes pour vouloir attraper les autres et les tenir dans les siennes. Mais de se rétracter à la dernière minute et de se racler la gorge. « Mais on a ajouté un petit côté fantastique, si on peut dire ça comme ça, avec des oiseaux. Un peu comme un symbole, elle peut « voler » parfois pour atteindre les hauteurs et avancer. Si tu vois ce que je veux dire ? ». Métaphore à peine dissimulée, mais cela n’est pas le but. Pas ce genre d’histoire qui se laisse porter.

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Le dessin est un moyen d'exprimer ce que nous ressentons au plus profond de nous-mêmes. Beaucoup d'enfants dépeignent leurs souffrances à travers des paysages ou des personnages, un univers construit à partir de crayons ou de feutres. Attis a déjà essayé la thérapie par le dessin, la parole n'étant pas son fort. Même avec cette méthode, il n'a su dire ce qui était le plus troublant pour lui, ni montrer à quel point ce qu'il a vu ce jour-là fut traumatisant. Quand il regarde la structure faite par son aîné, il se dit que celui-ci parvient vraiment bien à déposer des émotions sur les traits qu'il trace. à savoir ce qu'il en ressort, il n'est pas certain de vouloir le comprendre. Les larmes sont la tristesse, le corps parle aussi. Une position, une expression, une réaction. Il n'y a pas besoin de mot en particulier pour s'en douter.

Eros évoque le deuil, ce qu'il n'a pas su faire encore de son côté. Toujours hanté par le souvenir, par des images percutant son esprit. Il sait qu'il y a plusieurs étapes dans le deuil, il en a vécu quelques unes durant ces dernières années. Cependant, le garçon n'est pas sûr de l'étape où il se trouve actuellement. S'il accepte les choses telles qu'elles sont ou s'il continue à se voiler la face en restant dans le déni. La famille Song devrait l'aider à se rendre de l'avant, à chasser la colère pour laisser place à la plénitude, à la sérénité. Si parfois Attis parvient à se sentir bien, il arrive aussi qu'il plonge dans des eaux profondes.

Le visage bouge, à peine perceptible. Il acquiesce aux mots de son aîné, capable de visualiser ce qu'il raconte. La perte, le chagrin, toutes les étapes du deuil. L'enfant se crispe légèrement, il ne parle pas souvent de ce qu'il ressent, encore moins par rapport à la perte de ses parents. Il voudrait en parler, se confier, vider ce qu'il a sur le coeur, mais il a peur. Pas du jugement des autres, mais de lui-même, de ce qu'il pourrait supporter en mettant la vérité face à lui. Tant que les lèvres sont scellées, tant qu'il le garde précieusement pour lui, c'est comme si tout ceci n'était qu'un mauvais rêve et qu'il allait se réveiller bientôt.

Attis écoute, ses yeux se portent sur l'oeuvre et les détails cités. Avancer? Comme pour dire qu'elle est capable d'accepter la mort de sa mère, faire son deuil et aller de l'avant? Un oiseau, ça représente la liberté normalement.

- Cela veut-il dire que notre propre vie ne s'arrête pas avec celles des autres?

Demande le brun en portant son regard sur son frère, la mine neutre comme si aucune émotion ne traversait son esprit. Le cerveau qui ne percute plus, là où le coeur ne veut plus souffrir. Tous les deux, ils ont vécus des choses. Certaines qu'ils ne disent pas, qu'ils gardent en eux pour des raisons qui les regardent.

- ça ne te fait rien de dessiner des choses comme ça?

Il veut savoir son ressenti quand il doit dépeindre des sentiments, des états d'âmes, des trucs qui pourraient lui rappeler à lui-même ce qu'il a dû subir. S'ils survivent, c'est parce qu'ils respirent encore. Qu'en est-il réellement à l'intérieur? Dans la tête ou dans le coeur. à sa place, le plus jeune n'aurait pas été capable de peindre le deuil, ni de le faire comprendre à autrui ... Car lui-même peine à le saisir.

