Histoire Avoir trois enfants n'avait jamais été un plan. Les deux premiers, Yunho et Hyunjin, avaient été planifiés presque méticuleusement. Le troisième était une surprise, bien qu'heureuse et acceptée à bras ouverts; encore plus lorsqu'ils ont réalisés à ma naissance qu'ils avaient finalement une fille. Grandir au sein de parents fermiers et de deux garçons n'a pas fait de moi la plus coquette des jeunes filles. Les bagarres, les mauvais coups ou les aventures à vélo avec mes frères étaient beaucoup plus amusants pour moi que les princesses ou les poupées. Est-ce que mes parents étaient déçus? On aurait pas pu demander mieux.

Mes parents n'ont pas toujours surfé le seuil de la pauvreté. Au contraire, dans les premières années de ma vie, la ferme allait très bien. De bonnes récoltes, beaucoup de business et une excellente réputation. 2007 fut marquée par deux éléments importants: le typhon Nari, qui a principalement touché Jeju mais qui a eu quelques impacts jusqu'à Mokpo; et l'état de santé de mes parents qui a commencé à se détériorer presque soudainement. Les médecins disaient que ce n'était que la grippe, et bien entendu nous n'avions pas de raison de ne pas les croire. Mais peu importe ce que c'était, mes parents n'ont jamais vraiment réussi à récupérer à 100%.

Depuis, à chaque année, il semblait que les récoltes étaient mauvaises d'une manière ou d'une autre. Était-ce seulement de la malchance mal placée ou une malédiction? Des grands gels aux typhons qui emportent tout sur leurs passages, en passant par la santé précaire d'un ou deux de mes parents; rares étaient les années où les profits étaient au rendez-vous. Plus souvent qu'autrement, lesdits profits allaient s'insérer rapidement dans un compte de banque d'urgence qui a vu beaucoup trop d'utilisation au fil des ans. Mais jamais nous ne perdions le sourire. Nous travaillons en famille, nous nous entraidions, nous dormions ensemble sous la même couverture s'il faisait un peu plus froid.

L'ensemble de mes amis ne parlaient que d'université, d'examens, de notes, de bourses. Des ambitions qui n'étaient pas les miennes, du moins pas dans l'immédiat. Dès mes études terminées, alors que tout le monde s'envolait d'un coin à l'autre du pays pour poursuivre leur vie, je travaillais deux ou même trois boulots en même temps. Parce que oui, moi aussi je voulais aller à l'université. Mais ce n'est pas un fardeau que mes parents devaient porter. Alors pendant quelques années, je regardais le chiffre de mes économies monter lentement mais sûrement, jusqu'à ce que finalement je puisse faire mon inscription; et jusqu'à ce qu'une des universités m'envoie une lettre qui changera ma vie.

« Hey, papa, maman... j'ai été acceptée à l'université »

L'excitement dans leurs yeux était presque contagieuse. Ni Yunho, ni Hyunjin n'avaient voulu tenter des études supérieures; et ce n'est pas comme si mes notes étaient meilleures que les leurs. Ils sursautaient de joie, se préparaient à appeler l'ensemble de la famille, à célébrer pendant des heures et des heures. Notre fille est la fierté de la famille, criaient-ils. Ils étaient fiers de mes frères aussi, bien évidemment. Tous deux travaillaient d'arrache pied pour reprendre la ferme et laisser nos pauvres vieux parents se reposer. C'est différent, disent-ils. Ils préparent toutes sortes de plans, vérifient combien coûte le transport en commun d'ici jusqu'à l'université de Mokpo ou s'il serait plus facile pour moi d'apprendre à conduire, planifient déjà chaque repas à la lettre pour les prochaines années...

Jusqu'à ce qu'ils se rendent finalement compte que je ne partage pas leur enthousiasme.

Ils réalisent presque trop tard que ce n'est pas l'université de Mokpo qui m'a acceptée. Leur monde s'écroule presque aussi rapidement qu'il s'était dressé quelques minutes plus tôt. Mes parents sont fiers, oui. Fiers des opportunités que je pourrais avoir, fiers que je puisse prendre ma vie en main. Fiers, mais déçus que je doive aller aussi loin. Et c'est le regard toujours aussi fier, mais rempli à part égale de déception qu'ils me disent au revoir quand vint le temps d'embarquer dans ce train vers Séoul, allez simple.

Loin de ma famille, loin de mes repères, Séoul est loin d'être de tout repos. Les premières nuits étaient difficiles, remplies de larmes et parfois même de cauchemars. Bien souvent, j'ai l'impression que je n'ai pas ma place ici. L'abandon ne fait pas partie du vocabulaire des Nam, alors je serre les dents et je persévère. Au moins, mon intégration s'est faite de manière plutôt rapide. La majorité des étudiants à mon étage des résidences m'appréciaient, j'ai trouvé un boulot en deux temps, et cette grande ville qui m'était tant inconnue est vite devenue presque trop facile à naviguer.

Second Chance. Avant de m'endormir, je jette souvent un oeil à mon mur, là où est épinglé une publicité froissée pour une entreprise qui soit disant aide tout le monde. C'est ridicule, c'est un canular, des conneries. Pourtant, mon scepticisme ne m'a pas empêché de prendre le bout de papier trouvé sous mon pied, d'en faire une boule dans ma poche dans l'optique de le jeter dans le prochain bac de recyclage que je trouverai, et finalement de l'afficher sur mon mur. Une partie de moi y croit. Peut-être qu'un jour, j'aurai le courage d'aller voir pour moi-même si les rumeurs sont vraies.