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Mélancolie. Cette vague à l’âme, cet élan de tristesse qui ébranle l’encéphale et cette propension habituelle au n’entrevoir que le pessimisme. Que les couleurs se ternissent sous des teintes noirâtres, parsemés par du gris et éteignant le blanc. Il ne peut en vouloir lorsqu’il vit exactement la même monotonie qui étouffe et boursouffle la vie. Ces pertes d’intérêts, la mollesse dans les envies et les gestes. Les rétines qui scintillent de ce même état, lorsqu’il observe des jumelles qui n’en expriment rien. Le battant qui s’écrase dans cette perte ressentie. Le vécu n’est pas le même, pas plus que les péripéties, mais la perte sentimentale est tout aussi douloureuse. « Non, Att’. Elle n’en reste pas moins amère, mais elle continue. ». Que peut-il dire ajouter quand lui-même peine à entrevoir au-delà d’une espérance ?

De vouloir continuer à vivre pour les autres et prouver qu’une porte de sortie existe ? La réalité est qu’il se noie sous les ombres des autres en se déplaçant chaque jour durant, tout en se posant les mêmes questions. Sous le soupir délicat et la ligne fine, comme un sourire sans joie. « Si, évidemment. L’écriture et l’immersion sont assez intense. Je ressens la même joie, la même colère ou la même douleur lorsque je dessine des scènes particulières. Et j’espère que d’autres pourront autant le ressentir, que ce n’est jamais… simple ? ». Nul besoin de développer les nuitées sous les larmes, les réflexions, la haine de soi, le manque de confiance, les besoins qui s’entremêlent aux obsessions et tout ce qui ne peut être dit. Tout ce qu’il garde en lui, tout ce qu’il ne dit pas. « Quand je dessine, j’essaie de faire ressortir diverses émotions. Ce projet est un bon exemple. ».

De tout ce qui n’est jamais aisé à comprendre, à encaisser, sans vouloir le rejeter, sans s’en vouloir de ressentir tout cela. Et que ce n’est pas grave. Il se penche légèrement, sous un mouvement, comme s’il avait mal sous les couches de vêtements, lorsqu’il change de dessin pour d’autres. Plus doux, plus pudiques, avec ces quelques couches de couleurs qui viennent sublimer les traits féminins. « Et quand c’est un peu compliqué, je passe à autre chose. Comme là. Ou là. ». D’autres encore, plus chargés par les tons, dans l’espace. « Tu as des projets en ce moment ? Tu sais que ma porte est toujours ouverte pour tout et n’importe quoi. ». Il essaie de croiser son regard, avec un doux sourire. « Si quelqu’un t’embête, une bonne rencontre, besoin de quelque chose, d’un chat ou un chien. Je suis là. ». Et il le sera toujours.

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La vie continue.

Elle ne cesse de s'effiler dans le temps, sans jamais s'arrêter. Cette vie parfois amère, comme l'a décrit son frère. Une vie qui peut basculer, une vie qui peut devenir meilleure. Une vie qui appartient à soi, même si on voudrait la donner à d'autres. Il est vide, Attis, il est creux à l'intérieur. Il a vu la vie partir dans les yeux des gens qu'il aime, cette même vie qu'il se force à améliorer pour ne pas voir d'autre à sa place. Connaître la perte, la tristesse, une démolition de soi-même. Si Eros est là, lui aussi peut l'être. Entre compréhension et secret, dans le fin fond d'une œillade silencieuse échangée.

Il le savait déjà,
que la vie continue.

Qu'importe comment la sienne peut être, malheureuse ou rayonnante. Quelqu'un quelque part continue d'avancer, les gens autour de soi, ceux derrière ou devant aussi. Il le sait, parce qu'il est toujours là, quand ses parents ne le sont plus. Et dans cette contestation émouvante, il réalise à quel point c'est aussi douloureux que merveilleux. Vivre, respirer, sentir le vent, la pluie ou les rayons du soleil. Hélas, ça n'en reste pas moins difficile à surmonter.

Attis sait que ce n'est pas simple pour son aîné de dessiner tout ça, de retransmettre des émotions dans son travail. Les gens comme eux, qui ont vécus des choses, se retrouveront dedans. Il n'en doute pas, il en est même sûr et certain. Attis, il voit l'ombre qui se propage dans le dos de son grand frère, il sait qu'ils ont la même, mais il ignore jusqu'à où elles sont capable de s'étendre. Il n'est pas Eros et Eros n'est pas lui. Quand il parle de son projet, le brun ramène ses yeux sur l'écran et le scrute, plus intensément, mais toujours plongé dans son mutisme. Les images changent, sous le regard attentif du cadet.

- Hum.

Ce serait étrange de ne pas avoir de projet dans ses études. Le garçon ramène son regard vers son frère, tentant une esquisse à son tour. Le coin de sa bouche s'étire à peine, dans une ébauche de quelque chose. Un chat ou un chien? Les sourcils se froncent, il n'a jamais demandé ce genre de chose. Cela ne veut pas dire qu'il n'a jamais souhaité l'avoir, car il a été un enfant comme un autre à une époque.

- Merci. Eros.

Les mots butent, plus durement qu'il ne l'aurait cru. Un simple merci qu'il ne prononce pas assez, encore moins qu'un pardon.

- J'ai un projet, Quelque chose en rapport avec un peintre célèbre. On doit faire un tableau dans le même style, mais avec un thème en particulier. Gustav Klimt. Sur le thème du bonheur.

Un grincement de dents, une mâchoire serrée. Décrire le bonheur à travers un style de peinture prédéfinie, avec peu de condition à suivre. Les yeux se sont détournés dans son dialogue, incapable de tenir l'échange trop longtemps sans le perdre, mais il revient une minute plus tard.

- Tu veux vraiment d'un animal?

Une lueur brille dans ses iris, un fragment d'étoile qui se pose là.

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Il n’éprouve pas plus grande anxiété que dans ces moments. Les deux paraissent être à l’opposer sur bien des plans, relationnellement, sentimentalement, sur un peu tout, en réalité. Il ne peut déceler la profondeur de la peine infligée depuis le drame, mais son cœur continue de se serrer à la vue de ce petit frère qui essaie tant bien que mal d’esquisser ne serait-ce qu’un sourire. Avant de visualiser un froncement de sourcil, faisant tambouriner son battant jusqu’à l’entendre à ses tympans de manière désagréable. Il se demande à chaque fois s’il n’empire pas la situation à chacune de ses paroles, à chacune de ses actions.

Dès qu’il est près de lui, toutes ses barrières se fissurent et le sentiment qu’un mur de lierre s’est érigé entre les deux et incapable d’arracher les branches qui repoussent. Sous les onomatopées, le mutisme familier qui lui arrache à chaque fois une tristesse plus grande encore, une plainte refoulée par les yeux brillants. Il hoche tout simplement la tête. Que peut-il dire concrètement ? Il ne sait pas, il se perd, il s’inquiète, il s’embrouille. Il cligne des paupières. « Klimt ? Sur le bonheur ? ». L’artiste à la déclinaison provocante et la sensualité exacerbée ? Concept intriguant, au vu de son ambition entre le symbolisme et l’abstraction qui restera une de ces marques. Mais, plus encore : celle de la sensualité et de la féminité. Mais on ne peut nier le bouleversement de l’art avec lui, sur cet œil qui se damnait pour le désir. « Et tu as une idée ? Où commencer quelque chose à ce sujet ? ».

Il reste prudent, préférant questionner, se montrant réellement curieux du sujet et de ce qu’il se trame dans la toile artistique de son voisin. Le voyant fuir lui fait si mal dans sa poitrine, bien qu’il n’émette aucun mot ou geste pour apaiser le tourment. Il n’est pas le mieux placé, dissimulant lui-même les stigmates et les craintes de son existence, vouant son quotidien dans le corps et inhibant ses propres sentiments. La question le fait cligner des paupières, quelque peu surpris. « Oui ? Un chien ou un chat, je me dis que cela peut être bien ? Je sais qu’on le traitera bien. Tu as une préférence ? ». S’il a vu une étoile dans les pupilles, alors il essaiera de décrocher les astres pour en revoir d’autres, peut-être est-ce son seul acte égoïste pour celui qu’il chérit plus que tout au monde.

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Attis ne veut pas dépeindre un triste tableau de soi-même. Il déteste les couleurs sombres, ce qu'ils nomment de nuance. Hélas, l'enfant aux couleurs chaudes s'est perdu dans un puits d'encre noir. Si noir, qu'il n'en voit pas toujours le fond. Encore moins la fin. Le blanc n'a pas meilleure allure à ses yeux. Immaculé, éblouissant, au point d'en brûler la rétine. C'est comme si l'hiver s'était installé un beau matin et que depuis, les autres saisons n'existaient plus. Parfois, il a l'impression de redécouvrir le printemps, mais ça ne va jamais jusqu'à l'été et le soleil éclatant. Et il retombe dans la neige, sur ce lac gelé. Sombre, toujours plus noir. Plus froid. Sans fin, interminable.

Un froid qui saisit ses membres.
qui fige son anatomie.

L'enfant n'est pas bavard. Il cherche les mots qui auront l'impact souhaité pour ne pas se croire déjà mort à l'intérieur. En réalité, il cherche surtout des mots. Ce n'est pas toujours évident pour ce gamin ayant frôlé et rencontré la mort, de savoir quoi dire pour donner la sensation qu'il va bien. Ce n'est pas le cas, pas toujours. Son projet l'amène devant un mur. Il ne le dit pas ainsi à son grand frère, mais son corps parle pour lui quand il se crispe à l'évocation du bonheur.

C'est quoi le bonheur?

Son crâne explose à chaque fois qu'il tente de se souvenir de ces jours heureux où il souriait, où il jouait, où rien n'avait d'importance ou de signification. Et une colère sourde grandi en lui quand il ne parvient à faire la part du marché, à voir, entrevoir ou percevoir. Il en vient à s'en vouloir, à s'infliger une culpabilité étrangère à lui-même.

C'est quoi le bonheur?
Où se trouve cette réponse?
Certainement pas dans ce tableau.

Il secoue la tête. Négatif. Un non catégorique et sans équivoque. Attis n'a ni les idées, ni un commencement de quoi que ce soit. Et ça le frustre. Lui, le môme insensible, mutisme, qui se bloque dans son traumatisme. Il n'y arrive pas, à imaginer un bonheur sous ses pinceaux,  à peindre un sourire ou une ébauche d'un sentiment qui lui échappe. Ses ongles entament la peau de ses paumes de main, une tentative veine de calmer le monstre qui gronde en lui. Un monstre prêt à le dévorer s'il cède à la panique, s'il quitte le navire pour les abysses. Sa respiration se fait plus lente, plus longue, presque inexistante. Le calme avant la tempête, quand un rayon de soleil vient doucement chauffer son encéphale en perdition.

L'évocation d'un animal de compagnie. D'une compagnie. D'occuper l'esprit par la tendresse d'une boule de poils, de s'accaparer l'attention du bambin qui s'effondre dans les méandres de ses craintes.

- Je n'ai jamais ... J'ai toujours voulu un chien.

Les doigts se défont, libérant l'épiderme d'une souffrance incontrôlable. Quelques réminiscences flottent à la surface de son esprit, d'un temps lointain où il suppliait son père et sa mère d'adopter un chiot, là où la pauvreté d'un foyer les empêchaient de combler le bonheur d'un fils unique.

- Tu veux vraiment adopter un chien? On peut vraiment?

Les souvenirs de conversations écoutées aux portes, où il était question de dépense et d'économie, de perte inutile. Incapable de se gérer, de tenir la tête hors de l'eau, de ne pas sombrer entre deux vagues déferlantes. L'argent, son manque, sa perte, et la cicatrice que tout ceci a laissé dans le cerveau du gamin inconscient des difficultés de la vie pour deux adultes faussement accomplis.